Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : le diagnostic implacable de William Dab devant la commission d’enquête

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Anaïs Moran — 24 juin 2020

Entendu lundi par les députés qui travaillent sur l’épidémie, l’ancien directeur général de la Santé n’a pas épargné les autorités sur leur gestion de la crise.

L’audition aura été encore plus cinglante que ses sorties médiatiques. Interrogé lundi par les députés de la commission d’enquête sur le Covid-19, William Dab, ancien directeur général de la santé (DGS) de 2003 à 2005, médecin et épidémiologiste, ne s’est pas privé de poursuivre sa critique – très sévère – de la gestion de la crise par les autorités. Présent dès le mois de mars dans la presse et les radios pour interpeller sur les choix gouvernementaux, l’expert brillant et respecté, connu pour être un mesuré, avait dû « forcer sa nature » selon ses propres dires et sortir du silence, tourmenté par la situation sanitaire française. Trois mois plus tard, il semblait devant l’Assemblée nationale tout aussi préoccupé. « Pourquoi n’étions-nous pas mieux préparés alors que la pandémie était inévitable ? Il y a une reconstitution des décisions publiques à faire », a-t-il exposé dès son introduction. Avant de dérouler son exposé durant presque deux heures et demie, l’air grave et les mots impitoyables.

« Les leçons à tirer »
Comme d’autres, l’ex-DGS a pointé les « aspects conjoncturels » du début d’épidémie. Entendre : l’absence de masques et de tests. Trop éloigné des décisions politiques pour apporter des réponses concrètes sur le pourquoi du comment de ces manquements, William Dab s’est concentré sur les « leçons à tirer ». Au sujet des masques, il est revenu sur le changement de discours du gouvernement en cours de route. « Il y a eu ce réflexe habituel de tomber dans un discours péremptoire. Au lieu de dire "nous n’avons pas la preuve de l’efficacité des masques", ce qui est vrai, on a dit "ils ne sont pas efficaces, voire dangereux" », a-t-il analysé. Taclant au passage mais sans le nommer Jérôme Salomon, l’actuel directeur général de la santé, dont il est pourtant proche : « Pour des spécialistes des maladies infectieuses, dire que le masque est dangereux, c’est un peu curieux quand même. »

S’agissant des tests, le médecin estime qu’une capacité massive de diagnostics aurait permis « un confinement ciblé et pas généralisé ». Une stratégie qui aurait été bien meilleure selon lui. « Je crois qu’on en a trop fait, parce que si l’objectif du confinement était de soulager les tensions hospitalières, alors il était logique de le faire dans trois régions, mais pas dans les autres », a-t-il développé. « Ce que je note, c’est un problème de cohérence du discours. Soit on dit "nous voulons complètement stopper la circulation virale en France". Il est logique de confiner tout le monde. Soit on dit "le but du confinement est d’éviter l’effondrement hospitalier". Là je dis, la décision n’était pas cohérente avec ce but », a-t-il poursuivi.

Sans ménagement aucun pour les décideurs : « Le confinement peut avoir des effets indésirables. Je ne me prononce pas là-dessus, mais je vous dis rendez-vous l’année prochaine, quand on aura un bilan de l’ensemble de la mortalité dans notre pays et de ses causes, y compris la mortalité neurovasculaire, cardiovasculaire, on verra de quel côté était le principe de précaution. » Interrogé jeudi 18 juin par cette même commission, l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du Conseil scientifique, avait à l’inverse défendu le choix d’un confinement total : « En figeant la situation, on a permis aux zones préservées de le rester. Cela a permis de préserver les régions de l’ouest de la France et leur éviter de vivre une épidémie. »

« Savoir prendre des risques en sécurité sanitaire »
Face aux députés, William Dab ne s’est pas contenté de juger (« je ne critique pas, je pense rendre service », s’est-il justifié) les arbitrages et les défaillances observées depuis le début de la crise. Fraîchement retraité du Conservatoire national des arts et métiers, où il occupait la chaire d’hygiène et sécurité, le chercheur a profité de cette tribune pour réitérer son discours sur l’importance de la prévention. « En France, la santé publique a toujours été prise comme un secteur purement administratif et sans valeur ajoutée », a-t-il exposé. Dans la structure nationale de santé, chaque fois que nous dépensons 100 euros, 96 vont aux soins individuels, 4 vont à la prévention organisée. Les pays à forte santé publique sont plutôt sur un ratio de 90-10 ». Déplorant « un pilotage par les moyens plus que par les objectifs », l’expert a plusieurs fois souligné le manque d’injections financières dans Santé publique France, agence qu’il juge trop limitée pour déployer des « forces de santé publique sur le terrain ». Puis William Dab a répété, répété, répété : « Il faut savoir prendre des risques en sécurité sanitaire, il faut parfois investir. Globalement quand on investit en prévention, on gagne. »