Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : quel virus peut gagner la guerre des variants ?

Février 2021, par Info santé sécu social

Les mutations du Sars-CoV-2 compliquent la lutte contre l’épidémie. Sans que l’on sache précisément, pour l’instant, lequel des variants en présence finira par dominer les autres.

par Luc Peillon
publié le 12 février 2021

Quelque 3,3 % début janvier, autour de 14 % trois semaines plus tard, près de 25 % aujourd’hui… le variant britannique du Sars-CoV-2, dont l’une des spécificités est d’être plus contagieux, gagne du terrain en France. Selon le virologue Bruno Lina (CHU de Lyon), il devrait même être majoritaire dans l’Hexagone début mars, alors qu’il représente désormais plus de 90 % des contaminations outre-Manche. Et pour cause : partout où il a pris pied, il n’a fait que progresser, selon Santé publique France. Ses petits frères sud-africain et brésilien, qui détiendraient, en plus de cette mutation, celle leur permettant de faire échec à certains vaccins, ont également débarqué - de façon minoritaire pour l’instant - sur le sol européen (environ 4% en France). Sans influer, pour l’instant, sur le nombre global de cas quotidiens dans l’Hexagone, qui étrangement, depuis deux semaines, stagne autour de 20 000.

A quelles conditions, dans une épidémie, un variant prend-il le pas sur un autre ? A l’inverse, des formes différentes du Sars-CoV-2 peuvent-elles cohabiter, sans que l’une ne devienne hégémonique ? Qui, surtout, du britannique (B.1.1.7 de son nom scientifique), du sud-africain (B.1.351) ou du brésilien (P.1), remportera la bataille européenne ? Tout dépend, en réalité, et comme dans tout rapport de forces, des pouvoirs de chacun, et de l’état du champ de bataille.

Large terrain de chasse
« Quand un virus débute sa propagation et commence à contaminer ses hôtes, des milliers de lignées différentes évoluent alors dans tous les sens, qui peuvent acquérir, chacune, des mutations », rappelle, au préalable, Samuel Alizon, biologiste de l’évolution au CNRS à Montpellier. Des mutations qui génèrent des variants, mais sans conséquence, pour la plupart d’entre eux, sur l’infection. « Ils vont pouvoir cohabiter les uns avec les autres sur un même territoire, et leur propagation plus ou moins importante tiendra davantage du hasard qu’autre chose », ajoute Samuel Alizon. « De temps en temps, cependant, un variant va avoir un peu plus de mal à se propager, à infecter, et va disparaître », poursuit l’épidémiologiste Pascal Crépey, de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Mais tant que les différents variants sont à armes à peu près égales, et au sein d’une population vierge de toute contamination, donc représentant un large terrain de chasse, chacun a sa chance et peut cohabiter avec ses congénères.

Les ennuis commencent lorsqu’« une série de mutations confère au virus des caractéristiques avantageuses qui vont le conduire à pouvoir dominer l’épidémie », détaille Pascal Crépey. « Un avantage sélectif par rapport aux autres qui lui donne la capacité de remplacer un autre variant », complète Alizon. Ces super variants, apparus cet automne, prennent alors le nom de « variants d’intérêt » (variant of concern, VOC, en anglais).

Le plus souvent, « un variant peut être amené à devenir hégémonique parce que les mutations qu’il recèle lui permettent de se propager plus facilement, explique Pascal Crépey. Et ce, de plusieurs manières : en se multipliant en plus grand nombre, en pénétrant plus facilement les cellules, ou en allongeant sa durée de contagiosité ». Un pouvoir de plus grande propagation que semble détenir la mutation N501Y sur la protéine Spike du Sars-CoV-2, et que l’on retrouve donc, parmi une vingtaine d’autres mutations, sur les variants britanniques, mais aussi sud-africains et brésiliens. Et qui augmenterait de 40 % à 70 % sa transmissibilité. Concrètement, cette mutation conduirait une personne infectée à en contaminer, en moyenne, cinq autres, contre trois pour la souche initiale. « Dans ce cas, la possibilité pour un variant moins contagieux de cohabiter avec lui est que l’épidémie soit en croissance, tempère Samuel Alizon. Mais si elle reste stable ou décroît, la compétition est beaucoup plus forte, et le plus transmissible prendra l’avantage. »

« Pays où la circulation virale est intense »
Autre situation d’émergence d’un variant : celle où une partie de la population est déjà en grande partie immunisée. Le virus qui va alors prendre le dessus est celui qui pourra se jouer de cette immunité, qu’elle soit naturelle ou vaccinale. « Les mutations portées par ce variant confèrent ce que l’on appelle un échappement immunitaire, c’est-à-dire que le virus n’est plus reconnu par le système immunitaire des personnes déjà infectées, avance Pascal Crépey. Il va pouvoir contaminer une nouvelle population que l’on pensait jusqu’ici à l’abri de l’infection, et donc devenir, là aussi, dominant. » C’est ce que redoutent les scientifiques avec la mutation E484K. Présente sur le variant sud-africain et brésilien - en plus de la mutation N501Y - elle est surveillée de très près en Europe. Plus inquiétant encore : elle commence à poindre sur certains variants britanniques outre-Manche.

Lequel de ces trois variants, apparus indépendamment et au même moment et qui comportent chacun une série de mutations dont une partie est commune, va prendre le dessus sur les autres ? « On n’en sait rien pour l’instant, répond Alexandre Gaymard, virologue au CHU de Lyon. Car aucun territoire, pour l’heure, ne subit vraiment la circulation de ces trois variants en parallèle, pour voir si l’un a plus d’avantages par rapport aux autres. » Mais leur origine respective, selon lui, n’est pas innocente : « Ce sont des pays (Angleterre, Afrique du Sud, Brésil) où la circulation virale est très intense, ce qui donne plus de possibilités au virus d’évoluer. Ce sont aussi des régions où, comme cette circulation est très intense, le fameux mur de l’immunité est plus ou moins présent et a pu favoriser ces variants. » Ce sont, enfin, « des régions suffisamment éloignées les unes des autres pour qu’ils ne soient pas rentrés en compétition avant d’émerger. Car sinon, pour le coup, il est probable que l’un d’entre eux aurait pris le pas sur les autres ».

Course contre la montre
Avec la mutation supplémentaire E484K leur permettant d’échapper éventuellement au vaccin, le sud-africain et le brésilien ne sont-ils cependant pas mieux armés que le britannique ? « Pas forcément, car ce serait faire reposer la plus grande transmissibilité ou l’échappement immunitaire sur une seule mutation, alors que c’est l’ensemble des mutations présentes dans ces variants qui leur donne ces propriétés, détaille Alexandre Gaymard. Certes, plusieurs de ces mutations vont vraiment avoir un impact, comme la 501 (transmissibilité) ou la 484 (échappement immunitaire), mais elles ne peuvent pas apparaître seules. Certaines mutations secondaires vont favoriser la persistance de la mutation principale. » Reste qu’à mesure que la population sera vaccinée, « le variant britannique ne permettant pas un échappement vaccinal, les deux autres risquent d’émerger à son détriment », estime Sébastien Hantz, virologue au CHU de Limoges.

Pas sûr, enfin, que ce combat des titans soit le dernier. « Pour l’instant, on ne voit pas d’autres variants d’intérêt majoritaires, mais de nombreuses mutations sont observées grâce à un séquençage de plus en plus fréquent des souches. Tout peut évoluer très vite. On peut imaginer une mutation qui peut rendre possible l’infection d’autres types de cellule, induisant des formes cliniques de la maladie différentes voire plus sévères, explique Sébastien Hantz. Il y a quelques mois, on pensait que le vaccin nous sortirait rapidement de la pandémie. On va pouvoir adapter les vaccins, mais la situation est loin d’être stabilisée. »

C’est même une course contre la montre qui est entamée : « La stratégie vaccinale est la meilleure que l’on puisse avoir, mais il faut être plus rapide que l’émergence des variants. Plus on couvre rapidement la population avec le vaccin, plus on crée un barrage efficace, estime Sébastien Hantz. Si on avait eu le vaccin avant l’émergence des variants, on aurait pu envisager l’éradication du virus avec 70 % de vaccinés en un temps très court. »

En attendant, tous rappellent que les gestes barrières restent les plus efficaces pour contrer le Sars-CoV-2, qu’il s’agisse des souches initiales ou de variants d’« intérêt ». Et qu’à l’inverse, une forte circulation du virus, en favorisant sa réplication, est la meilleure façon de faciliter l’émergence des variants d’intérêt.