Luttes et mobilisations

Libération - Le mouvement des hôpitaux la joue collectifs

Novembre 2019, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau — 19 novembre 2019

Derrière la révolte des personnels hospitaliers, il y a aussi la rencontre de personnalités peu banales, qui ont fait bloc face à la crise et se sont organisées. Une histoire d’amitiés et de solidarité.

Le mouvement des hôpitaux la joue collectifs

Dans le mouvement de révolte des hôpitaux, laissons un instant la grande histoire et attardons-nous sur l’autre histoire, celle qui est constituée de liens, d’amitiés, de solidarité surtout. Bien sûr, l’hôpital est en crise, et comme le veut le cliché, « cela ne date pas d’hier ». Bien sûr, les urgences débordent de toute part et il y a toute une kyrielle de raisons objectives pour que la marmite hospitalière déborde. Pour autant, ce mouvement de révolte a tenu, aussi, à peu de choses, entre autres à des liens entre soignants et médecins, à des rencontres de personnalités peu banales.

D’abord, au point de départ du mouvement – et ce n’est pas un hasard –, il y a les personnels des services de nuit des urgences. Ce sont des lieux à part, où la solidarité est la plus explicite. « J’aime la nuit, j’aime cette proximité, confiait à Libération Hugo Huon, président du collectif Inter-Urgences. Dans les services difficiles comme les nôtres, les liens entre nous sont uniques. » Il ajoutait : « Ce que j’aime dans mon travail, c’est qu’il faut être rapide. On a peu de temps, il faut assurer. »

Hugo, mais aussi Yasmina, Candice, et quelques autres qui vont s’unir, et s’entendre à merveille. « Je suis une grande gueule. Je n’aime pas forcément être mise en avant, mais je le fais volontiers pour parler de notre combat », précise l’infirmière Candice Lafarge, qui n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Elle est efficace. « Je m’exprime au nom de ceux qui souffrent en silence. »

Des mots qu’aurait pu dire Hugo. A quelques-uns, ils vont constituer un noyau dur particulièrement efficace. Et ce petit groupe échappe aux règles des jeux de pouvoir classiques. Il faut les voir, quand ils se retrouvent en bloc, lors des grands-messes au ministère de la Santé, totalement distants devant les discours pompeux et les promesses vagues.

En tout cas, ce petit groupe va se retrouver très en accord avec quelques médecins hospitaliers qui vont créer le pendant du collectif Inter-Urgences, à savoir le collectif Inter-Hôpital. Là aussi, c’est un cocktail inédit de personnalités rares qui se crée peu à peu. Il y a Sophie Crozier, neurologue à la Pitié-Salpêtrière. Ce n’est pas une militante, mais elle n’en peut plus de voir des infirmières pleurer, des postes vacants, des soins à la chaîne. Alors, elle se révolte. Elle parle surtout. Et en écho aux propos qu’elle tient dans Libération, la direction réagit en lançant « une enquête administrative » dans son service. « J’en ai assez que l’on se taise et que l’on dise n’importe quoi sur nos conditions de travail. »

Des propos que pourrait aussi tenir le professeur Antoine Pelissolo, psychiatre. Contrairement à Sophie Crozier, cet homme de 40 ans est d’ordinaire prudent, mesuré même. Mais, comme emporté par la lourdeur de situation, il sort de sa réserve. « Les choses empirent, on a une unité fermée faute de lits. Une secrétaire administrative ? Pour respecter leur barème d’embauche, il faut un CDD, et c’est la croix et la bannière pour simplement la prolonger ou la remplacer. » Il est devenu le président de collectif avec Sophie Crozier.

Et bien sûr, il y a André Grimaldi. Il est incontournable, et on aurait tort de croire que ce professeur honoraire de diabétologie, ancien militant trotskiste dans sa jeunesse, soit enfermé dans le passé et une lecture archaïque du mouvement. Il est à l’affût et fin politique. Un groupe, qui échange et se répond, s’est constitué grâce à une liste de diffusion qu’il a créée il y a plusieurs années et dans laquelle on retrouve plusieurs centaines de personnalités.

« Lanceurs d’alerte »
Et cela marche. « Entre les deux collectifs, – Inter-Urgences et Inter-Hôpital, cela se passe très bien. Avec Hugo, Candice, cela fonctionne parfaitement. Ils sont épatants », nous racontait Sophie Crozier. Avec au final, ce beau succès de la manifestation de jeudi. Un cortège gai, joyeux, ce qui changeait fortement avec l’ambiance lourde des hôpitaux de ces derniers mois. « Cela fait du bien d’être ensemble, personnels soignants comme médecins », poursuit Sophie Crozier. Jeudi soir, lors de l’AG post-manifestation à la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière, tous se sont retrouvés unis, pour éviter la déchirure que provoquaient les syndicats qui voulaient conduire à tout prix ce mouvement de l’hôpital vers « une convergence des luttes » le 5 décembre. Le professeur André Grimaldi a dû batailler : « Notre mouvement est sur l’hôpital, cela n’empêche pas ceux qui veulent manifester le 5 décembre d’y aller en leur nom, mais c’est un autre combat. »

Fin d’un cycle ? « J’adore les liens qui se sont créés », murmure Sophie Crozier, épuisée néanmoins par ces semaines de luttes. « On a fait notre boulot de lanceurs d’alerte », lâche, égal à lui-même, Hugo, qui vient de s’envoler pour un mois avec Candice au Japon. Ajoutant aussitôt. « Mais Yasmina et bien d’autres sont là. » Quant à André Grimaldi et Antoine Pelissolo, ils attendent le troisième plan hôpital qui doit être annoncé, ce mercredi, cette fois-ci par le Premier ministre. « Je crains que ce soit partiel, et qu’ils veuillent éteindre l’avertisseur de l’incendie et non pas l’incendie », s’inquiète André Grimaldi.

Eric Favereau