Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : la vraie stratégie de Macron

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Christian Lehmann, médecin et écrivain

Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.

Depuis le début de ce « journal d’épidémie », j’ai essayé de ne publier que des données factuelles, sourcées, vérifiées. Elles ont certes été présentées de manière subjective… Nul n’y échappe quand il s’agit d’essayer d’éclairer le lecteur (et soi-même) face à une situation mouvante aux multiples inconnues. J’ai souvent freiné ma plume (ou mon clavier), pour ne pas laisser libre cours à une intuition dont je me méfiais tant l’envie de briller, de se singulariser, a amené de nombreux confrères à succomber à l’ivresse des plateaux.

Oui, de même qu’il existe un mal aigu des montagnes, il existe une maladie liée à la médiatisation, qui amène y compris les plus habituellement prudents à se prendre pour des oracles, à répéter devant tous les micros le mantra qui leur a valu un petit quart d’heure de gloire warholien, quel qu’en soit le coût pour la société. On sort une molécule de son chapeau (je reste poli et freine ma veine proctologique, parce que nous sommes dans Libération, pas sur Sud-Radio) et contre vents et marées, on s’accroche à cette image de gourou et de sachant en entraînant derrière soi une cohorte de Jean-Kevin virologues persuadés que tous les autres médecins veulent leur mort, alors qu’ils tentent désespérément de résister à un engouement collectif basé sur du vent.

On balance des tweets pour expliquer que l’épidémie ne connaîtra pas de deuxième vague (on peut même mettre en doute l’existence d’une première vague, gros succès garanti), puis lorsqu’on est confronté à la remontée des cas on aura tout loisir d’expliquer qu’on a été mal compris, et de travestir en rabat-joie conformistes les Cassandre prudents qui inlassablement ont répété que rien n’était gagné et qu’il était important de poursuivre les mesures barrières et la distanciation sociale. On met en doute l’utilité des masques, on dénonce leur obligation comme une mesure fascisante, puis on lance pépouze un salut nazi sur un plateau télévisé pour ensuite expliquer qu’on souffre atrocement d’une tendinite de l’épaule qui entraîne ce genre de mouvement convulsif, à l’instar de Peter Sellers dans le Docteur Folamour de Kubrick.

C’est open bar, en fait. Il suffit de n’avoir aucune conscience des conséquences de ses prises de parole. Au final, ces pitreries médiocrement égocentriques discréditent profondément la parole médicale, et tous les soignants de terrain qui s’efforcent de faire face à la situation.

« Louis la Brocante »
Pour une fois, je vais cependant vous faire part d’une intuition avant d’avoir eu le temps ou la possibilité d’en sourcer toutes les facettes. Et parce que je ne suis pas druide à Marseille, ou pythie à la Pitié, je vous conseille d’essayer de chercher par vous-mêmes dans l’évolution de la situation des semaines à venir toutes les données qui viendront infirmer la thèse que je présente.

Vendredi dernier, Emmanuel Macron était censé prendre la parole. Vingt-quatre heures auparavant, Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, s’épanche dans tous les médias pour expliquer que l’exécutif, confronté à une situation qui se dégrade rapidement, va certainement être amené « à prendre des décisions difficiles ». Immédiatement, le chef de l’Etat réagit pour rappeler que « le Conseil scientifique est dans son rôle, qui est technique », mais que les décisions relèvent du pouvoir politique, et de lui seul. Le lendemain, vendredi 11 septembre, Jean Castex, théoriquement en isolement en attente d’un résultat PCR, remplace au pied levé un Olivier Véran qui jusque-là n’avait pas démérité aux yeux de l’Elysée, et présente à la presse une série de mesures très en deçà de ce à quoi on pouvait s’attendre. Pas de reconfinement même territorialisé alors que certaines régions flambent, pas de mesures fortes hormis la diminution de la période d’isolement de quatorze à sept jours.

Mais aucune réponse n’est donnée aux inquiétudes des enseignants et des parents face à une rentrée scolaire perturbée, à une rentrée universitaire qui s’annonce extrêmement difficile. Aucune réponse n’est donnée aux patients vulnérables et à leurs proches, qu’avec la complicité d’associations ravies de jouer les mouches du coche, le gouvernement a renvoyés au travail en présentiel, du jour au lendemain. Un internaute aura sur Twitter cette réplique cinglante : « Toute la semaine on a eu la bande-annonce de Mission impossible et on se retrouve avec un épisode de Louis la Brocante. »

Alors que l’ensemble de la stratégie gouvernementale prétend se baser sur les tests, le traçage et l’isolement, le Premier ministre se contente d’annoncer que les délais de rendez-vous et de résultats des tests PCR étant trop longs, les laboratoires biologiques sont priés d’accélérer la manœuvre, et de prioriser les patients symptomatiques. Dans la réalité, les médecins sont dans l’incapacité de faire tester leurs patients dans les temps. Un système qui fonctionnait correctement en vitesse de croisière à 500 000 tests par semaine a été totalement mis à bas par la volonté d’annoncer 1 million de tests par semaine, au-dessus de l’objectif promis de 700 000 tests par semaine. Qu’importe l’efficacité pratique du moment qu’on peut afficher une politique du chiffre.

« La fin de la récré »

Aucune de ces annonces n’a vocation à modifier réellement la stratégie choisie par le gouvernement, qui consiste à prioriser l’économie sur la santé publique. Le Conseil scientifique, mais aussi la cellule de crise du ministère de la Santé, et Olivier Véran, ont perdu cette fois-ci, et définitivement probablement, tous les arbitrages. Le gouvernement ne fait plus semblant de protéger les faibles, d’éviter les contaminations. Dans les ministères, des fonctionnaires nous expliquent qu’on les a forcés à revenir travailler en présentiel « pour donner l’exemple ». Les diverses injonctions aux jeunes répétées par le gouvernement et à longueur de tribunes, appelant « à siffler la fin de la récré » pointent la responsabilité d’une classe d’âge tout entière, alors même qu’on entasse comme chaque année des étudiants par centaines dans des amphis trop petits, mal ventilés, dans des conditions de travail aussi déplorables sur le plan éducatif que sur le plan sanitaire.

Dans le même temps, dans la presse, des collaborateurs ministériels bien informés laissent fuiter que le gouvernement attend avec ferveur et confiance le vaccin, qui ne devrait tarder. Dimanche 13 septembre, ce vœu pieux est repris sur France Inter par Geoffroy Roux de Bézieux. Le patron du Medef explique que « si on reconfine, on assistera à un effondrement de l’économie », et que ses divers contacts lui permettent d’entrevoir l’arrivée d’un vaccin au premier trimestre 2021. Sur le plan médical, cette fake news ne tient pas l’analyse une seconde. De même qu’un magicien n’arrive jamais en avance ou en retard mais précisément à l’heure, un vaccin arrive… quand il arrive. Un vaccin peut être proposé à la population et déployé lorsqu’il a fait la preuve de son efficacité et de son innocuité, pas avant.

Certes, il est possible d’accélérer dans une certaine mesure les procédures, mais de même qu’on ne balance pas de l’hydroxycholoroquine par cagettes entières parce que la Madone de Notre-Dame-de-la-Garde est apparue à Didier Raoult pendant que son Régécolor séchait, de même on ne vaccine pas de force et en urgence en vaccinodrome une population rétive aux injonctions sanitaires après une année de gestion calamiteuse… Le seul but de ces annonces est de faire paraître acceptable la prise de risque actuelle, avec une remontée prévisible des contaminations, en agitant de manière subliminale l’espoir que cela ne dure pas trop longtemps, que la solution soit bientôt au bout du tunnel. La France a été confinée parce qu’il n’y avait pas de stock pandémique de masques, elle ne peut se permettre d’être reconfinée en l’absence de vaccin. Donc, de même qu’« il n’y a jamais eu de pénurie de masques », le vaccin sera disponible au premier trimestre 2021. CQFD…

Alertes répétées
Un choix a été fait, devant une situation dont je ne nie pas la complexité. Et je n’affirme pas que ce choix est mauvais, je n’en sais rien. Les conséquences économiques de la crise sanitaire et du confinement, malgré des dispositions fortes de protection sociale prises au printemps, sont devant nous. La pauvreté, le chômage, l’isolement des personnes âgées, les conséquences psychologiques des restrictions de liberté d’aller et venir, tout ceci pèse sur l’économie du pays ET sur la santé des Français. Mais ce choix a été fait sans être jamais expliqué aux Français.

La seule bonne nouvelle de ces derniers mois, c’est que jusqu’à présent, les contaminations récentes donnent lieu à des formes moins graves de la maladie. Parce que le virus a circulé principalement au sein d’une population jeune sujette majoritairement à des formes moins graves, voire asymptomatiques. Mais aussi très probablement parce que les alertes répétées des Cassandre, les tribunes pour inciter l’exécutif à instaurer le port du masque en lieu clos, la diffusion des informations sur les risques d’aérosolisation du virus, ont amené à un relèvement global du niveau de protection par les mesures barrières. De même qu’il nous a fallu plus de six mois pour faire admettre que le virus pouvait se propager par aérosolisation et que l’aération naturelle des pièces était une mesure forte de protection, il nous faudra probablement encore six mois pour confirmer que le port du masque en lieu clos, même imparfait, limite les inocula viraux lorsqu’une contamination a quand même lieu, et évite la majorité des formes graves.

Mais la décision du gouvernement ne se base pas sur cette hypothèse d’une moindre dangerosité actuelle des contaminations. En mars déjà Emmanuel Macron avait été tenté de « chevaucher le tigre », de laisser passer le virus dans la société, d’où cette injonction à continuer à aller au théâtre, à se rendre aux urnes pour un premier tour incohérent et mortifère, quelques jours avant le confinement. Comme Boris Johnson avant lui, et avec les conséquences qu’a connues l’Angleterre, Emmanuel Macron a choisi la stratégie de l’immunité collective. Sans l’avouer.

Christian Lehmann médecin et écrivain