Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : « C’est dès maintenant qu’il faut anticiper la campagne vaccinale de rappel »

Mai 2022, par Info santé sécu social

Journal d’épidémie

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société traversée par le Covid-19. Il s’inquiète de l’inertie et du silence de l’exécutif et de la Haute Autorité de santé, alors que le futur de la pandémie est incertain et le système de santé exsangue.

publié le 29 mai 2022
Dans un récent communiqué de presse, la Haute Autorité de santé (HAS) a appelé à « anticiper une vaccination périodique des plus fragiles » sur la base d’une possible apparition d’un nouveau variant à l’automne. Dans un contexte incertain, la HAS établit une stratégie vaccinale en fonction de la gravité de la situation épidémique. Dans le premier scénario, le plus optimiste, les futurs variants sont de moins en moins sévères, l’efficacité du vaccin pour éviter les formes graves se maintient, la HAS recommande une campagne de rappel vaccinal chez les seuls immunodéprimés. Dans le scénario intermédiaire, le virus poursuit son évolution et donne lieu à des reprises épidémiques périodiques, sans que l’immunité contre les formes graves soit significativement diminuée pour la majorité de la population : la HAS conseille alors une campagne vaccinale de rappel des personnes à risque. Dans le pire scénario, l’émergence d’un nouveau variant plus virulent entraîne une baisse de l’immunité contre les formes graves et les décès, nécessitant une campagne de rappel vaccinal pour la population générale en priorisant les plus fragiles.

Le Conseil scientifique muet depuis des semaines
La HAS a choisi d’opter pour le scénario médian, sans qu’aucune donnée objective n’explique ce choix. Mais si ce communiqué de presse a beaucoup fait parler de lui, dans un moment où le Covid est invisibilisé par les pouvoirs publics, peu de commentateurs ont pointé son caractère insolite. En effet, « La HAS s’est autosaisie afin d’émettre des recommandations pour une campagne vaccinale à l’automne 2022 dont les objectifs demeurent identiques à ceux fixés depuis le début de l’épidémie : réduire la morbi-mortalité associée à la Covid-19 et la diffusion de l’épidémie, maintenir les capacités du système de soin et les besoins vitaux de fonctionnement du pays. » Vous avez bien lu : la HAS s’est autosaisie, et le fait savoir. Prenant date pour la suite. Le Conseil scientifique est muet depuis des semaines, la « task force vaccinale » du professeur Alain Fischer ne communique pas plus, mais plancherait sur des commandes de vaccins pour l’automne.

Le gouvernement, lui, après avoir fait comme si la pandémie avait été vaincue par la seule force de l’esprit, a envoyé la nouvelle ministre de la Santé communiquer dans les médias : « Le plus dur est derrière nous » a expliqué Brigitte Bourguignon, reprenant des mots déjà utilisés à maintes reprises par son prédécesseur, même si nous ne sommes pas à l’abri d’ « une petite flambée » de Covid à l’automne. « Nous demandons aux personnes les plus fragiles de continuer à avoir les gestes barrières, se protéger, se vacciner ». Rappelons que cantonner le respect des gestes barrière aux personnes fragiles n’a aucun sens, dans la mesure où c’est de la dimension collective de ce respect que dépend notre protection à tous, y compris la leur.

Echec cuisant de la vaccination des enfants
Le cavalier seul de la HAS sonne comme une manière de rappeler son existence dans ce dossier vaccinal qui aura, depuis le début, singulièrement manqué de transparence. On se souviendra du calamiteux démarrage de la vaccination en France, et du professeur Fischer expliquant, alors qu’à peine 500 personnes avaient été vaccinées la première semaine, qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, et que la logistique n’était pas son fort. On constatera aussi que l’échec cuisant de la vaccination des enfants de 5 à 11 ans n’a donné lieu à aucun mea culpa, aucun retour d’expérience. Tout se passe, depuis le début, comme si la question vaccinale était une question purement scientifique, qu’il suffisait de déterminer quel vaccin administrer, à qui, quand… et que l’intendance suivrait.

En janvier 2021, la campagne a démarré quand soignants de ville et municipalités en ont pris les rênes pour monter les premiers centres vaccinaux, épaulés par les Agences régionales de santé. Depuis lors, les divers à-coups liés à l’exigence d’un pass sanitaire puis vaccinal, les injonctions l’été dernier à pratiquer les deux injections dans le même centre (qui mirent un coup de frein brutal à la vaccination en juin dernier), l’annonce au premier trimestre 2022 de la disparition prochaine du pass, tout ceci a engendré, dans les centres et chez les soignants qui vaccinaient au cabinet ou en officine, des tensions qu’il a fallu gérer au quotidien. A ces difficultés s’additionnait, hors des centres vaccinaux, la question délicate des approvisionnements en vaccin, aussi incertains que l’avait été en 2020 la livraison des masques en pharmacie. Et pourtant, une fois de plus, les plans les mieux préparés, dans l’opacité totale, par nos instances de santé publiques se heurtent au réel : l’absence totale de prise en compte des effecteurs. Les centres vaccinaux ont fermé les uns après les autres. On a décroché les dessins d’enfants des cloisons modulables, arraché devant les vaccinodromes les autocollants collés par des résistants éclairés, qui expliquaient que le vaccin allait transformer les enfants en démons grimpant aux murs.

Nous avons tout fait pour oublier le Covid
Personne à ce stade ne sait quand arrivera un nouveau variant, une nouvelle vague. On sait juste que les variants ont contourné en grande partie la protection offerte au départ par les vaccins contre la transmission, et que celle-ci diminue nettement douze semaines après la dernière injection. Or la stratégie française repose essentiellement sur la vaccination : les gestes barrière ont été abandonnés, l’information sur le risque aérosol n’a jamais été réellement diffusée et, au-delà des déclarations de principe, un réel investissement pour aérer et améliorer la qualité de l’air intérieur n’a jamais été entrepris. Tout repose sur la vaccination. Vaccination initiale pour obtenir une protection contre les formes graves, rappels pour maintenir celles-ci chez les plus fragiles, et pour diminuer le risque de transmission en population générale.

Lorsque le centre dans lequel je vaccinais a fermé mi-mai, nous réalisions essentiellement des seconds rappels chez des personnes de plus de 65 ans ou des personnes fragiles dont le rappel datait de l’automne 2021. Quelques très rares vaccinations infantiles, et quelques premiers rappels chez des sujets plus jeunes. Mais si BA.4 ou BA.5 font leur apparition en Europe bien avant l’automne, que se passera-t-il ? Que se passera-t-il si certains pays touchés par une recrudescence de contaminations modifient leurs règles sanitaires et imposent aux patients jeunes un rappel récent pour voyager ? Nous avons à ce stade tout fait pour oublier le Covid, pour ne plus suivre l’épidémie, pour laisser les contaminations se dérouler sous le radar, au prétexte qu’omicron serait « une chance » de par sa « bénignité ». Si l’épidémie repart, nous nous en rendrons compte trop tard. L’accalmie actuelle pourrait nous servir, tout en profitant de la levée de certaines mesures, à préparer l’avenir, à réexpliquer à la population les préceptes qui guident les choix politiques. Au lieu de quoi rien n’est fait pour permettre à chacun de mieux appréhender, même dans une relative incertitude, le risque qu’il court eu égard à son schéma vaccinal personnel et à ses comorbidités. On procède par injonctions, puis on s’étonne des réticences.

L’état de délabrement du système de soins
Tandis que nos instances de santé publique planchent sur les commandes de vaccin à venir, tout se passe, une nouvelle fois, comme si l’acte vaccinal lui-même allait de soi. « Pour des raisons de mobilisation et de logistique, la HAS préconise de coupler cette campagne de vaccination – à l’automne – contre la Covid-19 à celle de la grippe. » Rappelons que la campagne vaccinale contre la grippe se déroule à partir du mois d’octobre pour courir jusqu’en janvier, que les soignants de ville ne peuvent recevoir tous leurs patients « fragiles » la première semaine d’octobre, et qu’il existe un délai incompressible de dix jours entre le rappel et le réveil immunitaire et la protection immunisante d’anticorps.

La HAS, comme la task force, comme le gouvernement, semblent imaginer qu’une campagne de rappel des populations à risque pourrait être prise en charge au cabinet et en officine, sans infrastructure supplémentaire, sans réouverture de centres vaccinaux. Personne ne prend en compte réellement l’état de délabrement du système de soins, et la charge de travail des soignants en ville. Sans vaccins unidoses rapidement disponibles, et il n’en est pour l’instant pas question à si brève échéance, une campagne vaccinale de rappel conséquente nécessite d’anticiper dès maintenant la réouverture de centres vaccinaux dès la fin août. Mais la logistique, apparemment, reste un angle mort de nos politiques de santé. L’intendance suivra. Elle a toujours suivi. Jusqu’à quand ?