Le chômage

Libération - Chômage : coup d’arrêt pour les jeunes actifs

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Frantz Durupt et Gurvan Kristanadjaja — 4 juin 2020 à 20:31

Quel avenir pour les 700 000 nouveaux diplômés qui arrivent sur le marché du travail et pour les moins de 25 ans déjà à la recherche d’un emploi ? L’exécutif doit présenter un plan global avant l’été pour éviter une catastrophe sociale liée à la crise du Covid.

L’année 2020, celle de la « génération Covid » ? L’expression commence à courir, jusqu’au sein de l’exécutif. Mercredi matin sur France Inter, l’historien Patrick Boucheron mettait en garde : « On ne peut pas se laisser désigner par une catastrophe, la jeunesse ne peut l’accepter. A eux de donner le nom du temps qu’ils ont vécu. » Quand bien même la formule serait contestable, la réalité qu’elle recouvre ne l’est pas : pour de nombreux jeunes, la mise en arrêt quasi généralisé de l’économie pour enrayer la propagation du nouveau coronavirus pourrait s’avérer la première étape d’un grand bond en arrière.

Lycéens, étudiants, jeunes travailleurs… Depuis près de trois mois, ces populations sont en première ligne dans la crise, selon qu’elles voient leurs études interrompues ou menacées, leurs diplômes dévalués ou leurs boulots supprimés - et parfois les trois à la fois.

Si bien que les signes d’un choc se multiplient. La hausse record du chômage en avril (+22,6 % de personnes inscrites en catégorie A) a été encore plus marquée chez les moins de 25 ans : ils étaient 149 800 de plus à n’avoir eu aucune activité durant le mois écoulé, soit une hausse de 29,4 %. De quoi donner un sévère coup d’arrêt à la baisse régulière du taux de chômage chez les 15-24 ans, qui s’était rétracté de 24,7 % en 2015 à 19,6 % en 2019, selon l’Insee.

Quant au secteur de l’intérim, qui repose en grande partie sur une main-d’œuvre jeune, il a plongé de 61 % en avril selon des chiffres de la fédération des entreprises du secteur. Ultime facteur aggravant : le durcissement des règles d’indemnisation du chômage, qui doit entrer en vigueur en septembre et va significativement affecter les jeunes précaires. Sur ce sujet, le ministère du Travail a fait un geste jeudi : il a annoncé l’ouverture de discussions avec les organisations patronales et syndicales à la mi-juin « pour voir quelles mesures doivent être adaptées pour tenir compte du contexte ». Jusqu’où ? Mystère.

La jeunesse française n’est pas la seule concernée. Fin mai, l’Organisation internationale du travail lançait l’alerte, affirmant que « les jeunes sont les principales victimes des conséquences socio-économiques de la pandémie ». Et l’agence de l’ONU d’évoquer une « génération du confinement » dont les vies professionnelles seront « marquées à jamais » par la période. Selon une étude réalisée par le Bureau international du travail, « plus d’un jeune sur six interrogés a arrêté de travailler depuis l’apparition du Covid-19 ». Quant à ceux qui ont gardé leur emploi, ils auraient vu leurs heures de travail chuter de 23 %.

« Effet cicatrice »
La suite n’est guère rassurante : « Nous travaillons à des mesures fortes pour que cette crise économique n’ait pas de répercussions très dures sur toute une génération », admet Gabriel Attal, qui prépare avec Bruno Le Maire et Muriel Pénicaud un « plan global pour les jeunes » pour la fin juin. Le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse redoute un « effet cicatrice : un jeune qui connaît une entrée sur le marché du travail chaotique aura a priori un parcours de vie et une carrière plus chaotiques que les autres ».

Du côté syndical, on a bien à l’esprit que la surreprésentation des jeunes dans les emplois précaires les place dans une situation dangereuse. « Ils seront la variable d’ajustement » des entreprises, anticipe Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT. Quant aux nouveaux diplômés, ils seront 700 000 à débarquer sur le marché du travail cette année alors même que les employeurs pourraient multiplier les plans sociaux.

La catastrophe peut-elle encore être évitée ? Jeudi, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont reçu à l’Elysée patronats et syndicats pour entamer des discussions et présenter des premières mesures. Gabriel Attal évoquait mardi auprès de Libé la possibilité que l’Etat « cible des postes pour les jeunes » en investissant dans certains secteurs, comme la santé ou « la rénovation énergétique ». Mais pour l’heure, le gouvernement s’en tient à des recettes classiques, avec notamment une nouvelle aide à l’apprentissage. Ce dernier avait atteint son plus haut niveau en 2019 avec presque 500 000 apprentis (+16 % en un an). L’objectif est désormais de continuer à l’encourager. Quelle que soit leur taille et jusqu’au 28 février, les entreprises toucheront 5 000 euros si elles embauchent un mineur en apprentissage, et 8 000 euros si c’est un majeur. Seule condition pour les plus de 250 salariés : compter 5 % d’alternants dans leurs effectifs en 2021. Parallèlement, les jeunes entrant en centre de formation d’apprentis (CFA) en septembre auront deux mois de plus, jusqu’à la fin février, donc, pour trouver une entreprise. Ce double dispositif coûtera plus d’1 milliard d’euros, selon l’entourage de Muriel Pénicaud.

Voilà donc une demande du Medef, qui réclamait une aide de 10 000 euros par embauche d’apprenti, à peu près satisfaite. Les syndicats, eux, sont loin du compte. « L’Etat privilégie d’abord les entreprises lorsqu’il y a des aides à attribuer », regrettait par avance mardi Michel Beaugas chez FO. Ce soutien à l’apprentissage, notamment, ne fait pas l’unanimité. Si la CFDT est favorable à une aide aux entreprises - tout en appelant à « réduire les effets d’aubaine » -, la CGT, elle, rejette son principe même : « Pour nous, un métier doit s’apprendre après un cursus scolaire, dans une formation, avec des stages », avance Alexandre Fels, membre du comité exécutif de la confédération. « L’apprentissage, c’est enlever le savoir commun, le français, les mathématiques, au profit de connaissances techniques », ajoute le syndicaliste de 31 ans.

« Horizon »
Une idée semble en revanche mettre d’accord l’ensemble des syndicats : l’extension de l’accès au RSA aux moins de 25 ans. La mesure figure dans le « plan de sortie de crise » signé par une vingtaine d’organisations, dont le syndicat étudiant Unef, la CGT et l’union syndicale Solidaires. « Ça serait une première réponse rapide », avance Eric Beynel, porte-parole de Solidaires. « Mais il faut y ajouter des dispositifs d’accompagnement des jeunes dans un parcours d’insertion », prévient Inès Minin de la CFDT.

Côté politiques, la communiste Marie-George Buffet rappelait récemment que si « le RSA n’est évidemment pas un horizon souhaitable ni pour les jeunes ni pour le reste de la population, il est un filet de survie dont nul ne devrait être exclu ». Pourtant, et même si la proposition est défendue jusque dans la majorité, le gouvernement la rejette catégoriquement : « Nous avons avec la garantie jeunes, mise en place pendant le quinquennat précédent, un excellent dispositif », justifie Gabriel Attal, qui plaide pour son « extension massive ». « C’est un dispositif et non un droit », rétorque Antoine Dulin, membre du Cese chargé notamment des questions de jeunesse (lire interview page 3). Bref, le chantier ne fait que redémarrer. Et en la matière, « il n’y a pas de solution miracle », reconnaît Michel Beaugas à FO.

Frantz Durupt , Gurvan Kristanadjaja