Industrie pharmaceutique

Libération - Cholestérol : la peur et l’argent du beurre

Octobre 2016, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau

Diffusé mardi sur Arte, un documentaire raconte comment le lipide, accusé à tort d’être à l’origine de toutes les maladies cardiovasculaires, a permis à l’industrie agroalimentaire et aux laboratoires de s’enrichir.

Rien de tel qu’un peu d’histoire pour comprendre le succès de certains des médicaments d’aujourd’hui. Et ce n’est pas le moindre des mérites de ce documentaire d’Arte, Cholestérol : le grand bluff (1), que de nous proposer un voyage dans le temps pour expliquer le triomphe planétaire des statines, ces médicaments contre le cholestérol un temps les plus vendus au monde avec plus de 200 millions de consommateurs quotidiens, générant un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros.

Tout commence par la constitution d’un ennemi : le cholestérol. La tâche n’était pas simple car il s’agit d’un lipide sacrément utile pour le corps. Comment le transformer en serial killer ? Ainsi se monte une des plus belles esbroufes de l’histoire de la médecine, avec ses mensonges, ses avancées, ce cocktail incertain de science et de manipulation, ses anecdotes, aussi, parfaitement racontées dans ce documentaire avec des extraits d’archives saisissants.

Ainsi la première scène, avec l’image du héros intouchable de la Seconde Guerre mondiale, Ike Eisenhower. Il est alors président des Etats-Unis. Le 24 septembre 1955, il est terrassé par une crise cardiaque. Pendant plusieurs jours, les Américains vont guetter sa guérison. Cette attente sera d’autant plus chargée en émotion que les Etats-Unis ont subi une « épidémie » de crises cardiaques dans les années 50 et redoutent le pire. La faute à qui ? Au cholestérol, bien sûr. Alors qu’Eisenhower fume deux paquets de cigarettes par jour, c’est son taux de cholestérol qui est mis en avant.

Facteurs de risques

Au même moment, on assiste au triomphe du physiologiste américain Ancel Keys. L’homme est réputé, le chercheur est sérieux. Il est formel : seul un régime pauvre en graisses et en cholestérol permettrait de prévenir les maladies cardiaques, de contrôler son poids et de repousser l’échéance d’une mort prématurée. Mais voilà, si notre chercheur a la solution, encore faut-il qu’il la démontre. Tellement convaincu d’avoir raison, il va ériger ce lipide en coupable des maladies cardiovasculaires à l’aide d’études tronquées. Qu’importe qu’en Finlande le taux de cholestérol soit très bas et celui de maladies cardiovasculaires très élevé ! Même chose avec l’étude dite de Framingham (Massachusetts), où des chercheurs ont suivi pendant trente ans tous les habitants de cette ville, analysant leur alimentation et leurs maladies cardiovasculaires.

Finalement, aucun lien n’a pu être établi entre taux de cholestérol et accident cardiaque. Mais l’hypertension, l’obésité, le tabac et la sédentarité sont ouvertement pointés comme facteurs de risques. Qu’à cela ne tienne, d’autres chercheurs vont alors se mettre à distinguer le bon et le mauvais cholestérol. Et comme le montre le documentaire, les scientifiques qui rechignent vont voir leur labo fermer faute de financements.

Dès lors, va se mettre en place un couple redoutablement efficace. D’un côté, le monde de la recherche, de l’autre, l’industrie agroalimentaire qui va se lancer à fond sur la vente de produits allégés, d’huiles végétales, finançant de nombreuses équipes pour accréditer le lien entre taux de cholestérol et maladies cardiovasculaires, et ainsi justifier l’achat de leurs produits.

Opération commerciale

Second volet de l’aventure : l’arrivée des molécules miracles, les statines, découvertes par un chercheur japonais à la fin des années 70. Leur but : faire baisser le taux de cholestérol. Tout se tient. Et on va assister là à une autre gigantesque opération commerciale, avec dans le rôle du lobbyiste en chef l’industrie pharmaceutique. Un exemple parmi d’autres : ce sont près de 4 000 cardiologues qui seront invités en Chine par les labos.

On multiplie les études, on sature le marché. Et cela prend. Aux Etats-Unis d’abord, puis partout dans le monde. Depuis la mise en vente officielle des premières statines en 1993, une écrasante majorité de médecins vont miser sur leur prescription, et cela avant toute autre mesure préventive. Consommées par 220 millions de patients à travers le monde, les statines vont devenir en quelques années les médicaments les plus vendus dans l’histoire de la médecine.

« Open Bar »

Pour autant, tout n’est pas à jeter dans ces molécules, les statines se révélant efficaces en prévention secondaire. Mais le gigantesque marketing a entraîné une prescription à tout va. « C’était incroyable, c’était la statine pour tout le monde, c’était "open bar" », explique un cardiologue. Une machine commerciale avec des publicités ahurissantes où l’on voit un couple dîner tranquillement puis l’homme s’écrouler, avec quelques mots en off disant : « Ah, s’il avait pris ses statines… » Vingt-cinq ans plus tard, on en paie toujours les frais. Et la surconsommation des statines, par exemple en France, n’est pas pour rien dans le mésusage des médicaments.

(1) Réalisé par Anne Georget, le documentaire est diffusé mardi sur Arte à 20 h 55, puis il sera disponible sur Arte+7.