Industrie pharmaceutique

Libération - D’intolérables pénuries pointées par la Ligue contre le cancer

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau
Le 14 septembre 2020

Malgré la loi imposant aux industriels de constituer des stocks, l’année 2019 a atteint des records en termes de ruptures. L’association a publié lundi plusieurs témoignages de patients qui en subissent les conséquences.

Lundi, des malades du cancer ont témoigné publiquement, à la demande de la Ligue nationale contre le cancer, pour raconter les difficultés qu’ils rencontraient pour avoir accès à leur traitement. Des histoires simples. Rien de catastrophique pour le moment encore, mais des situations qui laissent perplexe. « Mon traitement pour mon cancer de la vessie a consisté en six semaines de BCG thérapie, alors que d’ordinaire c’est neuf », explique ainsi une jeune malade. Une autre personne, atteinte de leucémie : « On a dû chercher pendant une semaine mon médicament, aucune pharmacie n’en avait de disponible. »

« Pertes de chance »
Un autre patient, Bernard, 72 ans, atteint d’un cancer de la vessie, évoque ses craintes : « La première fois, je l’ai très mal vécu. Mon médecin me dit : "On va attendre un peu parce qu’il n’y a pas de médicaments." J’étais choqué, j’ai un cancer et on ne peut pas me soigner. On se retrouve avec rien, on n’est pas soigné en France, on n’est pourtant pas au fin fond du monde. » Il ajoute : « Je connais une personne qui était au stade 3, elle est passée au stade 4 parce qu’elle n’a pas eu de médicament. C’est grave, c’est anormal. » Enfin, ce patient atteint d’un cancer des testicules : « J’aurais aimé le savoir avant. J’ai fait une première cure avec le produit qui a été en pénurie et que j’ai mal supporté au niveau pulmonaire. Ça n’a servi à rien. »

Rassemblés par la Ligue nationale contre le cancer, ces dizaines de témoignages dessinent un paysage thérapeutique incertain. D’autant que ce phénomène de manque n’est pas nouveau et n’est, en tout cas, pas imputable à l’épidémie de Covid.

Le professeur Axel Kahn, qui préside la Ligue, le rappelle avec force : « Avec 1 499 médicaments signalés en difficulté ou rupture d’approvisionnement auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), l’année 2019 atteint un record. C’est 34 fois plus de pénuries signalées qu’en 2008. » En 2018, on en dénombrait 868. Ce n’est certes pas un phénomène touchant uniquement la France ou l’Europe mais aujourd’hui, il prend de l’ampleur. En France, selon une étude réalisée par la Ligue en 2019, « parmi les 500 professionnels interrogés, 74 % ont déclaré avoir déjà été confrontés à des pénuries de médicaments utilisés contre le cancer pendant leur carrière ». La même proportion dit avoir le sentiment que les pénuries de médicaments contre le cancer s’aggravent depuis dix ans. Et 95 % des pharmaciens hospitaliers disent les subir.

Que faire ? S’y habituer et vivre avec ces pénuries ? L’enquête de la Ligue, pour la première fois, évoque les conséquences de ces ruptures répétées de stocks. Elles ne sont pas anodines. Ainsi, « 94 % des malades qui y ont été confrontés associent l’annonce de l’indisponibilité de leur traitement contre le cancer à des sentiments négatifs : incompréhension, inquiétude et colère ensuite. C’est une nouvelle extrêmement pénible à supporter. »

Plus troublant : « 75 % des professionnels soignants interrogés sont d’accord pour dire que, malgré l’existence de traitements de substitution, les pénuries de médicaments utilisés contre le cancer entraînent une perte de chances pour les personnes malades. » 45 % des professionnels interrogés dans l’enquête font « le constat d’une détérioration de la survie à cinq ans de leurs patients qui sont victimes de pénuries de médicaments contre le cancer. Ce pourcentage s’élève à 68 % parmi les oncologues qui ont fait l’expérience des pénuries ».

Défaut de transparence
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont pris leur temps. Il a fallu ainsi près de deux ans pour que le gouvernement se décide à se montrer plus contraignant vis-à-vis des firmes pharmaceutiques en imposant des stocks aux industriels, sans menaces à la clé néanmoins. Il est vrai que le contexte mondial reste compliqué. Aujourd’hui, seuls 22 % des médicaments remboursés en France sont produits localement - soit 17 % des principaux médicaments utilisés à l’hôpital et 2 % des anticancéreux.

Dans ce paysage mondialisé avec une demande croissante, la Ligue insiste sur la transparence qui fait encore cruellement défaut. Et demande « le recensement par les pouvoirs publics, de façon systématique, des personnes qui n’ont pas eu accès au médicament prescrit en premier lieu ». Mais aussi « la mise en place d’un système d’information sur les pénuries de médicaments à destination des professionnels de santé et particulièrement ceux exerçant en ville. Ce système d’information doit permettre de renforcer la transparence sur l’origine, la durée et l’historique de ces pénuries ». Et enfin, bien sûr, « la mise en place d’études pour mesurer les pertes de chances causées par les pénuries. Elles doivent être réalisées par une autorité publique et indépendante ».