La prévention

Libération - De Pasteur à la grippe H1N1, les réticences à la vaccination existent depuis longtemps

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Par Julie Richard — 1 janvier 2021

La campagne de vaccination débute très doucement en France et plus d’un Français sur deux affirme ne pas vouloir se faire vacciner contre le Covid-19. Retour sur une méfiance nationale très ancienne.

Dans un sondage récemment publié par Ipsos, seuls 40% des Français interrogés ont affirmé avoir l’intention de se faire vacciner contre le Covid-19. La réticence à la vaccination n’est pas nouvelle en France et a toujours accompagné les campagnes vaccinales. Retour sur quatre moments emblématiques et les controverses qui les ont accompagnés.

1885 : Pasteur et la controverse d’une « rage de laboratoire »
A la fin du XIXe siècle, Louis Pasteur met au point un vaccin contre la rage à partir d’une souche atténuée du virus. L’injection, réalisée avec succès en 1885 sur un enfant mordu par un chien soupçonné d’être enragé, est présentée comme une réussite. Alors qu’il semblait condamné, le jeune Joseph Meister ne développe jamais les symptômes de la rage. A l’époque déjà, le procédé mis au point par Pasteur suscite la méfiance. Certains dans le monde scientifique lui reprochent la dangerosité de sa méthode. Plusieurs décès de patients vinrent en effet à cette époque entacher la découverte du chimiste : on reprocha notamment à Pasteur d’avoir causé la mort de plusieurs patients en leur inoculant une émulsion de moelle de lapin mort de la rage.

Parmi les intellectuels de tous bords, Pasteur compte aussi son lot d’ennemis. Dans le journal l’Intransigeant du 2 novembre 1885, le journaliste Henri Rochefort se livre à une critique acerbe de la découverte de Louis Pasteur se montrant peu convaincu par les démonstrations du chimiste. Il y écrit : « Il serait d’abord indispensable d’établir que le chien était enragé et qu’il a communiqué son mal au berger qu’il a mordu… J’attends donc, pour me réjouir, du progrès scientifique qu’on proclame actuellement si haut, des démonstrations un peu plus convaincantes. » Premier vaccin découvert depuis le début du XIXe siècle, le sérum contre la rage est à l’époque particulièrement délicat à produire et sa conception à partir de germe encore vivant atténué suscite l’inquiétude. Selon Laurent-Henri Vignaud, coauteur de l’ouvrage Antivax : la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours et maître de conférences en histoire de la science à l’université de Bourgogne, « il faudra presque dix ans pour qu’on se fie à ce vaccin et que l’on n’y voie plus de problèmes » .

Les années 40 : premières politiques de santé publique et controverses sur la vaccination obligatoire
L’après-Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans la stratégie vaccinale adoptée par la France. L’Etat-providence, renforcé par le contexte économique des Trente Glorieuses et le progrès scientifique, permet d’accentuer les politiques publiques de lutte contre de nombreuses maladies infectieuses répandues en France à cette époque. Déjà, entre les années 30 et 40, trois nouveaux vaccins sont devenus obligatoires. Après le vaccin antivariolique imposé depuis 1902, vient le tour du vaccin antidiphtérique en 1938, du vaccin antitétanique en 1940. En 1948, quatre grands médecins (notamment Camille Guérin et Etienne Bernard) sont invités au micro de la Tribune de Paris pour défendre l’intérêt d’une toute nouvelle vaccination obligatoire : celle pour le BCG, un vaccin contre la tuberculose. Exaspérés par cette politique qu’ils jugent liberticide, les sceptiques de la vaccination se regroupent pour la première fois en association. En 1954, la Ligue nationale pour la liberté de vaccination est créée avec à sa tête le médecin Marcel Lemaire. « On était dans un contexte d’après-guerre. Le libéralisme se développait et on tenait de plus en plus compte de l’opinion individuelle des gens. C’est notamment à cette époque que les premiers procès sont engagés contre les laboratoires », souligne Laurent-Henri Vignaud.

Dans une interview publiée sur le site de l’INA, datant de 1980, Yves Cochelard, membre de l’association, défend la politique de la ligue devant la journaliste qui l’interroge la liberté vaccinale. A la question de savoir s’il est contre le vaccin, le militant répond être « pour la liberté avant tout ». Ces groupes antivaccins demeurent cependant marginaux et n’eurent que peu de poids face au succès des politiques vaccinales. « L’accès à la littérature antivaccin était, avant Internet, un véritable parcours du combattant, explique Laurent-Henri Vignaud. Il fallait se rendre à des réunions le soir ou aller trouver son libraire pour acheter un livre souvent difficile d’accès. »

1998 : l’affaire du vaccin contre l’hépatite B
Suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la France lance en décembre 1994 une vaste campagne de vaccination contre l’hépatite B, infection du foie pouvant être mortelle sur les nourrissons et les préadolescents. Les opérations de vaccination sont alors directement organisées dans les collèges de l’époque. En tout, près d’un tiers de la population française sera vacciné entre 1994 et 1995. En 1996, près de 250 cas de sclérose en plaques, une maladie auto-immune chronique (et potentiellement mortelle) qui attaque le système nerveux central, sont diagnostiqués sur des patients vaccinés contre l’hépatite B. La même année, une thèse réalisée par un chercheur lyonnais, intitulée « Accidents de la vaccination contre l’hépatite B », sert de terreau aux groupes antivaccins et la polémique enfle.

Dans ce contexte, le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, suspend la vaccination en milieu scolaire. Plus qu’un scandale sanitaire, Laurent-Henri Vignaud analyse avant tout cette affaire comme une crise de confiance politique : « Deux gouvernements différents se sont succédé en tenant deux discours radicalement opposés sur l’intérêt de la politique vaccinale contre l’hépatite B. On a tout d’abord encensé les politiques de vaccination pour les suspendre brutalement au nom du principe de précaution. »

En effet, parmi les douze études épidémiologiques menées entre 1999 et le début des années 2000, une seule a mis en évidence le lien de causalité plausible entre le vaccin et une augmentation du risque de développer la sclérose en plaques. Malgré ces démentis scientifiques, le mal était fait, entachant durablement la confiance des Français dans les pouvoirs publics, et par là dans ce vaccin. Un constat que regrette Bernard Bégaud, professeur en pharmacologie à l’université de Bordeaux lorsqu’il est interrogé en octobre 1998 par Libération : « Ce qui me frappe après coup, c’est combien il est difficile de faire bouger les choses. Les médias, par exemple, sont tous restés sur la position qu’ils avaient avant [relayant les dangers potentiels du vaccin contre l’hépatite B, ndlr] », affirme-t-il. Une crise de confiance qui n’est pas sans rappeler celle que traversent les pouvoirs publics à l’heure actuelle. « La gestion de la crise sanitaire par le gouvernement a entaché la confiance des Français. La crise des masques en est un exemple révélateur », selon Laurent-Henri Vignaud.

2009 : l’échec de la campagne H1N1
En novembre 2009 et à la suite des recommandations émises par l’OMS, la France déploie une vaste campagne de vaccination contre la grippe H1N1, un virus contenant les gènes de virus d’origine porcine, aviaire et humaine. Près de 94 millions de doses vaccins sont commandées dès novembre auprès des laboratoires Sanofi-Pasteur, GlaxoSmithKline (GSK) et Novartis. La facture est élevée : « L’organisation et la mise en œuvre de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 ont coûté à ce jour 670 millions d’euros, selon des estimations des ministères de la Santé et de l’Intérieur », écrit l’AFP en mars 2010. Et pourtant, cette campagne est un échec. Un rapport rédigé par des députés en juillet 2010 révèle que les 1 060 centres de vaccination, censés accueillir près de 6 millions de personnes par mois, n’ont vacciné, entre novembre 2009 et juin 2010 qu’un peu plus de 4 millions de personnes.

« La chose la plus dommageable à Roselyne Bachelot [ministre de la Santé et des Sports de l’époque], c’est que les Français n’ont pas cru à cette pandémie de grippe, explique Laurent-Henri Vignaud. Roselyne Bachelot n’a fait qu’appliquer le principe de précaution et a suivi les rapports de l’OMS qui étaient alarmistes à l’époque. » Autre argument soulevé par l’historien : les Français n’ont pas pu se faire vacciner par les médecins de ville. En effet, pour des raisons logistiques, afin de désengorger les hôpitaux et les cabinets libéraux et « renforcer le dispositif de pharmacovigilance renforcée », les autorités ont volontairement exclu les médecins de ville des centres de vaccination. « Ces derniers se sont sentis mis de côté et ont perdu confiance, explique Laurent-Henri Vignaud. Cela a eu un fort impact sur l’échec de la campagne, car on sait que les citoyens accordent un grand intérêt à l’avis de leurs médecins traitants. »

Julie Richard