L’hôpital

Libération - « Décès inattendus » aux urgences : « C’est un échec du système »

Décembre 2022, par Info santé sécu social

Interview

Samu-Urgences de France a décompté plus de 20 « décès inattendus » aux urgences en décembre. Pour Marc Noizet, président du syndicat, c’est la preuve cruelle de la saturation des services et du délabrement du système de soins.

« Dans 80% des cas, les patients décédés en attendant aux urgences avaient été accueillis mais on n’avait pas décrété que leur état était suffisamment grave pour qu’ils soient pris en priorité », précise Marc Noizet, président de Samu-Urgences. (Constant Formé-Bècherat | hanslucas.com)
par Apolline Le Romanser

publié le 29 décembre 2022 à 16h30

Le chiffre choc provient du décompte mis en place depuis le 1er décembre par
Samu-Urgences de France et il est probablement sous-estimé : 23 patients sont décédés sur un brancard en attendant d’être soignés aux urgences, sur le seul mois de décembre. Le syndicat a décidé de recenser les « décès inattendus » pour renforcer les innombrables alertes envoyées par les soignants sur l’état des urgences en France, explique Marc Noizet, président du syndicat et chef des urgences de Mulhouse.

Les urgences ont-elles déjà traversé une telle saturation ?

Non, la situation est inédite. Le système de santé n’a jamais été aussi fragile. Et on n’a jamais eu trois épidémies en même temps. Le Covid est plutôt en ralentissement même si nous avons encore des cas mais la grippe nous sature complètement. La semaine dernière, à peu près un tiers des Samu de France nous ont rapporté qu’ils ont reçu 61% d’appels supplémentaires par rapport à décembre 2021. Les moyens humains dont nous disposons actuellement ne sont pas suffisants. Moi, en tant que chef de service, je ne peux pas faire grand-chose, si ce n’est dire qu’il faudrait qu’on court beaucoup plus vite dans les couloirs, que je demande à mes infirmières de soigner les patients deux par deux… Il y a une telle pression que nous ne sommes plus non plus en capacité de réguler correctement les patients à leur entrée aux urgences, le risque que des pathologies passent à la trappe est accru.

« Je pense que notre résultat est largement sous-estimé : on est sans doute beaucoup plus près des 120 à 150 décès survenus depuis le 1er décembre. »

Dans ces conditions, êtes-vous surpris par l’ampleur du nombre de ce que vous appelez les « décès inattendus » ?

Honnêtement non mais au moins 23 décès en un mois, c’est beaucoup trop. Ces patients, décédés sur des brancards, n’ont pas été pris en charge parce que les services étaient surchargés. Dans 80% des cas, ils avaient été accueillis mais on n’avait pas décrété que leur état était suffisamment grave pour qu’ils soient pris en priorité. Sauf qu’ils ont dû attendre des heures sur un brancard sans qu’on puisse les surveiller suffisamment. Pour les 20% restants, ce sont des patients qui auraient dû bénéficier de soins particuliers qui n’étaient disponibles ni dans l’hôpital ni dans les établissements à proximité. Leur transfert était impossible. Tous ces patients sont restés dans le couloir et en sont morts. Ces chiffres nous permettent de ne pas crier dans le désert : quand on alerte sur l’état des urgences, ce n’est pas de l’agitation syndicale.

Comment êtes-vous parvenus à ce résultat ?

Nous avons demandé aux services de déclarer les cas sur une plateforme indépendante, en renseignant notamment les circonstances des décès. Les réponses que nous avons reçues proviennent d’une quinzaine de départements, ce qui représente une vingtaine de services. Donc je pense que notre résultat est largement sous-estimé : on est sans doute beaucoup plus près des 120 à 150 décès survenus depuis le 1er décembre. A côté de ça, il y a aussi une sous-déclaration des décès de la part des soignants, chez qui cela génère de la culpabilité. Ces morts engendrent une remise en cause de leur pratique : à chaque fois qu’un de ces décès est recensé, nos tutelles nous demandent des comptes. Les soignants sont responsabilisés mais ils n’y peuvent rien : ils subissent eux-mêmes l’encombrement des urgences et le délabrement du système de soins. A chaque fois qu’un patient meurt en attente sur un brancard, c’est un échec du système.

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Allez-vous poursuivre votre décompte et continuer de documenter ces morts dans les couloirs des urgences ?

Je le poursuivrai tant que le système de soins sera dans cet état de délabrement. Si nous avons commencé ce décompte, c’est avant tout pour interpeller notre tutelle. Les autorités ne prennent pas en considération la gravité de la situation. On nous dit que l’hôpital tient, que ça va passer, mais non, ça ne va pas passer. La réflexion sur la refondation de l’ensemble du système de soins va commencer en janvier, mais on n’a pas le temps. Il faut agir immédiatement.