Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Didier Sicard : « Dans la vieillesse, ce qui est important, ce sont les liens affectifs et sociaux »

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau — 8 novembre 2020

L’ancien président du Comité national d’éthique se dit défavorable à des mesures de confinement renforcé pour les personnes âgées et s’inquiète d’une communication déresponsabilisante des pouvoirs publics sur l’épidémie.

Ils l’ont répété ces jours-ci avec insistance. Alors que des experts ont suggéré de confiner plus fortement les personnes âgées et vulnérables, différents membres du gouvernement sont montés au créneau pour réaffirmer que l’exécutif n’avait aucunement l’intention d’imposer une telle mesure aux seniors. « A la fois pour des raisons de faisabilité et à la fois pour des raisons de solidarité entre les générations, ce n’est pas une solution que nous avons retenue et que nous retiendrons », a ainsi expliqué Olivier Véran, ce week-end, en marge d’une visite dans une maison de retraite de Clamart, dans les Hauts-de-Seine. « Une telle stratégie supposerait qu’à partir d’un certain âge, les gens n’ont plus le droit de sortir de chez eux, et les autres peuvent continuer à circuler. Drôle de société ! » a ajouté le ministre de la Santé.

Certes les personnes âgées ont plus de risque de développer des formes graves du Covid-19, mais « dans un tel scénario, il serait très compliqué de fixer une limite d’âge pertinente », a-t-il argumenté, soulignant que « l’âge moyen d’un patient en réanimation atteignait 62 ans, mais que 30% des patients en réanimation avaient moins de 60 ans ». En plus, a-t-il rappelé, « si vous habitez dans un quartier populaire, que vous êtes parfois deux ou trois générations dans un appartement, et parfois 10 personnes dans un trois-pièces, vous faites comment ? »

Le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique revient sur ce débat. Il s’inquiète d’une communication confuse et déresponsabilisante des pouvoirs publics.

Votre successeur au Comité national d’éthique, le professeur Jean-François Delfraissy, avait évoqué au printemps la possibilité de mesures plus fortes d’isolement des personnes âgées. Y êtes-vous favorable ?
De fait, on mélange deux situations, celle des Ehpad et celles des personnes âgées vivant à domicile. Ce qui me choque, c’est de confiner sans l’accord de la personne concernée. Et cela, nous avons pu le voir au début de la première vague de l’épidémie avec des Ehpad fermés à double tour, sans aucune visite possible. C’était ahurissant. Au nom de quoi, de quelles valeurs, a-t-on réduit l’autonomie de ces résidents sans leur consentement ? Cela m’a profondément choqué. D’autant que l’on commet là une erreur essentielle. Dans la vieillesse, ce qui est important ce sont les liens affectifs et sociaux, beaucoup plus que je ne sais quelle sécurité biologique que l’on a voulu leur imposer. Cela m’a paru démesuré, et cela a été d’une grande violence.

Mais ne faut-il pas contraindre un peu plus les personnes de plus de 70 ans, voire 65 ans, qui vivent chez elles ?
D’abord, constatons qu’ils font souvent très attention, même si cela n’est pas suffisant. Ensuite, la question de la contamination intrafamiliale – puisque c’est cela qui est en cause – est complexe. On a tous du mal à intégrer la notion de risque, encore plus quand on constate que 60% des personnes infectées n’ont pas le moindre symptôme. Comment se protéger de ce que l’on ne voit pas, d’un virus, parfois, sans manifestations visibles ? La peur du Covid ne s’est pas accompagnée de la peur de contaminer. Ce qui est certain, c’est que les personnes âgées doivent se protéger d’abord elles-mêmes. Beaucoup de grands-parents ne voient plus leurs petits enfants.

Lorsque l’essayiste François de Closets pointe que cette génération bénie des plus de 70 ans a déjà largement bénéficié de la vie, et qu’elle peut laisser la place aux jeunes… que répondez-vous ?
Il a raison de dire que cette génération a été bénie, et de dire que la solidarité intergénérationnelle, cela existe. Mais le problème, c’est la famille. Comment réduire la contamination intrafamiliale par des contraintes ?

Faut-il prendre, néanmoins, plus de mesures vis-à-vis des personnes avec des facteurs de risque ?
D’abord, on ne peut pas les protéger contre eux-mêmes. Ensuite, l’urgence me paraît ailleurs. La collectivité devrait protéger les plus vulnérables, les handicapés par exemple, qui sont complètement perdus et abandonnés. La collectivité devrait protéger les sans-papiers qui vivent souvent dans des campements, aider ceux qui vivent à 10 dans 40 m². Les sans-domicile devraient pouvoir vivre dans les hôtels désertés. On devrait se préoccuper de mettre les plus fragiles à l’abri. C’est à l’Etat de protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger.

Dans ce contexte, quel regard portez-vous sur l’actuelle communication publique sur le Covid ?
La communication n’est pas claire, elle est même confuse, souvent infantilisante. Elle devrait être faite de mots clairs, de mots simples et compréhensibles.

C’est-à-dire...
Les discours publics devraient être capables de donner de l’autonomie de décision aux gens, de les responsabiliser. Faire en sorte que les gens se disent que c’est à eux de prendre la décision, et non pas le mettre dans la position d’un petit garçon qui doit obéir et suivre. Le grand échec, je le redis, est qu’il n’y ait pas eu de comité de citoyens pour que la société prenne toute sa place dans ces débats. Je ne comprends pas. Le professeur Jean-François Delfraissy l’a demandé, il ne l’a pas obtenu. Entre la parole scientifique et la parole politique, il y a une place pour une parole autonome des citoyens.

Mais à quoi cela servirait-il ?
Certaines mesures auraient pu être débattues dans ce comité sans allonger les délais de décision. Des discussions ouvertes, collectives. Cela n’aurait pas été absurde de prendre un peu de temps. On aurait pu le faire, ainsi, sur la question des personnes âgées. Ce n’est pas un débat parlementaire de quelques heures qui peut donner une réponse pertinente.

Est-ce trop tard ?
Il y a eu a une erreur stratégique de ne pas concevoir des discours et des politiques faits pour donner de l’autonomie aux gens. C’est l’inverse qui a été fait. Regardez les données que l’on nous délivre quotidiennement. Que voulez-vous que l’on dise devant le chiffre des morts quotidiens ? Si l’on avait des chiffres plus parlants, cela pourrait intéresser et responsabiliser les personnes, comme l’évolution du taux de contamination de nos eaux usées, qui donne une idée de l’évolution de l’épidémie.

Eh bien non. On a créé une vision enfermante de la santé publique, qui pourtant ne se résume pas au nombre de morts. La santé publique, ce n’est pas cela. C’est créer, susciter de l’autonomie. Là on fait peur, on terrorise. Et les gens, naturellement, se referment. Cela ne veut pas dire qu’ils se protègent mieux.

Eric Favereau