Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Dans les abattoirs, de précaires mesures barrières

Mai 2020, par Info santé sécu social

Le 19 mai 2020

Les précautions sanitaires ne sont pas toujours respectées et les clusters se multiplient dans les usines, qui ont continué à fonctionner lors du confinement pour assurer le ravitaillement de la population.

Que se passe-t-il dans les abattoirs  ? Pourquoi les cas de Covid-19 se multiplient-ils dans ces établissements industriels  ? Trois sont déjà touchés : dans les Côtes-d’Armor, en Vendée et dans le Loiret. A Fleury-les-Aubrais, près d’Orléans, dans un abattoir spécialisé dans le cochon et appartenant au groupe Sicarev, 54 cas de Covid-19 ont été signalés. Il a été provisoirement fermé par les autorités. Dans les Côtes-d’Armor, près de Saint-Brieuc, 69 personnes se sont révélées positives au sein de l’abattoir Kermené. Enfin, une vingtaine de cas ont été détectés dans l’abattoir Arrivé, spécialisé dans la volaille, en Vendée.

Projections

La France n’est pas le seul pays concerné : aux Etats-Unis et en Allemagne notamment, des abattoirs sont aussi cités comme de nouveaux foyers de contagion. Pour assurer le ravitaillement de la population, le travail a été maintenu pendant toute la durée du confinement dans l’industrie agroalimentaire, y compris les abattoirs. « On fait partie des petites mains. Mais personne n’a parlé de nous », souligne Assekou (1), 30 ans, dont plus de dix passés au sein d’un abattoir de bovins. Outre que ces usines ont continué à tourner et les ouvriers à se côtoyer, leurs conditions de travail ont peut-être aggravé la contagion. Les témoignages de salariés sont difficiles à recueillir. Mais ceux qui, sous couvert d’anonymat, acceptent de raconter leur quotidien, laissent entendre que les mesures barrières sont loin d’être respectées au sein de ces usines.

Assekou, qui est chargé d’éviscérer les animaux, raconte : « On travaille dans un environnement extrêmement bruyant. Quand on doit se parler, on est obligés de se rapprocher et d’ôter notre masque pour se faire comprendre, d’autant qu’on porte des casques et des bouchons d’oreille. » De plus, relate-t-il, le même masque est conservé par les ouvriers durant de longues heures. « Nous travaillons en général de 6 heures à 12 h 30, et n’avons qu’un seul masque par matinée, alors qu’il peut être vite souillé, notamment par des projections de sang ou d’excréments. » Originaire du Mali, Assekou explique que de nombreux salariés de son abattoir sont étrangers. « La plupart viennent des pays de l’Est, et certains ne parlent pas français. Difficile dans ces conditions de leur expliquer ce qui est mis en place en termes de mesures barrières… Mais certains ouvriers français, eux aussi, ne portent pas de masque. On a essayé de faire remonter l’information, mais la direction n’a pas bougé. »

Mauricio Garcia Pereira, qui a travaillé sept ans dans un grand abattoir à Limoges avant de dénoncer cette industrie dans un livre (Ma Vie toute crue, Plon, 2018), raconte : « Dans un abattoir, on est tous en contact, tout le temps. Pas seulement avec les gens de l’abattoir, mais aussi avec les grossistes, les transporteurs, les acteurs du conditionnement, tous ceux qui gravitent autour… Quant à porter un masque pendant des heures, dans un endroit où l’on tue en moyenne 35 vaches à l’heure, c’est impossible. Imaginez l’atmosphère : on transpire, on étouffe là-dessous. » Autres risques pointés par plusieurs témoins : les croisements des salariés dans des vestiaires très exigus, dotés de douches « très peu nettoyées », selon Assekou. Idem dans les salles de pause, où la promiscuité est de rigueur.

Michel Kerling, qui a travaillé durant trente ans dans un abattoir Bigard de l’Eure, avant d’assurer des fonctions syndicales au sein de la fédération agroalimentaire de FO, confirme que vestiaires, douches et salles de repos peuvent présenter d’importantes défaillances dans la mise en place de mesures barrières face au virus. « Je m’interroge aussisur la partie désossage, où les salariés travaillent en face à face sur des tapis de 80 cm de large… » Il raconte lui aussi que des travailleurs venus notamment des pays de l’Est et d’Afrique ne sont « pas tous aptes à comprendre les consignes, ne sachant pas lire ou parler le français ».

« Cadences »

Démission, accidents du travail, burn-out, contrats courts… Dans les abattoirs, le turnover des salariés est particulièrement élevé. « De la promiscuité aux masques de mauvaise qualité, les salariés des abattoirs ont travaillé durant le confinement dans des conditions pires qu’avant », estime Julien Huck, secrétaire général de la fédération agroalimentaire de la CGT. Selon lui, c’est l’ensemble de l’activité qui est problématique en cette période de pandémie : « Les pressions sont très fortes pour maintenir, voire accélérer les cadences. Les salariés, souvent en contrats précaires, et payés au smic, n’ont pas le choix. »

Julien Huck dit avoir envoyé plusieurs courriers au ministère de l’Agriculture pour l’alerter sur ces conditions de travail particulièrement à risques dans le contexte actuel. « On n’a reçu aucune réponse, assure-t-il. Partout, plutôt que de faire appel aux stocks de viande, les salariés ont continué à travailler et à être utilisés comme de la chair à canon. »

(1) Le prénom a été modifié.