Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Aucune mesure n’a été prise pour créer des lits de réanimation pérennes »

Avril 2021, par Info santé sécu social

Interview

Pour le docteur Olfa Hamzaoui, porte-parole du Conseil national professionnel de médecine intensive et réanimation, il est urgent d’accroître la capacité d’accueil en réanimation et d’augmenter le nombre d’internes réanimateurs, notamment pour faire face au vieillissement à venir de la population.

par Nathalie Raulin
publié le 9 avril 2021 à 16h51

Depuis le début de la pandémie, l’exécutif justifie les restrictions de liberté imposées aux citoyens par sa volonté d’éviter un débordement des réanimations hospitalières et, partant, de donner une forte chance de survie aux patients atteints de forme graves du Covid. Toutefois, en l’espace d’un an, il ne s’est pas attaqué au problème de fond : le sous-dimensionnement devenu structurel de ces services sensibles. Pour le docteur Olfa Hamzaoui, médecin-réanimateur au CHU Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine) et porte-parole du Conseil national professionnel de médecine intensive et réanimation, il est urgent de prendre des mesures pour accroître de manière pérenne la capacité d’accueil en réanimation.

Au pic de la première vague, les services de réanimation franciliens avaient pris en charge plus de 2 800 patients. Pensez-vous que ce seuil puisse être franchi d’ici la fin avril ?

A priori non, et c’est heureux. En Ile-de-France, les services de réanimation sont saturés mais la situation n’est pas hors de contrôle. Contrairement au printemps 2020, le rythme d’admission des patients Covid n’est pas exponentiel, ce qui nous laisse le temps de nous organiser. On déprogramme des interventions chirurgicales non urgentes pour libérer suffisamment de soignants afin d’ouvrir un nombre de lits suffisant pour absorber le flux continu de patients. Actuellement, au GHU Paris-Saclay, on atteint 40 % de déprogrammation, et on en envisage 60 % à 70 % la semaine prochaine. Dans certains départements franciliens, ce niveau est déjà atteint. C’est loin d’être optimal, puisque repousser à plus tard les soins de patients non-Covid risque de ne pas être sans conséquences.

Fin mars, plusieurs directeurs médicaux de crise de l’AP-HP avaient redouté que la saturation des réanimations ne les oblige à faire un « tri » entre les patients qui pourraient y avoir accès. Une fausse alerte ?

La tribune était l’expression d’une angoisse alors très forte. Les projections des modélisateurs étaient extrêmement pessimistes puisqu’elles évoquaient un nombre de patients à prendre en charge supérieur à 3 000 d’ici fin avril. Aujourd’hui, compte tenu des nouvelles restrictions de circulation décidées par l’exécutif, l’Institut Pasteur table plutôt autour de 2 000. Comme la courbe des contaminations est en train de baisser, on espère que, d’ici quinze jours, celle des admissions en réanimation va commencer à s’inverser, avec peut-être moins de 2 000 patients à prendre en charge au final.

Après un an de pandémie, y a-t-il eu une augmentation de la capacité d’accueil en réanimation ?

Non. Aucune mesure n’a été prise pour créer des lits pérennes. C’est assez incompréhensible puisque c’est au nom du manque de lits de réanimation que l’exécutif confine la population à intervalle régulier. Or ce sous-dimensionnement de nos services était déjà vrai avant la pandémie. La France a 7 lits de réanimation pour 100 000 habitants. C’est moins que l’Espagne (10), l’Italie (8 à 9) et très inférieur à l’Allemagne, même si la comparaison est plus difficile puisque cette dernière comptabilise ses lits de soins critiques comme des lits de réanimation. Dans le courant d’une année normale, le taux d’occupation des réanimations est de l’ordre de 80 %, avec des pics hivernaux qui dépassent les 95 %. En clair, on travaille depuis des années en flux tendu, avec une surcharge de travail très difficile à vivre au quotidien, ce qui explique d’ailleurs le fort turn-over des équipes paramédicales dans ces services. Nous n’avions donc pas la capacité suffisante pour absorber le surcroît de patients infectés par le Covid. Et nous ne l’avons toujours pas.

Combien de lits faudrait-il créer pour fluidifier le système ?

Pour que la France rejoigne les standards des pays riches (10 lits de réanimation pour 100 000 habitants), il faudrait a minima disposer de 7 500 lits de réanimation pérennes, contre 5 000 aujourd’hui. Ce qui bloque, ce sont les ressources humaines. Au niveau national, une centaine de postes de médecins réanimateurs sont aujourd’hui vacants. Il faut impérativement prendre des mesures pour attirer et fidéliser des soignants. Quand on sait que les deux tiers des patients en réanimation ont plus de 70 ans, comment pourra-t-on sinon faire face au vieillissement de la population, sans même parler d’une autre pandémie ?

Quelles sont les mesures à prendre selon vous ?

Dans l’immédiat, il faudrait commencer par ouvrir des postes de médecins intensivistes-réanimateurs [soignants spécialisés dans la réanimation intensive, ndlr]. Aujourd’hui, on a droit à 74 internes par an, soit moins d’1 % du nombre total d’internes, qui s’élève à 8 000. Cela ne couvre ni les départs en retraite des médecins titulaires, ni le nombre de services existants… Il faudrait aussi mieux reconnaître la spécificité du travail des paramédicaux en réanimation. C’est un métier technique qui réclame une formation spécifique et qui devrait donner lieu à une revalorisation salariale. Ce n’est que comme cela qu’on pourra attirer, fidéliser des paramédicaux et parvenir à stabiliser les équipes.