Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid Le monde en delta critique

Juin 2021, par Info santé sécu social

Libération - vendredi 25 juin 2021

Le variant du Sars-Cov-2 apparu en Inde pourrait représenter, fin août, 90 % des contaminations en Europe. Face à une transmissibilité accrue et une dangerosité potentiellement plus importante, les dirigeants misent tout sur la vaccination.

Par Olivier Monod et Anaïs Moran

Après alpha, voici delta. L’hiver 2021 avait vu arriver depuis l’Angleterre un variant plus transmissible du Sars-Cov-2. L’été sera l’heure du variant delta, initialement repéré en Inde. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, il pourrait être responsable de 90 % des nouveaux cas de Covid-19 dans l’Union européenne dès la fin août, à l’image du Royaume Uni déjà envahi. En France, sa proportion est passée de 0,2 % le 11 mai, à 1 % le 25 mai, pour atteindre cette semaine les 10 %. Dans les Landes, le variant delta représente déjà autour de 70 % des cas positifs. En déplacement jeudi dans le département, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé le lancement d’un « plan d’action renforcé » avec abondance
de tests et de doses vaccinales.

« On peut penser qu’à la fin de l’été, le variant delta représentera au moins 80 % des cas en France, met en garde Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifique. Le problème du delta, c’est sa contagiosité. Un tiers des Français n’est absolument pas protégé, car ils n’ont ni eu le Covid ni été vaccinés. Avec un variant aussi transmissible, c’est suffisant pour induire une reprise épidémique. » En janvier déjà, face au variant alpha, le Conseil scientifique comparait l’enjeu de l’époque à une « course contre la montre […] entre d’une part l’effort de vaccination et d’autre part la pénétration du variant britannique dans la population française ». Course remportée par le virus alpha, qui entraîna une troisième vague. La métaphore reste pertinente face au delta pour s’exempter d’un quatrième rebond dans les mois à venir. Problème, la vaccination commence à plafonner. « Nous vaccinons 200 000 personnes par jour » en primo-injection, « c’est trop peu », a averti le Premier ministre à Mont-de-Marsan, en observant que « les prises de rendez-vous » étaient « en décélération ».

Plus transmissible et plus grave ?

Le variant delta a pris la place du variant alpha en quelques semaines au Royaume Uni, malgré une campagne de vaccination bien avancée. Une étude anglo-suisse parue dans Eurosurveillance évoque une hausse de 55 % de sa transmissibilité. Dans une étude, pas encore publiée, l’équipe de modélisation de Samuel Alizon à Montpellier a analysé les premières données disponibles en Ile-de-France. Ils concluent à un gain de transmissibilité compris entre 67 % et 120 %.

Concernant sa dangerosité, les seuls éléments disponibles pour l’heure sont issus de la plateforme de surveillance écossaise. Le 14 juin, ses épidémiologistes ont signalé un risque d’admission à l’hôpital « approximativement doublé chez les personnes atteintes du delta par rapport aux personnes atteintes de l’alpha ». Risque d’admission ayant « particulièrement augmenté chez les personnes présentant cinq comorbidités ou plus ». Bruno Lina tempère : « L’Ecosse n’a pas encore assez de cas pour pouvoir faire une vraie comparaison entre delta et
alpha. On parle là d’un risque potentiel. » Vaccins très efficaces, mais après deux doses Bruno Lina l’assure : « Il n’y a pas d’échappement vaccinal avec le delta. Les vaccins continuent de protéger. » Les premières données proviennent d’une étude écossaise réalisée entre le 1er avril et le 6 juin. Publiés dans The Lancet, les résultats dévoilent que deux semaines après la seconde injection, le vaccin Pfizer offre encore une protection de 79 % pour « prévenir l’infection » au variant delta (contre 92 % pour le variant alpha), alors que l’AstraZeneca affiche un taux de 60 % (contre 73 %). Depuis, l’agence sanitaire Public Health England s’est aussi penchée sur l’efficacité de la vaccination contre les formes graves. Dans une étude publiée le 14 juin, elle rapporte que Pfizer et AstraZeneca réduisentde manière spectaculaireles hospitalisations dès la première dose (respectivement de 94 % et de 71 %) et logiquement encore plus après deux (96 % et 92 %).

En revanche, concernant les formes symptomatiques mais ne nécessitant pas d’hospitalisation, l’agence anglaise met en garde : avec une seule dose de vaccin, le delta est capable d’enfoncer la porte restée entrouverte. Dans son dernier bulletin hebdomadaire, daté du 18 juin, l’instance rapporte que l’efficacité vaccinale contre ces formes n’est que de 31 % après la injection. Soit 18 points de moins que contre le variant alpha. Après deux doses, l’efficacité face à delta monte néanmoins à 80 % pour réduire les formes symptomatiques (contre 88 % pour alpha).« Cela signifie qu’on ne joue pas du tout le rôle de frein à la diffusion du delta lorsqu’on est partiellement vaccinés, analyse Bruno Lina. Quand on n’a reçu qu’une dose, on ne risque pas de forme grave, mais on reste exposés au virus et on expose donc les autres. » D’où la nécessité d’un schéma vaccinal complet.

Et le fameux « delta + » ?

Le mutant delta est lui-même capable d’évoluer. Ainsi, le système de surveillance génomique anglais a repéré quelques cas de variants delta portant une nouvelle mutation, selon son rapport du 11 juin. Le gouvernement indien a appelé ce mutant « delta + » et a incité les territoires sur lesquels il était présent à accélérer la vaccination et les campagnes de tests. En France, six cas ont été détectés en Haute-Savoie, selon Bruno Lina. Cette mutation, appelée « K417N », est présente chez le variant beta (ancien sud-africain) qui a démontré une capacité à échapper, en partie, au système immunitaire de personnes vaccinées ou déjà infectées une première fois.

Forcément, l’attelage d’un variant deux fois plus transmissible que la souche d’origine, avec une mutation associée à de l’échappement immunitaire, génère une certaine inquiétude. En se basant sur l’étude des autres coronavirus présents chez l’homme, les scientifiques estiment toutefois ce scénario noir peu probable à court terme. Même si, pour Etienne Simon-Lorière, virologue et responsable du laboratoire Génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur, « il existe une incertitude sur le pouvoir évolutif de ce virus ». En effet, il rappelle que « les trois premiers variants (alpha, beta, gamma) sont apparus avec beaucoup de nouvelles mutations d’un seul coup sans que l’on soit sûr du processus impliqué ». Pour lui, cet historique laisse planer le doute sur un possible saut évolutif. Car plus le virus circule, plus le risque de le voir évoluer dans un sens inattendu grandit.