Le droit de mourir dans la dignité

Libération - A l’Assemblée, la loi fin de vie largement soutenue, mais victime de l’obstruction

Avril 2021, par Info santé sécu social

Bloquée par les multiples amendements de cinq députés LR, la proposition de loi portée par Olivier Falorni n’ira pas au Sénat. Mais une très grande majorité de députés de tous bords ont voté son premier article, envoyant ainsi un message au gouvernement. Lequel botte en touche.

par Nicolas Massol
publié le 9 avril 2021

Des cris de joie, des applaudissements et une standing ovation : si ce n’est pas une victoire, ça en a tout l’air. Peu avant 19h30, à l’Assemblée nationale, jeudi, une écrasante majorité de députés ont approuvé le premier article de la proposition de loi portée par le radical de gauche Olivier Falorni (groupe Liberté et territoires) visant à ouvrir le droit à « une aide active à mourir ». Par 256 voix contre 56, des députés issus de tous les bancs de l’hémicycle ont donc envoyé le signal au gouvernement qu’ils sont prêts à légiférer de nouveau sur la fin de vie, cinq ans après la loi Claeys-Leonetti, qui prévoit déjà un « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ».

La victoire est toute relative. Victime de l’obstruction de cinq députés Les Républicains, qui ont déposé plus de 3 000 amendements au texte, la proposition de loi n’a aucune chance d’être examinée en entier avant ce jeudi soir, à minuit, heure à laquelle se termine la niche parlementaire de ce groupe composée de plusieurs électrons libres au sein de l’Assemblée. Elle ne sera donc pas transmise au Sénat et devra être abandonnée. Indigné par le procédé de ceux qu’il a qualifiés à nouveau de « quarteron de députés », Olivier Falorni s’est montré à la tribune derrière les deux piles d’amendements imprimés pour l’occasion. « Voilà l’image que vous donnez du Parlement », s’est-il insurgé, des feuilles de papier jusqu’au nombril. Avant de poser la question de fond qui motive sa proposition de loi : « Pourquoi endurer une cruelle agonie, quand la mort peut vous délivrer d’une vie qui n’est devenue qu’une survie douloureuse et sans espoirs de guérison ? »

« Il n’y aura jamais assez de débats »
Présent pour l’occasion, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a lui aussi déploré sur la forme l’obstruction des députés LR. Mais sur le fond, il ne s’est pas montré « convaincu qu’il faille ouvrir aujourd’hui ce débat d’envergure ». Plutôt que de porter une nouvelle loi sur la fin de vie, le ministre a annoncé qu’il allait lancer dans les prochains jours « une nouvelle mission sur l’application réelle » de la loi Claeys-Leonetti. « Je le dis sans ambages : l’état des connaissances sur l’application de cette loi est bien trop faible », a-t-il justifié, renvoyant par ailleurs au « plan national de développement des soins palliatifs », annoncé au Sénat début mars. Malgré les appels de certains députés de sa majorité, le gouvernement ne se saisira donc pas du texte de Falorni pour le mettre à l’ordre du jour avant la fin du quinquennat.

Laisser le temps pour mener un débat serein sur l’euthanasie ? « Il n’y aura jamais assez de débats pour un sujet tabou en France », a rétorqué la députée insoumise Caroline Fiat, déjà rapporteuse d’une proposition de loi sur le même sujet en 2018, quarante ans après la première discussion sur la fin de vie à l’Assemblée nationale, en 1978. « Laissez-nous voter ! », a-t-elle martelé. « Il est clair que nous manquons de temps », semble regretter Christophe Castaner, patron des députés LREM, favorable à titre personnel mais qui a reconnu appartenir à un « groupe dont la position n’est pas unanime ». « Certains sujets nous dépassent : ils sont quelquefois portés par les candidats à la fonction suprême », a-t-il proposé. « Non, il n’est pas possible de repousser le débat à la prochaine campagne présidentielle », lui a répondu Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône et président du groupe d’étude sur la fin de vie à l’Assemblée.

De fait, les clivages traversent tous les groupes et les sensibilités représentées. Le communiste Pierre Dharréville a fait part de ses doutes à propos d’un droit qui risque « d’ouvrir un gouffre ». Le LR Eric Woerth, qui s’est demandé si le suicide assisté est compatible avec la foi d’un chrétien, répond que pour sa part, il votera le texte si l’occasion lui est donnée. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a défendu le « droit à la liberté », auquel Xavier Breton, l’un des cinq députés LR obstructeurs oppose une « éthique de la fragilité ». Son camarade Marc Le Fur, revenu du parvis de l’Assemblée où il a chanté en breton plus tôt dans l’après-midi, après l’adoption d’une proposition de loi sur les langues régionales, se fait solennel : « Nous abordons l’un des moments les plus graves de notre mandat. » Avant de dénoncer, sous forme de prétérition : « Je ne veux pas caricaturer mais il y a une montée d’une morale libérale-libertaire : je choisis mon identité, je choisis ma mort. »

Une conviction est partagée par tous les détracteurs du texte, résumée par le ministre Olivier Véran : « La proposition de loi ne propose pas d’aller plus loin que la loi Claeys-Leonetti, elle propose d’aller ailleurs. » Le texte avait pourtant le mérite, selon ses soutiens, d’être une œuvre largement transpartisane. Olivier Falorni a d’ailleurs tenu à saluer celles et ceux qui ont, avant lui, porté la cause de la fin de vie au Parlement. Jean-Louis Touraine a été applaudi debout. « Je ne résiste pas au plaisir de faire ovationner par la République en marche, Caroline Fiat », a-t-il ajouté, facétieux. Puis : « Et je ne résiste pas à faire applaudir par ses collègues Républicains, la remarquable et courageuse Marine Brenier. » Après avoir salué la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, qui « mène le combat dans l’autre Chambre », le Sénat, il a lâché en direction des députés obstructeurs : « Vous avez déjà perdu. »