Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid : Oui à la responsabilité individuelle, non à la culpabilisation constante

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Christian Lehmann, médecin et écrivain — 21 septembre 2020

Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il rappelle les vertus du masque et l’absurdité des décisions incohérentes.

Ça se bouscule pas mal dans ma tête, là, à vrai dire. Il y a les moments où tu comprends ce qui se passe, et les moments où tout est si compliqué, où les informations parcellaires arrivent de partout en même temps, que tu ne peux que les noter dans un coin et espérer que ça se décante. Pendant que la situation évolue, et, dans le cas présent, s’aggrave.

Les retours que j’ai, de médecins de ville, d’infirmières, d’enseignants, de salariés, de parents, pointent les difficultés quotidiennes de chacun, mais ne dessinent pas un tableau cohérent et complet, juste une tendance générale. Les gens affrontent la situation comme ils le peuvent, mais elle leur apparaît confuse, incompréhensible, ou désespérante, pour certains. Aucun des messages que je reçois n’est délirant d’optimisme. Et pourtant les gens tiennent. Et je vais le redire parce que dans le marasme de cette crise sanitaire qui s’éternise, je crois qu’il est important de le garder en tête : les Français sont résilients, et font pour majorité d’entre eux preuve d’une patience, d’une bienveillance, d’une sagesse du quotidien, que je trouve admirable.

Pseudo-tribunes de blouses blanches
Je ne supporte pas, je n’ai jamais supporté, ces pseudo-tribunes de blouses blanches en mode « C’est la fin de la récré, reprenez-vous bon sang, vous êtes irresponsables ! » alors que soumise à des mensonges et à des injonctions contradictoires depuis le début, la population dans sa majorité a fait preuve de dignité et de ressources. Certains ont cousu des masques, les ont livrés gracieusement à ceux qui en manquaient, jusque dans les commissariats et les hôpitaux. D’autres ont fait les courses pour leurs voisins âgés ou fragiles. Je le répète : en tant que médecin généraliste, j’ai été pendant de nombreuses semaines mieux aidé, soutenu, et protégé par les habitants de ma ville que par l’Etat.

En marge d’un déplacement dans le Gers, Emmanuel Macron a déclaré vendredi 18 septembre : « Si chacun fait sa part, nous pouvons vaincre le virus… Il faut responsabiliser chacun et continuer d’expliquer sans culpabiliser ni infantiliser. » L’intention est louable, et je vais tenter de m’y astreindre. Mais nous verrons qu’elle est insuffisante.

« Si chacun fait sa part. » Oui, chacun de nous peut faire sa part. Porter un masque. Pour se protéger, pour protéger les autres. Je vais donc répéter des choses simples, basiques. Les masques ne sont pas un sujet politique, ou ne devraient pas l’être. On n’est pas dans l’Amérique de Trump, où longtemps ne pas porter de masque a signifié qu’on était un vrai mâle, un dur, un tatoué. Porter un masque ne signifie pas que vous êtes faible, ou moutonnier. Porter un masque signifie que vous faites partie de ceux qui pensent que la société existe. Porter un masque signifie que, même jeune et en excellente santé, vous avez conscience de côtoyer des gens qui ne le sont pas.

De glorieux baltringues sur les plateaux

Alors bien sûr vous n’êtes pas aidés. Pas aidés par le type à la caisse du Monop qui systématiquement depuis quatre mois porte le masque sous son nez comme si ses narines ne faisaient pas partie de ses voies respiratoires. Pas aidés par Didier Raoult qui, après avoir accusé dès le début ses détracteurs de mépriser les enseignements des scientifiques asiatiques ( qui recommandent depuis le début le port du masque) a osé dire qu’il ne croyait pas à la fable de la transmission respiratoire du coronavirus et affirmer que la contamination se faisait exclusivement par les mains (avec lesquelles il se triture la barbe depuis huit mois maintenant, parce que la cohérence c’est pour les Parisiens). Pas aidés par de glorieux baltringues qu’on invite sur les plateaux pour les entendre déblatérer que le masque fait partie d’un complot reptilien illuminati pour vous vacciner à l’insu de votre plein gré avec la 5G.

Donc voilà ce que vous pouvez faire, à votre niveau. Porter un masque, dans les transports, et en lieu clos. Dans les magasins, et au travail. Dans la rue, ce n’est pas indispensable hormis les zones de forte concentration de population, mais le gouvernement l’a imposé, en dépit du bon sens, pour éviter le plus longtemps possible cet été d’aborder la question de la contamination sur les lieux de travail, ou à l’école.

Portez un masque. Il faut arrêter aussi avec la culpabilisation constante de ceux qui l’enlèvent de temps à autre. Comme le dit le collectif de médecins « Stop postillons » créé en mars et qui plaidait pour le port de masques en population générale alors que nos gouvernants martelaient que c’était inutile voire contre-productif : « Porter mal quelque chose, c’est mieux que rien. Avoir une barrière en entrée et sortie de la bouche et du nez, c’est mieux que rien. Ce n’est pas "binaire" : inutile / utile, mais c’est une "diminution de probabilité de transmission". La mesure LA PLUS IMPORTANTE (encore et toujours) est que le maximum de gens portent un masque dans les espaces publics (tous les lieux clos publics, mais aussi les rues piétonnes fréquentées, les marchés, etc.) » Des études récentes confirment que porter un masque minimise la quantité de virus que vous inhalez si vous êtes quand même contaminé.

Et toucher son masque ne cause pas d’apocalypse sanitaire à l’échelle internationale. Vous êtes en population générale, dans les transports, au bureau. Vous n’êtes pas un chirurgien au bloc opératoire. Evitez de tripoter votre masque, mais le toucher par mégarde n’est pas un crime.

Des décisions incohérentes
Les trous dans la raquette de la protection, ce sont les enfants. Nous avons bataillé pour demander le port du masque à l’école, entre autres mesures (embauches d’enseignants, possibilité d’enseignement à distance…), non pas parce que nous sommes des monstres hors-sol désireux de punir les jeunes et de freiner leur développement, mais parce que les enfants de moins de 10 ans peuvent être contaminés et contaminants, qu’ils soient symptomatiques ou asymptomatiques. L’OMS et l’Unicef recommandent le port du masque dès 6 ans dans les régions de circulation virale. Mais en France, on reste bloqué sur une étude mise en avant par la Société française de pédiatrie affirmant que les enfants ne sont pas contaminants pour les adultes, à partir d’observations réalisées… pendant le confinement, à un moment où les écoles étaient fermées.

Ce déni de la contamination des adultes par les enfants semble être une spécificité française.

On a probablement pas les mêmes enfants.

Ou le même virus.

Ou les mêmes pédiatres…

Parents, enseignants, vous n’êtes pas aidés parce que les directives sont incohérentes. Les enfants de moins de 11 ans ne portent pas de masques parce qu’ils ne sauraient être contaminants mais les grands-parents ne doivent pas venir les chercher à la sortie de l’école. Comprenne qui pourra.

De nombreux enseignants m’expliquent le casse-tête quotidien que représente l’injonction de laver les mains de dizaines d’enfants sur un unique lavabo dans une classe, ou l’impossibilité matérielle d’assurer la distanciation, l’hygiène et l’aération lors des repas à la cantine. Mais Jean-Michel Blanquer, fort disert quand il s’agissait de marteler que l’Education nationale était fin prête, est aux abonnés absents quand il s’agit de répondre concrètement aux questions des enseignants et des parents.

J’en reviens à l’injonction présidentielle : « Si chacun fait sa part, nous pouvons vaincre le virus… » Oui, nous avons une responsabilité individuelle face à cette crise sanitaire, mais nous faisons partie d’une société démocratique, avec un gouvernement dont le rôle, « la part », est de prendre des décisions cohérentes et de s’assurer qu’elles sont applicables, ce qui n’est pas le cas.

Aérosolisation
Je n’aborderai pas aujourd’hui les alertes qui me parviennent de mes confrères et consœurs, en ville comme à l’hôpital. J’en resterai aux mesures que chacun peut mettre en place facilement. L’hygiène des mains, indispensable. Mais surtout l’aération. Le déni prolongé d’une grande part de la communauté scientifique et des politiques quant à la contamination par aérosolisation fait que même si aujourd’hui son existence est enfin admise, beaucoup de gens n’ont toujours pas compris de quoi il s’agit, et n’osent pas le demander pour ne pas passer pour des cons.

Lorsque vous respirez, lorsque vous parlez, lorsque vous chantez, si vous êtes infecté, vous excrétez par le nez et la bouche un nuage d’air chargé de particules virales, en suspens devant votre visage. Si vous restez immobile, assis à une table de réunion par exemple, ce nuage invisible va devenir plus dense et va peu à peu s’agrandir, englobant éventuellement les personnes proches de vous, même si elles respectent une distance de sécurité d’un mètre cinquante. De nombreuses études rétrospectives ont confirmé ce mode de contamination, dans une chorale aux Etats-Unis, dans un bus en Chine. C’est cette possibilité de contamination par aérosolisation (ce qui est différent des crachats et des éternuements, des postillons), qui nous a amenés à demander l’utilisation des masques sur les lieux de travail, et à l’école, et à conseiller une aération naturelle. Car s’il existe un courant d’air naturel dans la pièce où vous êtes assis (sans créer un blizzard), votre nuage viral aura tendance à se dissiper, à s’évacuer, ne sera pas suffisamment contaminant pour infecter d’autres personnes.

Vous n’êtes pas totalement sans défense devant ce virus. Chacun de nous, en se protégeant, en protégeant les autres, contribue à éviter des contaminations, contribue à en diminuer la gravité, contribue à éviter de submerger le système de santé, à sauver des vies. Si des gosses de 8 ans peuvent le faire, même imparfaitement, vous pouvez le faire. Et refuser de succomber à la confrontation binaire entre « les ayatollahs du principe de précaution » et les « pragmatiques ». En clair : « Mais fous ton gros nez dans ton masque, Jean-Kevin ! »

Christian Lehmann médecin et écrivain