Le droit à la contraception et à l’IVG

Libération - Accès à l’IVG : « Un droit toléré mais pas garanti »

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Julie Renson Miquel — 17 septembre 2020

Délais de prise en charge trop long, parcours semé d’embûches, inégalités prégnantes… l’accès à l’IVG demeure un droit fragile souligne un rapport inédit examiné mercredi à l’Assemblée nationale.

« Force est de constater que le droit à l’IVG en France n’est pas encore pleinement effectif », arguait mercredi la présidente de la délégation des droits des femmes du Palais-Bourbon, Marie-Pierre Rixain. Un constat logique à la lecture du rapport remis mercredi à l’Assemblée nationale sur les conditions d’accès à l’IVG sur le territoire.

Un an et demi de travail, de multiples déplacements en France et à l’étranger ainsi qu’une vingtaine d’heures d’auditions auront été nécessaires aux députées Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (LREM) pour mettre en lumière « les fragilités et les faiblesses du système actuel ». Les autrices du rapport espèrent que ce travail permettra de faciliter le « parcours du combattant » des femmes voulant avorter dans l’Hexagone. Pour ce faire, les 25 recommandations de leur rapport serviront de base à une future proposition de loi qui sera présentée dans les prochains jours.

Des inégalités importantes en fonction des territoires

Depuis la loi Veil votée en 1975, le recours à l’IVG concerne des dizaines de milliers de Françaises chaque année. En 2018, on dénombre pas moins de 224 300 IVG sur le territoire soit l’équivalent d’une grossesse sur quatre. Mais derrière ce chiffre (par ailleurs relativement stable ces deux dernières décennies) se cachent de criantes inégalités. Par exemple, les femmes habitant en zones rurales voient leur accès à l’IVG restreint en raison des déserts médicaux. « Ces inégalités territoriales débouchent inévitablement sur des inégalités sociales, abonde le rapport. Les femmes les plus vulnérables (revenus modestes, mineures…) et a fortiori celles qui se trouvent en situation de précarité (SDF, femmes migrantes, personnes handicapées, victimes de violences conjugales…) rencontrent les plus grandes difficultés. »

A cela s’ajoute un désintérêt non négligeable de la profession médicale pour l’activité d’IVG. « Aujourd’hui, dans les études de médecine la part consacrée à l’IVG est infime », déplorent les corapporteuses. Les gynécologues-obstétriciens se détournent donc de cet acte au profit de pratiques considérées comme « plus intéressantes techniquement et plus valorisantes », à l’image de la procréation médicalement assistée (PMA). « On observe une pénurie de médecins militants engagés à la mise en place de l’IVG depuis 1975. Ces derniers partent à la retraite et ne sont pas suivis dans leur démarche par la jeune génération », ajoute Marie-Noëlle Battistel.

Sans oublier le fait que les recettes des praticiens ne couvrent pas toujours les dépenses engendrées par l’acte. « Cette dévalorisation financière de l’acte d’IVG explique en partie les délais d’attente notoirement trop longs pour obtenir un rendez-vous en milieu hospitalier », précise le rapport. Les corapporteures préconisent donc la mise en place d’une « couverture totale et indexée des frais encourus par les professionnels » à cet égard et souhaitent étendre la pratique de l’IVG chirurgicale aux sages-femmes pour pallier le manque de médecins.

Limiter les départs contraints à l’étranger
Parmi les objectifs majeurs des députées : l’allongement du délai de l’IVG chirurgicale de douze à quatorze semaines de grossesse. Le but étant d’« éviter que les femmes confrontées à des difficultés en début de parcours (errance médicale, délais de rendez-vous trop longs…) se trouvent hors délai et dans l’impossibilité de faire pratiquer une IVG en France ». Une mesure dont la pertinence a été mise en lumière par le confinement.

Début mai, une soixantaine de députées et sénatrices dénonçaient en effet dans une tribune parue dans Libération « l’aggravation significative des faits de violences » induit par le huis-clos familial ainsi que « l’impossibilité pour les femmes de consulter ». Par conséquent, « d’importants retards de diagnostic et des demandes hors délais sont à prévoir ».

Or, chaque année, entre 3 000 et 4 000 femmes ayant dépassé le délai de douze semaines seraient ainsi contraintes de se rendre à l’étranger pour avorter. Une situation aussi « inacceptable » qu’« injuste » pour les corapporteures qui soulignent une « démarche coûteuse » – l’IVG réalisée à l’étranger n’est pas remboursée par la sécurité sociale – et par conséquent, source d’inégalités.

Mais le rallongement des délais n’est pas pour autant une solution miracle. « Fluidifier les parcours », en revanche, s’avère nécessaire d’après les députés. « A certains endroits, la femme doit faire deux échographies pour l’IVG. Est-ce utile ? s’interrogent-elles. Il faudrait supprimer ces délais rajoutés pour des prises de rendez-vous successives. »

Changer le regard sur l’IVG
Plus largement, le rapport appelle à faire évoluer les mentalités autour de l’IVG. Si la pédagogie s’avère nécessaire selon les autrices, notamment via l’éducation à la sexualité dès l’école primaire ou encore la lutte contre les fausses informations, le changement passera nécessairement par la suppression de la « double clause de conscience » qui « stigmatise » l’IVG.

Aujourd’hui, cette dernière est en effet considérée comme un acte médical à part et possède donc une clause de conscience spécifique. Une vision « archaïque » pour les membres de la délégation des droits des femmes : « Cette double clause de conscience a été instaurée quarante-cinq ans plus tôt, à une époque où la recherche de consensus l’obligeait, rappelle Marie-Noëlle Battistel. La clause de conscience qui existe pour l’ensemble des actes médicaux semble aujourd’hui suffire. » La présidente de la délégation, Marie-Pierre Rixain, complète : « A condition que celle-ci s’accompagne de l’obligation de réorientation de la patiente vers un praticien ou un établissement de santé pratiquant l’IVG. »

L’accès à l’IVG a beau être un droit acquis, il est plus souvent « toléré » que « garanti » relèvent les députées. « Les discours moralisateurs ou de culpabilisation sont encore trop fréquents, estime Marie-Noëlle Battistel. La femme n’a pas à se justifier auprès de qui que ce soit de son désir d’IVG. »