Environnement et facteurs dégradant la santé

Libération - Amiante : « Vingt-trois ans d’instruction pour en arriver à un non-lieu... »

Juillet 2019, par Info santé sécu social

« Par » Marie Piquemal — 16 juillet 2019

Les magistrats viennent de rendre une ordonnance de non-lieu dans le dossier Eternit, symbolique du combat des victimes de l’amiante. 10 personnes en meurent chaque jour mais aucun procès n’a encore abouti. Eléments d’explication.

C’était un dossier symbolique. Eternit était le premier producteur d’amiante-ciment en France, jusqu’à son interdiction en 1997. Ce matériau reconnu cancérigène tue encore aujourd’hui dix personnes chaque jour en France. Dès 1996, des anciens salariés, malades, avaient déposé plainte contre cinq anciens dirigeants.

Ils étaient mis en examen pour homicides et blessures involontaires. L’instruction du dossier a duré plus de vingt ans. Elle vient enfin de s’achever, et se solde par… une ordonnance de non-lieu. Les magistrats chargés du dossier ont conclu à « l’impossibilité de dater l’intoxication des plaignants. »

Un non-lieu prévisible…
« Vingt-trois ans d’instruction pour en arriver là… » commente avec amertume l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). A vrai dire, ce non-lieu n’est une surprise pour personne. Comme le rappelle l’Andeva, il y a deux ans déjà, « les juges d’instruction avaient déjà annoncé qu’ils cessaient toute investigation parce que la responsabilité des maladies et des décès ne pouvait "être imputée à quiconque". Il leur a fallu deux ans pour rédiger ce non-lieu ! Les victimes et les juges n’ont sans doute pas la même notion du temps… » En septembre, le parquet de Paris avait aussi requis un non-lieu général dans une autre affaire emblématique : celle de l’usine normande de Valeo-Ferrodo à Condé-sur-Noireau (Calvados).

Le dossier de l’amiante a la particularité d’être morcelé en une trentaine d’instructions. Mi-décembre, la Cour de cassation a confirmé l’abandon des poursuites, ouvrant la voie à des non-lieux. « A l’époque, il a été décidé de décliner la plainte pour chaque combat local. C’était une erreur fondamentale. Le parquet s’est engouffré dans la brèche », expliquait en janvier lors d’une conférence de presse Michel Parigot, à la tête du Comité anti-amiante de Jussieu et fondateur de l’Association des victimes de l’amiante et autres polluants (AVA). L’AVA a annoncé qu’elle allait faire appel de l’ordonnance de non-lieu, arguant d’une « erreur majeure d’interprétation des données scientifiques ».

Nouvelle tactique juridique dans l’espoir d’un procès
Cela fait des mois qu’ils y travaillent. Michel Parigot et Pierre Pluta, deux figures historiques du combat contre les lobbys industriels qui ont retardé à l’époque l’interdiction de l’amiante, veulent tenter une nouvelle tactique juridique, en déposant une citation directe début septembre. L’idée est de « saisir directement le tribunal correctionnel sans le filtre du juge d’instruction, expliquait en janvier leur avocat Eric Dupond-Moretti. Dans cette affaire de l’amiante, « il y a une inertie de la justice incroyable. Une incapacité à établir quoi que ce soit alors que tous les éléments sont là : la certitude scientifique du caractère mortel de l’amiante et la responsabilité du lobby des amianteurs. Nous avons le sentiment que les victimes ont été, aussi, maltraitées par la justice toutes ces années. » Le non-lieu sur le dossier Eternit en est une nouvelle illustration.