Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid : un premier rendez-vous raté avec les vaccins

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Par Sylvain Mouillard — 3 janvier 2021

Plusieurs médecins s’alarment du retard français et mettent en cause la lourdeur de la procédure de vaccination. Sur la défensive face au manque de doses, l’exécutif promet d’ouvrir des centres en février.

La « lenteur » du gouvernement dans la campagne de vaccination contre le Covid-19 a-t-elle vécu ? « Assumée » il y a quelques jours par le ministre de la Santé Olivier Véran, taclée comme « injustifiée » lors de ses vœux du 31 décembre par Emmanuel Macron, elle pourrait laisser la place à une nette accélération en ce début 2021. Les critiques fusent de toutes parts pour critiquer les choix de l’exécutif, sur la base de comparaisons internationales peu flatteuses. Ainsi, dimanche, moins de 500 Français avaient pu bénéficier d’une première injection du sérum de Pfizer-BioNTech, contre près d’un million de Britanniques et près de 250 000 Allemands, selon le site Covidtracker.

Aux résidents des maisons de retraite et aux soignants les plus âgés et fragiles, vont donc s’ajouter, à partir de ce lundi, l’intégralité des professionnels de santé de plus de 50 ans, ainsi que ceux - plus jeunes - présentant des comorbidités. Un élargissement spectaculaire des bénéficiaires de la « première phase » de la campagne vaccinale. Certains ont même pu recevoir la première des deux injections nécessaires dès ce week-end à Paris et Nancy, histoire de montrer aux caméras que, juré craché, ça ne traîne pas.

L’infectiologue Eric Caumes, 63 ans, a eu le droit à sa piqûre à l’Hôtel-Dieu, à Paris, dimanche matin. Il se montre plutôt magnanime. « On peut toujours se plaindre que ça ne va pas assez vite, mais le bon équilibre est difficile à trouver , juge-t-il. L’erreur stratégique, c’était de ne pas permettre aux soignants d’être dans la première phase. Le gouvernement a corrigé le tir, c’est bien. Il est encore temps que ça s’emballe en janvier, car on a 500 000 doses à disposition dont on ne sait pas quoi faire. »

Chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, Gilles Pialoux s’avoue « remonté comme une pendule » contre ce qu’il appelle une « réécriture de l’éloge de la lenteur » et un « déluge précautionnel » alors que « l’épidémie n’est pas contrôlée, qu’au moins deux variants du Sars-CoV2 circulent, et qu’une troisième vague devrait apparaître ». « Chaque jour de retard, c’est 150 à 300 morts supplémentaires. » Il appuie : « Aucun pays au monde n’a mis de côté les soignants comme la France. C’est une question de santé publique, ça donne l’exemple et permet de lutter contre les transmissions nosocomiales à l’hôpital et de lutter contre l’absentéisme pour cause de maladie. Là, on utilise une fois de plus la science pour gérer la pénurie ? » se demande-t-il, pointant l’avis de la Haute Autorité de santé de fin novembre, base de la stratégie gouvernementale.

Consentement
L’infectiologue milite pour alléger les procédures, notamment dans les Ehpad : « Le guide de vaccination dans ces établissements, c’est l’illustration du document bureaucratique fait uniquement pour se couvrir. » Dans un avis remis juste avant les vacances de Noël, le Comité national consultatif d’éthique redoublait en effet de précautions pour la vaccination des résidents des maisons de retraite, notamment ceux souffrant de troubles psychiques. Il est alors question d’un rendez-vous chez son généraliste pour établir le consentement et d’un délai de cinq jours avant d’effectuer la première injection. Ce sont ces recommandations que l’Académie nationale de médecine a attaquées jeudi, parlant de « précautions excessives ».

Rémi Salomon, président de la Commission médicale d’établissement à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), développe : « Le choix de commencer par les Ehpad, entre Noël et le jour de l’an - pas la meilleure période pour organiser les choses - explique pourquoi on a commencé lentement. Or face aux antivaccins qu’on entend beaucoup, il ne faut pas donner le sentiment d’être timoré. » Gilles Pialoux craint aussi que la situation actuelle ne finisse par « fabriquer du vaccinosceptique au lieu de protéger ceux qui veulent l’être » (lire aussi page 25). Avec ses 64 ans, lui espère bien se faire vacciner « dès cette semaine ». Un moment qu’il anticipe avec émotion : « C’est incroyable de se dire qu’on va pouvoir être protégé de cette maladie qu’on ne connaissait pas encore il y a un an. On devrait positiver et médiatiser ça ! »

L’objectif du gouvernement, désormais, est de vacciner 26 millions de personnes d’ici à l’été (contre une précédente cible de 15 à 20 millions de Français). Les doses suivront-elles ? La semaine passée, Pfizer-BioNTec en a livré 60 000 en France. « Nous en recevrons 500 000 la semaine prochaine puis 500 000 nouvelles doses chaque semaine, jusqu’à la fin du mois de février », indique-t-on au ministère de la Santé. Sachant qu’il en faut deux pour réaliser la double injection, il faudra du renfort. Une situation de flux tendu qui n’est pas propre à la France. En Allemagne, les « vaccinodromes » tournent au ralenti, alors que les Britanniques en sont à repousser les secondes injections pour disposer de davantage de stocks dans l’immédiat.

L’échec du H1N1
Ce début d’année devrait cependant voir de nouveaux produits arriver sur le marché. L’Agence européenne du médicament se prononcera mercredi sur le sérum de la firme américaine Moderna (qui peut se conserver à -20°C, et non -70°C comme celui de Pfizer), tandis que le produit d’AstraZeneca sera utilisé outre-Manche dès ce lundi. Ce dernier, qui se stocke dans un simple réfrigérateur, a fait l’objet de commandes par l’Union européenne à hauteur de 300 millions de doses. C’est donc à une nette accélération du rythme de vaccination que la France doit se préparer. Dans quelles conditions ? Echaudé par l’échec de la campagne de vaccination contre le H1N1 en 2009, le gouvernement avait plutôt écarté l’hypothèse de recréer des grands centres de vaccination en ville. Jeudi, Olivier Véran a annoncé l’ouverture de structures de ce type en février. Du côté de l’AP-HP, on travaille à ce que les principaux établissements des 39 hôpitaux du réseau soient en mesure de piquer dès la fin de cette semaine.

La situation sanitaire ne laisse pas de répit. Après les fêtes et les rassemblements familiaux, les yeux sont tournés vers les indicateurs des contaminations. Ces deux derniers jours, les cas positifs quotidiens frôlaient les 20 000. « On est tous très inquiets », soupire Eric Caumes. Le froid et le brassage post-vacances scolaires pourraient aussi aggraver les choses. Les chiffres inquiétants, notamment dans l’Est de la France, ont déjà poussé le gouvernement à avancer la semaine dernière l’horaire du couvre-feu dans quinze départements. Quant aux assouplissements pour les établissements culturels (7 janvier) ou les restaurants (20 janvier), ils semblent bien mal embarqués. Vaccin ou pas.

Sylvain Mouillard