Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 Vaccins : Macron voit la vie en doses

Mai 2021, par Info santé sécu social

Le Président a annoncé jeudi l’ouverture de la vaccination à tous un mois plus tôt que prévu. Une fin de la priorisation motivée par un accroissement des livraisons.

Publié le 6 mai 2021
Emmanuel Macron pousse les feux de la vaccination. Jeudi, lors de l’inauguration du premier vaccinodrome parisien Porte de Versailles, le chef de l’Etat a grand ouvert le spectre des personnes éligibles aux injections : à compter de mercredi à 16 heures, soit un mois plus tôt que prévu, tous les adultes qui le souhaitent pourront prétendre à leur dose. Si Macron a conditionné cet élargissement au fait qu’il reste des créneaux disponibles, cela reste bien théorique. Chaque Français de plus de 18 ans pourra s’inscrire via les plateformes habituelles dans quelques jours. Objectif ? « Optimiser » les doses, dixit le chef de l’Etat, après les critiques concernant celles non injectées, et donc perdues. « A Paris et en région parisienne, il n’y a pas eu de doses gâchées », a tenu à rappeler Macron. Autre annonce marquant cette « accélération », les plus de 50 ans pourront eux se faire vacciner dès lundi, avec cinq jours d’avance sur le calendrier initialement fixé par le gouvernement. Ils ne seront du coup « prioritaires » que trois jours…

Le changement de stratégie est brutal. Il y a trois jours, le président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, Alain Fischer, défendait encore une tout autre ligne : « Il reste des personnes plus âgées plus fragiles à vacciner, et garder l’idée d’une priorité pour les personnes les plus à risque d’être hospitalisées et de mourir est absolument indispensable », insistait-il sur France Culture, jugeant prématuré un élargissement de la cible vaccinale à l’ensemble des adultes avant mi-juin. Et l’immunologue d’ajouter : « Depuis [le 1er mai], les gens âgés de 18 à 50 ans et fragiles sont éligibles, ça représente 4 millions de personnes et il faut qu’elles puissent recevoir la vaccination. »

« Ecouler un surplus »
Le chef de l’Etat assume ce virage, s’appuyant sur la réussite de la campagne dans les maisons de retraite : « Nous avons concentré l’effort au début sur les plus âgés, sur nos aînés qui sont en Ehpad, a-t-il rappelé jeudi. Il y a un an, et nous nous en souvenons avec beaucoup de douleur […], nous avions entre 400 et 450 morts par jour dans nos Ehpad. Aujourd’hui, grâce à cette vaccination, il y a entre 0 et 10 morts par jour en Ehpad. » Surtout, Macron n’a plus le temps d’attendre. En butte aux critiques des scientifiques qui estiment prématurée et mal ciblée la levée annoncée des restrictions, le locataire de l’Elysée n’a plus d’autre choix que d’accélérer le rythme pour prévenir le risque de rebond épidémique. « Je suis ravi, indique l’infectiologue de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, Eric Caumes. Plus on vaccine, mieux c’est. Surtout si on rouvre tout à partir du 19 mai. Mais Macron raisonne plus en économiste qu’en épidémiologiste : il gère un stock. Au début, il a géré la pénurie. Aujourd’hui, il écoule un surplus. »

De fait, les livraisons de vaccins montent en puissance : la France doit recevoir 16 à 17 millions de doses en mai, et quelque 20 millions en juin. Pour Macron, l’objectif que s’est fixé le gouvernement d’atteindre 20 millions de primo-injectés à la mi-mai (on en était mercredi à 16,8 millions) et 30 millions à la mi-juin est donc toujours d’actualité. L’offre étant là, pas question de laisser la demande s’essouffler. Fin avril, plusieurs métropoles avaient déjà pris le parti de s’affranchir des règles nationales. A Bastia et Porticcio, en Corse, les plus de 18 ans peuvent se faire vacciner sans mal depuis le 30 avril. Et depuis samedi à Nice. A Cannes, ce sont uniquement les plus de 40 ans qui y ont droit depuis fin avril. Loin de s’en offusquer, l’exécutif a sans le dire accompagné le mouvement, ouvrant fin avril l’accès au vaccin aux plus de 18 ans avec comorbidités, tout en laissant aux vaccinateurs le soin de réclamer ou non une attestation de vulnérabilité…

Chausse-trappe AstraZeneca
Pour Macron, il s’agit aussi de contourner la chausse-trappe AstraZeneca. Les difficultés grandissantes à écouler ce vaccin, initialement considéré comme le fer de lance de la campagne vaccinale, inquiètent. Depuis trois semaines, le nombre de personnes vaccinées quotidiennement par AstraZeneca a été divisé par près de trois. Dimanche, avant une nouvelle livraison de 2 millions de doses, son taux d’utilisation par rapport aux stocks disponibles n’était que de 75 %, contre 85 % pour Moderna et 90 % pour Pfizer. L’étroitesse de la cible à qui il peut être proposé y est pour beaucoup. Après la découverte d’effets secondaires rares mais graves, la Haute Autorité de santé (HAS) préconise depuis le 19 mars de le réserver aux plus de 55 ans… « Ne pas donner AstraZeneca aux moins de 55 ans, c’était une erreur, estime l’infectiologue Karine Lacombe. S’en passer dans la stratégie vaccinale est un vrai problème. » Sollicitée par le gouvernement, la HAS étudie la possibilité d’assouplir sa recommandation. En élargissant l’accès au vaccin, Macron lui laisse le temps de la réflexion. Tout en raffermissant ses chances d’atteindre son objectif. Le professeur Caumes salue : « S’il arrive à tenir le pari de 30 millions de primo-injectés mi-juin, on peut espérer contrôler l’épidémie, même à un niveau élevé. »