Le financement de la Sécurité sociale

Libération - Covid : les comptes de l’Assurance maladie plombés pour dix ans

Juin 2021, par Info santé sécu social

Conséquence de la crise sanitaire, les comptes de la branche maladie de la Sécu tournent au rouge cramoisi. En 2020, son déficit a atteint 30,4 milliards d’euros. Ce devrait être pire encore en 2021.

par Nathalie Raulin
publié le 25 juin 2021 à 19h10

L’Assurance maladie présente l’addition de la crise sanitaire. Laquelle est particulièrement salée. Alors que cette branche de la sécurité sociale était fin 2019, pour la première fois depuis la crise financière de 2008, sur le point d’équilibrer ses comptes, c’est sur un déficit abyssal de 30,4 milliards d’euros qu’elle a bouclé l’année 2020. Pire : les crus 2021 et suivants devraient être tout aussi calamiteux : « Le déficit pourrait finalement s’établir à 31 milliards d’euros en 2021 puis se maintenir à un niveau très élevé dans les années suivantes », indique le rapport « Charges et produits » que la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) doit présenter à son conseil le 2 juillet. De quoi augurer de débats houleux au Parlement à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l’automne.

Devant l’ampleur du sinistre, la Cnam elle-même ne s’en cache pas : « La question de la soutenabilité financière du régime se pose. » Avec la crise du Covid, l’Assurance maladie a enduré une double peine budgétaire. Dans la foulée du ralentissement économique général, ses recettes qui reposent largement sur la masse salariale et la consommation des ménages ont plongé (-5,3 %). En parallèle, les dépenses de cet acteur fer de lance de la riposte sanitaire ont explosé (+9,5 % en 2020) entre frais de dépistage, heures supplémentaires et primes au personnel travaillant dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, achat de masques et d’équipements de protection, arrêts maladie dérogatoires (pour garde d’enfants) etc. « Les surcoûts bruts induits par la crise s’élèvent à 17,7 milliards d’euros en 2020 », précise le rapport. Un chiffre qui ne tient pas compte des revalorisations salariales des soignants décidées à l’issue du Ségur de la Santé…

Pas d’équilibre avant 2031 ?
Surtout, l’Assurance maladie ne se fait pas d’illusions, le bout du tunnel est encore loin. « En 2021, certaines mesures exceptionnelles de dépistage et de vaccination devraient se poursuivre et il est difficile de prévoir quel sera l’impact des mesures de confinement et de couvre-feu sur la consommation de soin », explique la Cnam. En tout état de cause, l’enveloppe de 4,3 milliards d’euros qui lui avait été allouée dans la loi de finances pour 2021 pour financer les frais exceptionnels liés au Covid n’y suffira pas. « Cette provision risque d’être dépassée de plus de 9 milliards d’euros », signale le rapport, arguant des frais occasionnés par la troisième vague épidémique et les rallonges accordées aux établissements de soin sous tension. En clair, sur 2020 et 2021, l’Assurance maladie pourrait devoir éponger quelque 30 milliards d’euros de surcoûts pour cause de crise Covid…

Partant, « l’équilibre des comptes de l’Assurance maladie ne pourra être restauré avant des années », indique le Haut conseil du financement de la protection sociale, en charge de la surveillance du système de financement de la protection sociale. En tout état de cause, pas avant 2031. Et ce même en tablant sur une croissance retrouvée et une maîtrise pointilleuse des dépenses. « Il est indispensable d’engager un débat public, de faire la pédagogie sur ce déficit », glisse-t-on au siège de l’Assurance maladie. « Il faut que tout le monde prenne conscience que le déficit ne va pas disparaître avant longtemps, quels que soient nos efforts. Il ne peut être question de coupes sombres brutales si l’on veut continuer de pouvoir garantir une couverture large aux assurés. La campagne présidentielle pourrait permettre d’en discuter. »

Des « réflexes » à retenir
Consciente de la fragilité de sa situation en cas de retour de l’orthodoxie budgétaire, l’Assurance maladie prend les devants. Pour retrouver des marges de manœuvre « à moyen long terme », elle entend réformer sa « gestion du risque », en revisitant les parcours de soins des pathologies lourdes et coûteuses (notamment cardiovasculaires), la coordination avec les organismes de soin, l’accessibilité des données des assurés sociaux ou la lutte contre la fraude sociale.

Par ailleurs, elle appelle à tirer les enseignements de la crise sanitaire, les gestes barrière ayant par exemple permis d’endiguer les traditionnelles épidémies hivernales (grippe, gastro-entérite…) et de faire chuter la consommation d’antibiotiques (-26 % en 2020). « Avec le Covid, les Français ont acquis des réflexes, explique-t-on au siège de la Cnam. Il ne faut pas laisser se perdre les bonnes habitudes. On pourrait pérenniser le port du masque en Ehpad, l’usage du gel hydroalcoolique à l’entrée des transports en commun ou le lavage régulier des mains. » Façon de rester constructif dans l’adversité.