Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : l’été d’urgence permanent

Juillet 2020, par Info santé sécu social

Par Anaïs Moran, 24 juillet 2020

Les autorités sanitaires françaises enregistrent pour la troisième semaine consécutive une augmentation des cas et s’inquiètent du relâchement de la vigilance en raison des vacances.

C’est une remontée discrète, pour l’heure sans flambée brutale et incontrôlée, mais la régularité de sa progression est observée avec la plus grande vigilance par les autorités : en France, le nombre de personnes infectées par le Covid-19 est en augmentation pour la troisième semaine consécutive. « La progression de la transmission du virus se confirme », atteste Santé publique France dans son dernier bulletin hebdomadaire, daté de jeudi. « Nous avons ainsi effacé une bonne partie des progrès que nous avions accomplis dans les premières semaines du déconfinement », est même allé jusqu’à dire, vendredi, la Direction générale de la santé dans un communiqué.

Selon les données de l’agence sanitaire, 3 589 nouveaux cas ont été recensés la semaine dernière (du 13 au 19 juillet) sur le territoire métropolitain, soit 27% de plus que la semaine précédente, après les premières hausses hebdomadaires, de 21% (la semaine du 6 juillet) et de 13% (la semaine du 29 juin). Avec cette composante primordiale : l’augmentation des nouveaux cas positifs au Sars-CoV-2 est désormais supérieure à celle du nombre de patients testés. « Ces résultats montrent que la hausse des cas observée n’est qu’en partie liée à l’intensification des actions de dépistage, mais reflète une augmentation réelle de l’incidence, en particulier des formes symptomatiques en France métropolitaine », alerte Santé publique France, qui craint une « reprise de l’épidémie et son moindre contrôle ».

« On n’est pas dans quelque chose d’explosif, mais l’intensification de circulation virale se poursuit. La situation empire petit à petit », commente le mathématicien Jean-Stéphane Dhersin, spécialiste en modélisation des épidémies au CNRS et à l’université Sorbonne-Paris-Nord. « On est dans l’équivalent d’un début d’épidémie. On se situe dans quelque chose de très aléatoire, comme si on jouait aux dés. Il suffit d’un événement super-contaminant mal maîtrisé pour que ça redécolle. » D’autant que le nombre de nouvelles contaminations est loin d’être le seul indicateur épidémiologique à être significativement à la hausse.

Les yeux rivés sur le taux d’incidence
Indicateur privilégié par les autorités pour suivre la dynamique de transmission du virus, ce taux indique la part de personnes infectées parmi 100 000 individus. Au 19 juillet, il s’établissait en France à 6,6 pour 100 000 habitants, un chiffre légèrement plus conséquent qu’il y a deux semaines (5,6). Plus localement, si en Guyane et à Mayotte « les pics épidémiques semblent dépassés », deux départements métropolitains affichent désormais des indices égaux ou supérieurs à 20 /100 000 personnes (la Mayenne et les Vosges) et cinq autres sont au-dessus de 10 /100 000 (le Finistère, le Val-d’Oise, le Haut-Rhin, la Seine-Saint-Denis et Paris). Soit sept départements au-dessus du seuil de vigilance, qui enregistrent tous au moins un cluster parmi les 447 recensés en France. Un quart d’entre eux étaient toujours en cours d’investigation mercredi.

« Le degré de vigilance est redevenu maximal, expose le directeur général de l’agence régionale de santé Ile-de-France, Aurélien Rousseau. On a tous peur d’un rassemblement qui passerait sous les radars et qui nous "tomberait" dessus quelque temps plus tard. » Jean-Stéphane Dhersin complète : « Tous les épidémiologistes sont actuellement sous haute tension, certains écourtent même leurs vacances car ils ont conscience qu’on peut tirer le mauvais dé à tout moment. » Trois départements métropolitains sont actuellement classés en niveau de « vulnérabilité modéré » et font donc l’objet d’une surveillance particulière : le Finistère, les Vosges et la Gironde.

Suspicions de Covid : une hausse « modérée »
Qu’il s’agisse des consultations en médecine de ville, des actes effectués par SOS Médecins ou des passages aux urgences, toutes les courbes sont à la remontée. Certes, ces indicateurs comportent des limites, puisqu’ils recensent les suspicions et non les cas confirmés. « Mais quand ils vont tous dans le même sens, en même temps, c’est qu’ils sont le signe d’un redémarrage, sans la moindre ambiguïté », indique Renaud Piarroux, chef du service de parasitologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et participant au suivi épidémiologique pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Ainsi, Santé publique France constate que le nombre de rendez-vous chez le médecin généraliste pour une infection respiratoire aiguë suit « une tendance à la hausse pour la troisième semaine consécutive » (les estimations sont dorénavant de l’ordre de 36 consultations pour 100 000 habitants). Les passages aux urgences ont grimpé de 26% entre le 6 et le 19 juillet. Et les interventions des équipes de SOS Médecins ne cessent de se multiplier depuis quatre semaines. « On reste bien sur des valeurs tout de même modérées, qui n’ont rien à voir avec le pic de l’épidémie », désamorce Serge Smadja, le secrétaire général de la structure associative, qui rappelle que « seulement » 3 163 actes médicaux ont été comptabilisés la semaine dernière (alors qu’au mois d’avril, 2 500 actes pouvaient être enregistrés en vingt-quatre heures). « Mais oui, on constate une hausse réelle, qui ne doit absolument pas être prise à la légère, même si ces trois derniers jours se sont plutôt stabilisés. »

Derniers indicateurs porteurs de mauvaises nouvelles : les nouvelles admissions en hospitalisation conventionnelle et en réanimation pour Covid-19 se maintiennent à des niveaux bas, mais ne diminuent plus.

Nouvelle augmentation chez les personnes âgées
Qui sont les nouveaux positifs ? D’après les dernières données, 54% des cas sont actuellement des personnes asymptomatiques. Une proportion qui diminue de semaine en semaine puisque le nombre de personnes symptomatiques, lui, ne fait qu’augmenter (+ 34% entre la semaine passée et la précédente, + 48% la semaine du 29 juin).

Autre donnée essentielle : toutes les tranches d’âge sont aujourd’hui concernées. Jusqu’alors épargnées par ce nouveau rebond de contamination, les personnes âgées de plus de 75 ans voient, pour la première fois, leur courbe de positifs remonter (passant de 218 à 287 personnes en une semaine). Le nombre reste faible et le retour à la hausse est encore à confirmer, mais l’inquiétude grandit quand on y ajoute l’intensification des signalements des cas de Covid-19 émis par les établissements médico-sociaux (notamment les Ehpad). « Cette tendance est un signal préoccupant qui doit être suivi avec la plus grande attention », relève l’agence sanitaire dans son rapport épidémiologique. Le professeur Renaud Piarroux insiste sur cet enjeu : si, en Ile-de-France, la moyenne d’âge des nouveaux cas positifs est par exemple descendue à 46 ans, le danger est de la voir remonter. « Les personnes âgées se protègent mieux, mais d’ici quelques semaines la circulation du virus va être encore plus forte et il existe un risque que le Sars-CoV-2 finisse par les atteindre plus massivement. »

Embouteillage au dépistage
Sur ce point, le constat de Santé publique France est inquiétant : « En termes de délais de dépistage, il est observé une diminution des nombres de personnes testées dont les symptômes sont les plus récents et une hausse des nombres de patients testés pour lesquels les symptômes sont plus tardifs. […] Ces tendances pourraient être la conséquence d’une augmentation des délais d’attente pour la réalisation du test de RT-PCR. » Depuis plusieurs semaines déjà, les professionnels du terrain remontent le même son de cloche. Dans les Hauts-de-France, en Ile-de-France, en Bretagne, les délais de prise de rendez-vous en laboratoire, mais aussi le temps d’attente avant les résultats, se sont prolongés.

« Chez nous, certaines personnes doivent attendre six jours avant de pouvoir se faire tester, alors qu’elles sont probablement déjà contagieuses. Ces délais sont scandaleux », regrette Antoine Brinquin, médecin généraliste dans le Finistère. « On est en tension sur certains territoires, on n’arrive pas toujours à tenir les délais de vingt-quatre heures maximum, concède Lionel Barrand, responsable du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Nous sommes submergés par les vacanciers qui souhaitent se faire tester par commodité. Alors forcément, dans les endroits où se situent les clusters, ça peut coincer. » A l’heure actuelle, la France pratique 400 000 tests PCR par semaine. Depuis le déconfinement, le gouvernement a assuré pouvoir monter jusqu’à 700 000. « Je le pense aussi », affirme François Blanchecotte, le président national du Syndicat des biologistes, qui salue le « bol d’air » accordé mercredi par le ministre de la Santé, Olivier Véran, en autorisant les secouristes et les aides-soignants à réaliser des tests : « J’espère que tout le monde a bien conscience que le dépistage ne doit pas empêcher de maintenir les gestes barrières. La seconde vague a commencé au premier jour du déconfinement, elle ne va faire que monter en puissance, on doit rester sérieux. » Santé publique France ne dit pas autre chose : pour l’agence, la progression de la transmission du virus restera maîtrisable « par l’application stricte des mesures par chacun de nous ».