Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Dans les 100 000 morts du Covid « n’apparaissent pas les personnes décédées chez elles »

Avril 2021, par Info santé sécu social

Interview

Le président de la République a tweeté pour marquer le passage ce jeudi de la barre symbolique des 100 000 morts du Covid-19, mais les statistiques officielles ne sont pas assez précises pour savoir quand cette barre a réellement été passée.

par Olivier Monod

En France, on ne sait précisément combien de morts sont attribuables au Covid-19 qu’avec trois ou quatre mois de retard. La faute à un système de déclaration papier obsolète. Le déploiement des certificats de décès électronique commencé en 2007 ne concerne aujourd’hui que 30 % des cas. Un défaut statistique gênant en temps de pandémie et qui empêche d’avoir une vision juste et en temps réel du fardeau imputable au Covid-19. Ainsi, la barre des 100 000 morts officiels dus au Covid-19 franchie jeudi selon les données de Santé publique France ne prend-elle pas en compte les morts à domicile.

Grégoire Rey, directeur du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc), le laboratoire Inserm chargé du suivi des causes de mortalité en France explique à Libération comment la France compte ses morts.

A-t-on dépassé la barre des 100 000 morts du Covid en France ?

Je ne peux pas l’affirmer précisément. On est probablement autour de cette valeur. On parle beaucoup en ce moment de la barre des 100 000 décès, c’est un jalon symbolique, je le comprends. Mais le chiffre communiqué par SPF n’est pas une donnée définitive du nombre total de morts du Covid-19 en France.

Par contre, il est suffisamment représentatif pour que le suivi de son évolution quotidienne donne une très bonne idée de ce qui se passe sur le territoire. La dynamique est plus intéressante que le niveau exact.

Ce chiffre égrené tous les jours est-il donc inexact ? Que recouvrent les chiffres du nombre de morts du Covid-19 communiqués par Santé publique France (SPF) ?

L’agence compile les chiffres issus de la plateforme Si-Vic (système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles). Globalement ce système fait remonter les décès ayant lieu en système hospitalier. SPF ajoute les données remontées des Ehpad et autres établissements médico-sociaux au travers d’un système mis en place initialement pour repérer les apparitions de grippe et détourner pour signaler les cas de Covid-19.

Sur ce périmètre, nos chiffres sont assez raccords avec ceux de SPF. Mais très clairement, n’apparaissent pas dans ces données les personnes décédées à leur domicile ou dans la rue et gérées par la médecine de ville. SPF a toujours averti de cela.

Sur quelles données vous basez-vous ?

Le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) est un laboratoire de l’Inserm, chargé de la production de la statistique des causes médicales de décès en France. Nous analysons donc tous les certificats de décès émis en France. Pour les 30 % d’entre eux émis électroniquement, le traitement est immédiat, pour le reste, il se passe en général trois à quatre mois avant que l’ensemble des certificats nous remonte. Vous avez, sur notre site, le détail du nombre de certificats remontés par département par rapport au nombre de décès déclarés à l’état civil.

Comment peut-on quantifier le nombre de morts dus au Covid-19 ?

Il y a plusieurs approches. L’une comparant les décès une année avec la situation les années précédentes ; l’écart entre les deux donne toutefois plutôt un impact de l’épidémie et des mesures prises, qu’il faut donc corriger de certains phénomènes (la sous-mortalité accidentelle sur les routes par exemple) pour se rapprocher de l’effet propre au Covid-19.

L’autre est de s’appuyer sur les certificats de décès et donc nos statistiques. Nous avons mis nos données en accès libre sur notre site. Pour le moment elles s’arrêtent à fin décembre 2020, et encore, je pense qu’il nous manque des données sur la fin de l’année. Du 1er mars au 31 décembre on dénombre 75 977 décès dus au Covid-19 dont 9 964 suspicions. Ces dernières ont surtout eu lieu lors de la première vague, quand on ne testait pas systématiquement. Il faut savoir que la France a connu un phénomène de déclaration de Covid plus massif que ses voisins. Il y a très probablement eu de la surdéclaration en France, pas forcément massive, mais non nulle. Cela, on ne le saura jamais.

Dans le détail, les lieux de décès sont le domicile dans 3 721 cas, l’hôpital public pour 40 141 cas, les établissements de santé privés pour 8 517 cas et les Ehpad dans 22 943 cas.

Les statistiques publiées par SPF fin 2020 faisaient état de 64 632 décès, 44 852 dans les hôpitaux et 19 780 dans les Ehpad, rapporte votre collègue Jean-Marie Robine dans le Monde, il y a quand même une différence de plus de 11 000 cas !

Comme je vous disais, elle s’explique surtout par les décès dans des structures que ne répertorie pas SPF. Ce bilan quotidien est le meilleur que l’on puisse donner en 24 heures. Il est légitime de l’utiliser mais il faut savoir qu’il est limité. Ces 11 000 décès en plus sont aussi à contrebalancer avec les près de 10 000 décès pour suspicion de Covid-19. Au final, je ne sais pas dire quand la barre des 100 000 décès a été passée, je le saurai dans trois mois.

Plaidez-vous pour la généralisation du certificat de décès électronique ?

Oui, c’est le système qui permet la vision la plus globale, rapide et exhaustive des données de mortalité, de toutes les mortalités. Indépendamment de la crise Covid-19, c’est un investissement qui serait utile pour tout type de crise. Son développement est en cours depuis 2007, mais il se fait à une vitesse très lente avec des pics d’accélération pendant les crises sanitaires. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, on est passé de 20 à 30 % de certification électronique. C’est une vitesse de déploiement qu’on n’avait jamais connue avant mais cela reste en deçà de ce qu’on peut espérer. Si on arrivait à la fin de cette année à le généraliser au moins dans les établissements hospitaliers, ce serait déjà bien.

Les chiffres des autres pays sont-ils plus ou moins fiables que les nôtres ?

Je peux parler pour les pays voisins qui sont soumis aux mêmes normes européennes que nous. Eurostat nous demande d’avoir un bon alignement entre notre base alimentée par les certificats de décès et le chiffre des déclarations de décès à l’état civil.

Après, il y a la question de Covid suspectés, notamment dans les pays qui font moins de tests. Je pense que l’on peut se servir des statistiques sur les excès de mortalité pour contourner ce problème, si on veut faire une comparaison internationale fine.