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Libération - Des labos aux plateaux, les chercheuses dans l’ombre

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Aude Massiot — 23 décembre 2020

Victimes de préjugés, les femmes grimpent moins dans les échelons hiérarchiques que les hommes et subissent la précarisation.

« Trois choses se passent quand des femmes sont dans les labos : vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent. » Ces mots, c’est le Britannique Timothy Hunt, Nobel de médecine 2001, qui les prononce en juin 2015. Le backlash ne tarde pas, le poussant à démissionner de l’University College London. Cette démonstration flagrante de sexisme cache une réalité plus subtile mais présente : les chercheuses ont la vie plus dure que leurs collègues masculins.

Surtout, leur proportion s’étiole en grimpant les échelons. Elles restent bien plus nombreuses parmi les maîtres de conférences (45 %) que parmi les professeurs d’université (26 %), même si ce taux a progressé en vingt-cinq ans (12 % en 1992). De même, elles sont encore rares à la tête d’universités ou d’organismes de recherche. En cause, tout d’abord, un préjugé qui a la vie dure : « Le concept de science demeure beaucoup plus fortement associé au masculin qu’au féminin. » Cette conclusion est celle d’une étude publiée dans la revue Nature Human Behaviour en 2019 et menée par des chercheuses et chercheurs du CNRS et de l’Université de la Colombie-Britannique (Canada). Pendant deux ans, ils ont analysé le comportement des jurys pour les postes de directeur ou directrice de recherche du CNRS. Résultat : il existe un biais cognitif, chez les femmes comme les hommes. Ces personnes l’ignorent souvent mais elles considèrent un candidat masculin comme plus compétent à CV égal.

« Stéréotypes »
Une discrimination « cachée » qu’ont confirmée des scientifiques américains grâce à une expérimentation très simple. Ils ont envoyé à 127 professeur·e·s de biologie, physique et chimie le CV d’un individu candidatant pour un poste de gestionnaire de laboratoire. L’astuce ? Tout le monde reçoit le même CV, mais certains avec un nom féminin, les autres masculin. Leurs résultats, publiés dans la revue PNAS en 2012, sont sans appel : l’étudiante est considérée comme moins compétente que l’étudiant au CV identique. Et on propose à la première, en moyenne, un salaire d’entrée de 26 508 dollars, bien inférieur à celui offert au second (30 238).

Trois médecins-cheffes face au harcèlement
« Ce préjugé ne se résout pas seulement en appliquant la parité dans les jurys, martèle Nadine Halberstadt, physicienne, directrice de recherche au CNRS à Toulouse et présidente de l’association Femmes et Sciences. Il est nécessaire de former les personnes pour qu’elles prennent conscience de leurs propres stéréotypes. » Dans le cadre de son plan d’action pour l’égalité femmes-hommes de 2014, le CNRS a promis la mise en place de telles formations, mais elles n’ont pas encore vu le jour.

Pour Nadine Halberstadt, ces discriminations sont aussi le résultat de réformes poussant à la précarisation de ces métiers, comme la loi de programmation de la recherche, adoptée au Sénat le 20 novembre. « Au cours d’un entretien avec Jean-Philippe Bourgoin, conseiller de la ministre, nous avons alerté sur certains dangers. Par exemple, les nouvelles chaires de "professeur junior", qui consistent à donner quatre à six ans à une personne pour faire ses preuves avant d’être recrutée, ou non, au niveau de professeur. Cela va démotiver des scientifiques, souvent des femmes, qui ne veulent pas d’une position précaire qui se prolongerait dans une période de leur vie où elles cherchent de la stabilité pour leur vie familiale. » C’est une réalité : plus l’âge de recrutement est tardif, moins il y a de femmes candidates.

Même problématique pour les nouveaux « CDI de mission scientifique » qui, contrairement à leur nom, s’avèrent à durée limitée.

Autre frein, une fois en poste, les chercheuses peinent à gravir les échelons car elles se retrouvent souvent à gérer les tâches d’enseignement et d’encadrement. Prérogatives chronophages qui ne sont pas valorisées dans les CV (seule la recherche compte pour les promotions).

« Ecarts »
Frédérique Vidal semble pourtant partager ce constat inquiétant. Dans un rapport publié en mars, la ministre écrit : « En France, mais aussi dans la plupart des pays européens, la part des femmes de 25 à 34 ans diplômées de l’enseignement supérieur est 10 points supérieure à celle des hommes. Pourtant, à l’entrée dans la vie active, la position des femmes reste problématique avec des écarts de rémunération défavorables d’emblée - de l’ordre de 10 % pour les diplômées de master -, ou une qualité de l’emploi inférieure, et ce quelle que soit la discipline de formation. » Pour contrer cela, l’association Sciences et Femmes a mis en place un mentorat pour les doctorantes afin de les aider dans leur choix de carrière.

« Pour faire changer les mentalités, il faut aussi donner plus de place aux expertes dans les médias, appelle Nadine Halberstadt. Et faire attention à notre vocabulaire, pour ne pas toujours faire primer le masculin. Car ce qui n’est pas nommé n’existe pas. » Un rapport parlementaire remis en septembre par la députée LREM Céline Calvez a mis en lumière que, pendant le premier confinement, les hommes ont accaparé, selon les chaînes, entre 57 % et 80 % du temps de parole à la télévision. « Une surreprésentation des hommes experts » pour parler de la pandémie.