Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Confiner, c’est pas gagné

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Confiner, c’est pas gagné
Par Laure Equy et Lilian Alemagna — 3 novembre 2020 à 20:31

Imbroglio autour des petits commerces, dissonances sur le télétravail, protocoles sanitaires insuffisants à l’école ou encore, mardi, annonce, aussitôt démentie et pourtant fort possible, d’un retour du couvre-feu…

L’impréparation et la mauvaise communication de l’exécutif peinent à convaincre les Français de rester chez eux.
Quelque chose ne prend pas. Contrairement au respect quasi total de la consigne « restez chez vous » donnée aux Français en mars, le gouvernement doit se rendre à l’évidence : le pays, cette fois, ne se confine pas au pas. Et moins d’une semaine après l’annonce d’Emmanuel Macron, Jean Castex peine, à l’orée de la deuxième vague épidémique de Covid-19, à faire respecter un régime pourtant moins strict qu’au printemps. « Nos voisins rencontrent le même problème, se rassure-t-on à Matignon. La première fois, les Français ont pu penser qu’il s’agissait d’une parenthèse. Mais dès lors qu’ils constatent que la situation devient durable, l’acceptabilité est plus difficile. » « Par rapport au mois de mars, la peur est moins forte, la colère l’est davantage », abonde le député LREM Roland Lescure. Difficile pour une partie de la population, et ce malgré des indicateurs qui grimpent en flèche (lire page 5), de revenir à cette case départ quand le message porté par l’exécutif a été, pendant des mois, de « vivre avec le virus ». Pour alerter sur la situation en réanimation, le Premier ministre et son ministre de la Santé, Olivier Véran, étaient mardi soir à Corbeil-Essonnes. « La question se pose de savoir si les gens sont coupables de ces refus ou si ce sont les consignes qui sont incomprises et absurdes, a critiqué mardi Jean-Luc Mélenchon depuis l’Assemblée. Combien de temps peut tenir un dispositif […] qui n’est pas accepté par la population ? »

C’est certain : depuis l’allocution de Macron mercredi dernier, les soucis d’« acceptabilité » se multiplient. Petits commerçants en colère soutenus par des maires qui défient l’Etat avec leurs arrêtés de réouverture, enseignants qui dénoncent des protocoles sanitaires insuffisants, patrons qui, pour certains, rechignent à mettre leurs salariés en télétravail… Les cafouillages de la parole gouvernementale n’arrangent rien. Dernier exemple mardi : le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, annonce le matin sur RMC-BFMTV un retour du « couvre-feu sur Paris et peut-être en Ile-de-France » à « 21 heures ». Il pointe des entorses au confinement dans la capitale : « C’est insupportable pour beaucoup de Français qui respectent les règles de voir d’autres qui ne les respectent pas. » Quelques minutes plus tard, Matignon le corrige, assurant que la décision n’est « pas arbitrée » car pas encore « concertée » avec la mairie de Paris et les élus franciliens.

« On n’y comprend rien ! »

Mais selon nos informations, ce retour du « couvre-feu » est déjà décidé. Il a même fait l’« unanimité » lors d’une réunion, lundi, entre Castex et ses ministres censée préparer le Conseil de défense de ce mercredi. « La décision est dans le "pipe", confirme une source ministérielle. Elle va arriver incessamment sous peu. » Et Véran a fait ce qu’il faut mardi pour préparer les esprits : « Le préfet [de Paris] nous a interrogés sur la possibilité d’aller fermer ces commerces à partir d’une certaine heure », a-t-il confirmé. Au même moment, Castex, devant les députés LREM, se voyait prié par l’un d’eux d’éviter « les contre-ordres ». « Il nous faut des messages clairs pour faire accepter le confinement et là, on ne les a pas », s’est plaint un autre. Avant ce couac sur le couvre-feu, Elisabeth Borne (Travail) et Bruno Le Maire (Economie) avaient inauguré le concert de dissonances sur le télétravail : la première parlant d’une « obligation » pour les employeurs quand le second a d’abord évoqué une « recommandation » auprès des journalistes. Du petit-lait pour les oppositions. « Les gens sont d’une tolérance extraordinaire depuis des mois sur la gestion de cette crise, débine le secrétaire général LR, Aurélien Pradié. Personne chez les technos, après le premier confinement, ne s’est posé pour réfléchir au deuxième ? »

Aux questions d’actualité, les oppositions n’ont cessé, mardi, de canarder les incohérences gouvernementales. « On n’y comprend rien ! a lancé le chef des députés LR, Damien Abad. Vous pouvez pousser votre chariot avec des centaines de personnes autour mais pas aller dans un magasin où il y a trois clients. » « En quoi serait-il moins dangereux d’acheter sa baguette à la boulangerie qu’un livre à la librairie ? s’est interrogée la socialiste Christine Pires-Beaune. Les petits commerces seraient-ils plus dangereux que les selfs des lycées où des centaines d’élèves se côtoient sans masque ni distanciation ? » Et les oppositions de déplorer l’aubaine pour Amazon. Le ministre de l’Economie a dégainé sa taxe Gafa sur les géants du numérique - qui n’a pas empêché Amazon d’engranger des profits monstres - et s’est félicité d’avoir « rétabli l’équilibre » entre petits commerces et grandes surfaces.

Les députés de la majorité, nombreux à avoir demandé au gouvernement de faire cesser cette distorsion de concurrence, espéraient que l’annonce de fermeture des rayons « non essentiels » des supermarchés calmerait la colère. Rien n’est moins sûr. L’un d’eux admet le « côté kafkaïen » de cet entre-deux, « la pire décision mais la seule à prendre » : « On en est à devoir changer de place les dentifrices pour qu’ils ne soient pas à côté des rouges à lèvres », se désole-t-il. « Je peux expliquer pourquoi on ferme les clubs de sport où il y a eu des clusters mais je n’ai pas d’éléments scientifiques sur les contaminations dans les commerces », soupire le député LREM Jean-Baptiste Moreau, favorable à l’idée de « laisser la main aux préfets » sur le sujet, comme l’a proposé le Sénat.

« Regagner la bataille de la communication »
Empêtré dans la polémique sur les petits commerces, le gouvernement échoue ainsi à se faire entendre sur les motifs sanitaires des mesures. Macron a eu beau parler d’une vague « plus meurtrière » qu’au printemps, le message imprime moins. « La crise est revenue, elle est plus grave, l’acceptabilité des mesures dépend du fait que les Français comprennent cette gravité », a averti Castex, en visioconférence avec les députés LREM, relevant que dans la Loire, département particulièrement touché, pas un élu n’a contesté les mesures liées au confinement. « Cette deuxième vague, qui vient avec plus de fulgurance et d’ampleur, préoccupe moins notre inconscient collectif, observe Eric Bothorel, député LREM des Côtes-d’Armor. Il faut qu’on remette le sanitaire au milieu du village. Nous prenons ces mesures pour prévenir le risque de débordement de notre système de réanimation. » Son collègue Jean-Charles Colas-Roy exhorte aussi à « regagner la bataille de la communication sur le sanitaire » et suggère d’avoir de nouveau recours à des hôpitaux de campagne, « d’abord parce qu’on en aura besoin et aussi parce que cela marque les esprits ». Les macronistes sont nombreux à prédire que d’ici une dizaine de jours, quand la vague aura déferlé, les questions soulevées ces jours-ci seront retombées. « Le drame auquel on est confrontés, c’est que c’est la situation sanitaire qui va nous donner raison, voit venir Sacha Houlié, député de la Vienne. C’est terrible, il va falloir que le mur arrive pour que les gens entendent. »