Réforme retraites 2023

Libération (CheckNews) - Depuis la réforme des retraites, le COR a-t-il revu le déficit à la hausse de 12 milliards, comme l’affirme le « Canard enchaîné » ?

Avril 2023, par Info santé sécu social

Un article du journal satirique laisse penser - à tort - que le Conseil d’orientation des retraites a alourdi de 10 à 12 milliards d’euros supplémentaires le déficit attendu en 2030, soit autant que ce que la réforme est censée combler.

par Luc Peillon
publié le 25 avril 2023

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a-t-il reconnu s’être trompé dans ses prévisions financières concernant le système de retraites, en rehaussant récemment de 12 milliards d’euros le déficit attendu des régimes d’ici la fin de la décennie ? C’est ce qu’affirment plusieurs internautes, sur la base d’un article du Canard enchaîné. A tel point, assurent-ils, que la situation nécessiterait d’ores et déjà une nouvelle réforme des retraites.

Qu’en est-il ? Dans un article du 19 avril paru dans le Canard enchaîné, le journaliste Hervé Martin soutient effectivement cette thèse. « A peine adoptée, la réforme des retraites a-t-elle déjà du plomb dans l’aile ? » s’interroge ainsi notre confrère, qui poursuit : « Le COR doit se réunir le 20 avril pour préparer son prochain rapport qui paraîtra en juin. Son président, Pierre-Louis Bras, a envoyé le 12 avril aux 41 membres de l’institution un document de travail en sept points pour mettre à jour les prévisions du conseil. Horreur ! Ces modifications seraient susceptibles d’alourdir, en 2032, le déficit des retraites d’une bonne douzaine de milliards, soit à peu près le montant des dépenses que la réforme promulguée le 15 avril par Macron permettait d’éviter, assurant l’équilibre des comptes. »

Premier souci, selon Hervé Martin : l’abandon, suggéré par le président du COR, de la convention dite EEC (effort de l’Etat constant), qui selon lui alourdirait la note de 5 milliards d’euros. De quoi s’agit-il ? Le COR propose plusieurs hypothèses pour projeter le déficit attendu du système des retraites. Dont l’une s’appuie sur la convention EEC, qui pose comme principe que même si les dépenses de retraites de l’Etat, du fait de ses fonctionnaires, baissent à l’avenir, l’Etat maintiendra, en pourcentage du PIB, son effort financier, permettant ainsi de combler le déficit de l’ensemble du système. De fait, cette convention minore les pertes à venir. A l’inverse, l’abandonner alourdirait les déficits attendus.

Taux de chômage
Problème : cette convention n’est pas du tout celle sur laquelle s’est basé le gouvernement, dans le cadre de sa réforme, pour estimer le déficit à combler en 2030. En effet, l’exécutif, tout comme le président du COR dans ses interventions devant les parlementaires, s’est appuyé sur la convention dite EPR (équilibre permanent des régimes), dont le principe – comme la législation actuelle le prévoit – est que l’Etat compense les déficits du régime des fonctionnaires d’Etat et des régimes spéciaux, mais pas plus. Autrement dit, l’abandon de la convention EEC n’aura aucun impact sur les prévisions de déficit, ces dernières étant basées sur une tout autre convention, qui sera au contraire la seule à être maintenue. Il n’y aura donc pas cinq milliards d’euros de déficit supplémentaires du fait de la mise au rebut de la convention EEC.

CheckNews
Le Conseil d’orientation des retraites menacé par le gouvernement

Deuxième « recadrage » avancé par Hervé Martin : le taux de chômage. « Plus celui-ci est élevé, moins il y a de cotisations retraites et plus le déficit s’accroît. Le taux retenu par le COR (qui suivait en cela les prévisions du gouvernement) s’élevait à 4,5% jusqu’en 2027. Un peu trop beau, puisque le taux de chômage, actuellement fixé à 7,2%, pourrait remonter à 8% en 2024. En fonction des prochaines prévisions fournies à Bruxelles par le gouvernement dans son pacte de stabilité, le COR envisage de miser sur un taux compris entre 5% et 7%. Résultat : une possible augmentation du déficit de 5 à 7 milliards. »

Chiffre « non publié »
Problème là aussi : le COR reste en réalité sur une prévision de chômage de long terme de 4,5% (pour son rapport 2023) et de 5% (dans la version 2024). Il avait bien envisagé un taux de chômage de 7% à long terme si la nouvelle version du programme de stabilité du gouvernement prévoyait lui-même un taux supérieur à 6% vers la fin de la décennie. Mais le représentant du Trésor, présent à la réunion du COR le 20 avril, ayant annoncé que le programme de stabilité, sur ce point, n’était pas modifié, le COR a conservé la prévision de 4,5% à 5% pour le long terme. Aucun changement, donc, de ce côté-là non plus. Et donc pas de « 5 à 7 milliards d’euros » de déficit en plus.

Le chiffre du programme de stabilité était « non publié au moment où j’écrivais », se justifie, après coup, Hervé Martin auprès de CheckNews. Avant d’ajouter : « Peu de gens croient que le chôme [sic] sera à moins de 6% en 2027. » Sans doute. Mais cette prévision (de 4,5%) étant déjà celle du projet de réforme, qu’elle soit maintenue à l’avenir ne change rien aux projections financières.

Cela étant dit, le déficit à venir du système des retraites d’ici à 2030 sera peut-être plus élevé que ce que le gouvernement avait prévu dans sa réforme, et cette dernière pourrait alors s’avérer insuffisante. Mais difficile de l’affirmer sur la base de cette réunion préparatoire du COR, et encore moins sur la base des deux points soulevés par le Canard.