Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : la recherche publique sur le vaccin retardée par les laboratoires

Décembre 2020, par Info santé sécu social

8 DÉCEMBRE 2020 PAR ROZENN LE SAINT

Les fabricants de vaccins distillent au compte-gouttes leurs données d’efficacité et de sûreté, même aux pouvoirs publics. Ils rechignent aussi à ce que des expérimentations académiques complètent leurs propres tests pour mieux éclairer le gouvernement. Seul Moderna accepte que l’Inserm teste son vaccin début 2021, au moment de sa distribution en France. L’institut de recherche était pourtant prêt à embrayer dès octobre.

Le gouvernement français insiste souvent sur la transparence dans un pays réputé pour son vaccino-scepticisme. Mais pour rendre publiques des données, encore faut-il en avoir. Or les fabricants de vaccins contre le Covid-19 traînent le pas pour dévoiler leurs résultats complets. Ils éclaireraient pourtant la lanterne des États qui disposent de quelques semaines seulement pour affiner leur stratégie vaccinale avant le lancement de la campagne.

Lors de la conférence de presse interministérielle du 3 décembre en définissant les grandes lignes, le « Monsieur vaccin » Alain Fischer a été transparent, certes, mais pas forcément rassurant quant à la soumission des autorités publiques au bon vouloir des firmes pharmaceutiques. Et ce à un mois, plus ou moins, de l’arrivée attendue des premières doses de vaccins dans l’Hexagone.

« Pour l’instant, nous ne disposons que de communiqués de presse de la part des industriels, nous attendons, et en tant que scientifique, j’attends avec impatience des publications scientifiques, a admis le professeur d’immunologie. Des dossiers très complets vont être ou sont déjà adressés aux autorités réglementaires mais dont nous n’avons pas connaissance ». Le chercheur en biologie fait pourtant partie du comité scientifique vaccin Covid-19 mis en place dès le mois de mai pour conseiller le gouvernement. Autrement dit, du groupe d’experts français censé le mieux connaître les futurs boucliers anti-Covid-19.

L’infectiologue Odile Launay, qui en est également membre (voir en Boîte noire), concède avoir « besoin de données pour affiner la connaissance de la réponse immunitaire et déterminer quel vaccin devrait fonctionner pour quelle population ». Puis tente de rassurer : « On peut comprendre que les éléments arrivent au fur et à mesure compte tenu de la rapidité du développement des vaccins. On fait avec ce qu’on a ».

De son côté, Dominique Deplanque, médecin coordonnateur du centre d’investigation clinique du CHU de Lille (Nord) explique la complexité de la situation : « Les premiers résultats d’efficacité des phases finales d’essais cliniques ont été établis courant novembre, on ne pouvait pas les obtenir avant. Mais ensuite les laboratoires ont privilégié les communiqués de presse plutôt que l’envoi d’éléments scientifiques, c’est frustrant. Malheureusement, c’est un travers qui s’accentue ». Seuls les résultats intermédiaires d’efficacité d’AstraZeneca ont été publiés dans une revue scientifique, The Lancet, le 8 décembre.

Alors qu’est-ce que les pouvoirs publics savent au juste en plus des informations distillées avec parcimonie par les laboratoires ? À ce jour, seule l’Agence nationale de santé et de sécurité du médicament (ANSM), la police sanitaire française, dispose de l’ensemble des résultats de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Et ce car ses délégués font partie du comité scientifique de l’Agence européenne des médicaments (AEM), à qui ces fabricants de vaccins ont déposé des demandes d’autorisation de mise sur le marché, les 30 novembre et 1er décembre.

Au 10 novembre, soit le lendemain de la diffusion du communiqué de presse de Pfizer-BioNTech (mais plus d’un mois après la mise en place d’une procédure d’examen accéléré en continu de ce candidat vaccin), l’Agence européenne du médicament avouait à Mediapart qu’elle « n’avait pas encore eu l’occasion d’évaluer formellement les données d’efficacité émergentes, qui n’ont pas encore été soumises par l’entreprise » et qu’elle le ferait « dès qu’elles auront été envoyées par la société ».

Pour les agences réglementaires, chargées de s’assurer de l’efficacité et de la sûreté des produits en examinant des piles monumentales de dossiers, c’est la course. Cela le sera aussi pour la Haute Autorité de santé (HAS), qui devra conseiller le gouvernement dans la foulée de la remise de la décision de l’AEM, en quelques jours. Elle devra préconiser à qui précisément distribuer le vaccin ayant obtenu le droit d’être vendu en fonction de ses spécificités, avant que l’exécutif ne donne le go de la campagne de vaccination.

Or, compte tenu de la pression politique, les experts de la HAS seront pressés. L’AEM s’est engagée à livrer sa décision et son éventuel feu vert au vaccin de Pfizer-BioNTech « le 29 décembre au plus tard ». Et Emmanuel Macron a envisagé une distribution des premières doses dès la fin de l’année… Ces quelques semaines entre les résultats d’efficacité et l’obtention de l’autorisation de commercialiser le vaccin sont cruciales pour éviter des prises de décision dans la précipitation.

Alors les membres de la HAS aimeraient d’ores et déjà prendre de l’avance. Après avoir déposé son dossier auprès de l’AEM le 1er décembre, Pfizer-BioNTech lui a transmis des éléments concernant la dernière phase de ses essais cliniques, mesurant l’efficacité de son vaccin. « Nous encourageons les laboratoires à nous envoyer tous les éléments qui pourraient nous aider en amont de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché dans le cadre d’un principe de pré-dépôt, fait savoir Lise Alter, directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique à la HAS. Nous attendons encore des données sur la dernière phase des essais cliniques de Moderna ».

Les experts des comités scientifiques français en sont rendus à scruter toute information en provenance de l’étranger. Et notamment des États-Unis, puisque la Food and Drug Administration (FDA) examine aussi les données de Pfizer-BioNTech. L’agence sanitaire américaine a commencé à mettre en ligne de précieux documents (ici et là) ce 8 décembre, résumant son examen du vaccin en vue de la réunion publique du 10 décembre.

Elle devrait alors se prononcer sur l’octroi de son autorisation de mise sur le marché aux États-Unis. Sans doute un feu vert puisque ses experts estiment que les résultats de Pfizer-BioNTech « suggèrent un profil de sécurité favorable, sans identification de problème de sécurité spécifique qui empêcherait » l’autorisation en urgence.

Avant cela, les chercheurs français ont aussi regardé du côté du Royaume-Uni, le premier pays au monde à avoir autorisé la commercialisation d’un vaccin contre le Covid-19, celui de Pfizer-BioNTech. Un document des autorités britanniques à destination des professionnels de santé en charge de la vaccination est riche d’enseignements.

Sa lecture nous apprend ainsi que si le taux d’efficacité revendiqué du vaccin est le même pour les personnes de 75 ans ou plus, la marge d’erreur de ce résultat est bien plus importante, du fait du faible nombre de participants de cet âge. Cela confirme que les premières personnes à recevoir des injections, celles qui ont le plus de risques de mourir du Covid-19, seront aussi celles sur lesquelles le produit a le moins été testé…

La recherche publique française aurait pu disposer de sa propre mine d’or d’informations complémentaires pendant ce précieux laps de temps, avant le lancement de la campagne vaccinale début 2021… Mais c’était sans compter le manque de coopération des industriels.

Les liens d’intérêts entretenus par quatre membres sur douze du comité vaccin Covid-19 avec les fabricants de vaccins contre le Covid-19 n’ont visiblement pas aidé à l’obtention d’informations en coulisse. Trois d’entre eux ont perçu moins de 5 500 euros de rémunération de leur part depuis 2015.

Seule l’infectiologue Odile Launay entretient des liens d’intérêts conséquents avec l’industrie pharmaceutique. Selon EurosForDocs, qui reprend les données de la base publique Transparence santé, les laboratoires ont dépensé plus de 120 00 euros en tout depuis 2012 pour l’infectiologue, essentiellement trois producteurs de vaccins contre le Covid-19 : Sanofi, Pfizer et Johnson & Johnson.

En 2020, elle a été rémunérée à hauteur de 1 250 euros de la part de Johnson & Johnson et de plus de 9 000 euros de la part de Sanofi, qui espère distribuer son vaccin à partir de juin 2020. « Cela n’avait rien à voir avec le Covid-19, j’ai arrêté tout ce que je faisais avec les laboratoires depuis. Les membres du comité déclarent leurs liens d’intérêts et quand nous en avons avec les laboratoires sur lesquels portent les discussions, nous n’intervenons pas, nous-nous déportons, c’est-à-dire que nous assistons à la réunion en observateur », se justifie la professeure auprès de Mediapart.