Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Des traitements anti-Covid au banc d’essai clinique

Avril 2020, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau et Nathalie Raulin — 28 avril 2020

Molécules utilisées pour d’autres pathologies, plasma de patients guéris ou vaccin… De nombreuses parades sont testées dans les hôpitaux français. Et des tentatives se multiplient pour endiguer le virus des Etats-Unis à la Chine.

La quête est planétaire. Les chercheurs s’activent pour trouver un traitement efficace contre le Sars-CoV-2 ou à tout le moins, prévenir les multiples dérèglements de l’organisme - immunitaires, inflammatoires et vasculaires - que provoque l’infection, pouvant entraîner la mort. Un impératif car, en l’absence de traitement ou de vaccin, les populations sont toujours à la merci d’une deuxième vague épidémique meurtrière. L’ennui c’est que le temps manque pour élaborer un médicament ad hoc.

Les scientifiques tentent de trouver le graal parmi les molécules existantes, mais jusqu’à présent utilisées à d’autres fins. Rien qu’en France, 2 000 patients sont engagés dans des essais cliniques variés. Près de la moitié (800) ont été recrutés dans le cadre de Discovery, vaste essai lancé le 22 mars à l’échelle européenne, pour explorer quatre pistes de traitement alors jugées intéressantes. En parallèle, sous la pression de l’urgence, des hospitaliers ont multiplié les initiatives, mus par leur intuition, comme le professeur Didier Raoult, ou après des observations cliniques. Parfois avec un début de succès : des résultats encourageants ont été rendus publics lundi par l’AP-HP sur le tocilizumab. Tour d’horizon des pistes en cours contre le Covid-19.

Remdésivir, un espoir vite nuancé
Cet antiviral, développé durant l’épidémie Ebola en 2014, est un des quatre traitements actuellement testés dans le cadre de l’essai Discovery. S’il faut attendre début mai et les conclusions de l’essai européen pour mesurer son efficacité, les premiers retours d’expérience sont pour l’heure contrastés. Une petite étude, publiée le 10 avril dans The New England Journal of Medicine, avait alimenté l’espoir : les chercheurs ont observé une amélioration clinique chez 36 des 53 patients hospitalisés dans un état très grave, traités avec le remdésivir à titre compassionnel, comprendre faute de mieux.

Toutefois, selon des projets de documents publiés accidentellement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 23 avril, les résultats du premier essai clinique randomisé, mené par des chercheurs chinois, sont décevants. L’antiviral n’a pas amélioré l’état des 158 patients à qui il était administré relativement au groupe contrôle (79 malades), ni réduit la présence du pathogène dans la circulation sanguine. En outre, ses effets secondaires, importants chez certains, ont conduit à retirer 18 patients de l’essai…

Tocilizumab, l’anticorps « prometteur »
Cet anticorps monoclonal, utilisé habituellement dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, est désormais considéré par les infectiologues comme « extrêmement prometteur », s’agissant de maîtriser « l’orage de cytokines », à savoir la surréaction délétère du système immunitaire, qu’entraîne parfois au bout de sept à dix jours l’infection par le Sars-CoV-2. Cet essai randomisé (avec groupe de contrôle) a été lancé le 27 mars sur 129 patients atteints de troubles respiratoires aigus après que le professeur Paolo Ascierto de l’Institut Pasquale de Naples a signalé les bienfaits de l’anticorps. Les chercheurs de l’AP-HP en partenariat avec l’Inserm et le consortium REACting ont noté une amélioration « significative » des malades bénéficiant de ce traitement, moins nombreux, du coup, à être transférés en réanimation. Un espoir mais pas un miracle : ce traitement ne répond aux besoins que de « seulement à 5 % à 10 % des patients infectés » par le coronavirus, même s’ils font partie de ceux qui ont « le plus de risque d’être placés sous respiration artificielle ou de décéder », souligne le professeur Xavier Mariette, co-investigateur coordonnateur de l’étude. Ces premiers résultats, rendus publics lundi par l’AP-HP pour des raisons « éthiques » puisqu’ils peuvent contribuer à sauver des vies partout sur la planète, n’ont toutefois pas encore été publiés dans un journal scientifique avec comité de lecture. La direction de la santé, qui a salué l’avancée, insiste sur la nécessité de conduire d’autres essais cliniques pour confirmer l’intérêt de ce traitement.

Lopinavir-ritonavir, clairement décevant

Egalement testé dans le cadre de Discovery, ce traitement antiviral utilisé contre le VIH, vendu sous le nom de Kaletra, serait lui clairement « décevant » contre le Sars-CoV-2. Voire dangereux eu égard aux effets secondaires sur les reins, le foie et le cœur, observés par les centres de pharmacovigilance. Ce n’est pas vraiment une surprise. Une étude d’une équipe chinoise de l’hôpital de Guangzhou, publiée le 17 avril dans la revue Med indique que ce traitement n’a pas permis d’améliorer l’état des 34 patients à qui il a été administré. Il aurait même provoqué chez les patients traités des effets secondaires (diarrhée, nausée, perte d’appétit), absents du groupe contrôle. Ce résultat corrobore celui d’un premier essai randomisé chinois, portant sur 199 patients en souffrance respiratoire, publié dès le 18 mars dans The New England Journal of Medicine qui concluait à une « absence de bénéfice ».

Hydroxychloroquine, le buzz retombe
Longtemps utilisée contre le paludisme et administrée, à titre préventif ou curatif, un peu partout sur la planète contre le coronavirus, cette molécule, commercialisée sous le nom de Plaquenil, est loin de faire l’unanimité. A l’origine du buzz mondial en faveur de ce traitement combiné à un antibiotique (l’azithromycine), le professeur Didier Raoult (IHU de Marseille) a produit deux études dont une portant sur un millier de patients pour en démontrer les bienfaits. Mais ces essais thérapeutiques, menés sans groupe témoin, sur des patients faiblement atteints et dont l’âge moyen était inférieur à 50 ans, donc moins sujets à complications, n’ont pas convaincu les scientifiques. D’autant que plusieurs autres études, chinoise, française et américaine, font état d’une absence de bienfait pour les patients, voire d’une hausse de la mortalité des malades graves. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a aussi mis en garde contre les troubles du rythme cardiaque, parfois fatals, que la molécule peut entraîner.

A l’international mais aussi en France, plusieurs essais sont en cours pour tenter d’y voir plus clair. Un bras de l’essai européen Discovery est consacré à l’hydroxychloroquine. Le CHU d’Angers a de son côté lancé le 31 mars l’essai Hycovid, prévu pour intégrer 1 300 patients, de sorte à tester l’efficacité de l’hydroxychloroquine chez des patients atteints d’une forme non grave d’infection au Covid-19 mais à risque élevé d’évolution défavorable. Un essai dont les conclusions ne devraient pas être connues avant « plusieurs semaines », selon le CHU. De son côté, l’AP-HP a lancé mi-avril une étude « randomisée et contrôlée versus placebo » avec pour objectif de recruter sous trente jours 900 professionnels de santé pour tester l’utilité préventive de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine sur les soignants. Pour en avoir le cœur net, il va falloir attendre.

Coviplasm, sur la piste de l’immunothérapie

C’est un des essais les plus prometteurs, mené par la professeure Karine Lacombe, cheffe de service à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il a démarré le 7 avril en Ile-de-France, dans le Grand-Est et en Bourgogne - Franche-Comté auprès d’environ 200 patients guéris : « Il consiste en la transfusion de plasma de patients guéris du Covid-19, contenant des anticorps dirigés contre le virus, et qui pourrait transférer cette immunité à un patient souffrant du Covid-19 », explique Karine Lacombe à Libération. Plusieurs essais de ce type ont déjà été lancés, se fondant donc sur le principe d’immunothérapie. Ainsi, pendant les épidémies du Sras et du Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), cette technique avait été déjà testée, montrant d’ailleurs des résultats encourageants, mais restant sur de petits effectifs.

Sur le Covid-19, une étude chinoise portant sur cinq patients sous assistance respiratoire mécanique est déjà parue fin mars. Trois patients avaient pu quitter l’hôpital après plus de cinquante jours d’hospitalisation. Un second résultat a été publié le 6 avril dans PNAS, la revue de l’Académie des sciences des Etats-Unis, par une autre équipe pékinoise. L’étude portant sur dix patients « sévèrement atteints », à qui l’on a transfusé 200 millilitres de plasma de convalescents. « Tous les symptômes présents chez ces dix patients ont disparu ou se sont largement améliorés entre un et trois jours suivant la transfusion », ont expliqué les chercheurs chinois. Le niveau des anticorps mesuré chez cinq des patients est ainsi monté rapidement, la charge virale devenant indétectable chez sept d’entre eux.

Dénommé Coviplasm, l’essai français suscite très logiquement beaucoup d’espoirs, même si des inconnues demeurent, en particulier sur le pouvoir neutralisant des anticorps et leur durée de vie. Pour la professeure Karine Lacombe, les premiers résultats ne devraient pas intervenir avant une dizaine de jours. Ils vont être aussi dépendants « de l’impact du déconfinement sur l’épidémie », indique-t-elle.

Vaccin, une question de calendrier
Selon les chercheurs, le mettre au point ne présente pas de difficultés techniques majeures. Près de 150 projets de vaccin contre le Sars-CoV-2 sont en cours dans le monde. Cinq équipes ont même annoncé être prêtes à lancer des essais cliniques sur l’homme. C’est le cas de l’entreprise américaine Moderna, dans des conditions éthiques discutables, de l’entreprise allemande BioNTech, de chercheurs de l’université d’Oxford ou de l’Institut Pasteur en partenariat avec Themis, une entreprise de biotechnologie autrichienne. Même techniquement « très avancé », le laboratoire commun à l’Institut Pasteur et TheraVectys, ne devrait pas franchir ce cap coûteux pour une utilité incertaine dans le cas d’un coronavirus susceptible de disparaître sans retour d’ici quelques mois. Car la vraie question est celle du calendrier. Même pour les candidats les plus prometteurs, inutile d’espérer disposer d’un vaccin sûr avant douze à dix-huit mois. Soit « trop tard pour l’épidémie actuelle », estime le docteur Pierre Charneau, chef de l’unité de virologie moléculaire et de vaccinologie à l’Institut Pasteur.