Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Domicile, réunions familiales ou amicales, travail… Où les Français se contaminent-ils au Covid-19 ?

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Anaïs Moran — 17 décembre 2020

La très attendue étude de l’Institut Pasteur sur les lieux de contamination dévoile l’importance des repas et des réunions privées dans la propagation de l’épidémie.
Domicile, réunions familiales ou amicales, travail… Où les Français se contaminent-ils au Covid-19 ?

Où les Français s’infectent-ils par le Sars-CoV-2 ? Il aura fallu attendre dix mois, deux vagues épidémiques, et près de 60 000 morts pour disposer des premiers éléments de réponse français sur le sujet. Dévoilée ce jeudi, l’étude ComCor de l’Institut Pasteur, dirigée par l’épidémiologiste et membre du Conseil scientifique Arnaud Fontanet, propose enfin des données détaillées sur « les lieux et les circonstances de contamination » d’une part et sur « les facteurs associés à l’infection au Covid-19 » d’autre part. L’équipe de chercheurs – en partenariat avec la Caisse nationale de l’assurance maladie, Santé publique France et l’institut Ipsos – s’est appuyée sur des questionnaires remplis par des individus officiellement positifs au Covid-19 (quelque 25 000 personnes), ainsi que par des « cas témoins » afin de pouvoir comparer les deux groupes.

« L’interprétation des résultats doit rester prudente », signalent les chercheurs dans le compte rendu de 26 pages de cette double étude. D’abord, car les répondants « ne peuvent être considérés comme représentatifs de la population des personnes infectées sur le territoire français ». Ensuite, parce que les résultats « s’appliquent à deux périodes très particulières de l’évolution de l’épidémie », à savoir le couvre-feu (17 au 30 octobre) et le confinement partiel (depuis le 30 octobre).

« Le résultat le plus important », selon l’Institut, est que 44% des personnes infectées « connaissent » la personne source qui les a contaminées, mais 35% ne savent pas du tout comment elles ont pu l’être (les autres 21% suspectant un événement particulier sans connaître la personne source de l’infection). Lorsque cette dernière est connue, il s’agit dans 35% des cas d’un individu vivant dans la même maison, et dans les 65% restants d’une personne hors du domicile.

1- Le « rôle majeur » des rassemblements familiaux et amicaux autour des repas

Si un gros tiers des contaminations se passent entre les membres d’un même foyer, les rassemblements extra-domiciliaires familiaux et amicaux sont tout aussi problématiques : « De toutes les circonstances analysées, les réunions privées sont celles à qui la plus grande part des infections peut être attribuée pendant la période d’étude. » Dans plus de 90% de ces cas de transmission, ni la personne infectieuse ni la personne en voie d’être infectée ne portaient de masques. Pour plus des trois quarts des situations, le contact s’est produit en intérieur avec les fenêtres fermées. Surtout, que ce soit dans le milieu familial élargi (hors du foyer, donc, pour 32,9% des cas) ou amical (22,1% des cas), les chercheurs indiquent que les contaminations ont « majoritairement eu lieu lors d’un repas sans occasion particulière » (car elles représentent respectivement 45% et 53% des infections liées à ces deux environnements). « Il y a vraiment un sujet autour des repas et c’est une surprise », a concédé Arnaud Fontanet lors d’un point presse ce jeudi.

Les chercheurs insistent sur la nécessité d’en tenir compte : « Sur la base de ces résultats, il est important de rappeler à l’approche des fêtes de fin d’année les risques associés aux réunions en milieu familial et amical », écrivent-ils. « Des gestes simples, comme le respect des distances physiques y compris lors des repas pour les personnes fragiles (leur proposer de manger à une table séparée), le port du masque dès le repas terminé, l’hygiène des mains, le nettoyage des surfaces, et l’aération des locaux sont importants pour limiter la transmission. »

2- L’école, les professeurs et les contaminations à la maison

Selon l’étude (et selon toute logique), plus le nombre de personnes vivant sous le même toit est important, plus la possibilité d’être contaminé est élevée. Pour les adultes, il s’agit principalement d’une contamination par le conjoint (64% des cas). L’Institut Pasteur précise bien que la présence (ou non) d’enfants joue un rôle important, même s’ils ne représentent que 25% des sources infectieuses identifiées par leurs parents. « Le fait que les enfants soient a- ou peu symptomatiques quand ils sont infectés peut expliquer qu’ils ne soient pas souvent identifiés comme personne source de l’infection », suggèrent les scientifiques, mais ces derniers présentent bien eux-mêmes un sur-risque. Qu’ils soient en crèche, chez une assistante maternelle, en école maternelle, au collège ou au lycée. Point étonnant et « difficile à interpréter » pour l’heure : l’absence de sur-risque uniquement associée aux enfants scolarisés dans le primaire. « Peut-être parce que les enfants de moins de 11 ans, on le sait, sont moins contagieux et qu’ils ont probablement des relations moins étroites avec les adultes que les petits en crèche ou en maternelle », a tenté d’analyser Arnaud Fontanet lors de la présentation de l’étude.

Point rassurant : un « sous-risque » pour les métiers de l’enseignement, ce qui laisse à penser que « les enseignants et instituteurs arrivent à se protéger efficacement contre les risques d’infection dans leur environnement professionnel », analyse l’Institut. Concernant les universités – à effectifs réduits depuis le 6 octobre et entièrement fermées depuis le 28 octobre – les chercheurs se sont rendu compte de l’absence de sur-risque des étudiants depuis la fermeture des facs. Autrement dit, « ceci pourrait laisser entendre que la fermeture des universités a permis de contrôler la circulation du virus dans cette population », écrivent les experts.

3- Lieux de travail et métiers à risque

Le milieu professionnel représente 29% des contaminations hors du foyer familial. Dans les détails, les lieux de contamination identifiés dans l’étude étaient, pour presque 35% des transmissions, ceux d’un « un bureau partagé », et pour 24% des cas, « un lieu de restauration ». Dans presque une situation sur deux, la personne infectieuse et son cas contact ne portaient pas de masque. Les chercheurs établissent également que les réunions professionnelles « représentent un sur-risque » mais « modéré » – ce qui peut laisser penser que peut-être, le masque est plus fréquemment porté dans ce contexte précis.

En outre, l’étude dévoile que quatre catégories socioprofessionnelles ont eu un risque d’infection plus élevé que les autres pendant le couvre-feu et le confinement partiel : les cadres administratifs et commerciaux d’entreprise, les professions intermédiaires de la santé et du travail social, les ouvriers et les chauffeurs. A l’inverse, les employés civils et agents de service de la fonction publique, les employés administratifs d’entreprise, les agriculteurs et donc aussi les enseignants, ont présenté des sous-risques. Les raisons ? L’Institut Pasteur n’en dit mot et indique qu’il va falloir en « comprendre les déterminants ». Arnaud Fontanet se demande même « si il n’y a pas un biais dans la sélection des répondants » qui expliquerait ces résultats. Comme attendu, la seule certitude est que le télétravail est associé à « une diminution de 30% du risque d’être infecté ».

4- Transports, commerces, restaurants et pratiques sportives

Grosse interrogation depuis des mois, l’état des contaminations dans les transports se dessine enfin. Sur ce point, l’équipe d’Arnaud Fontanet rassure en indiquant que les transports en commun « n’ont pas présenté de sur-risque », ni dans le train ni dans le métro, et ont même révélé « une baisse de risque pour ceux voyageant en bus ou en tramway ». Selon l’Institut Pasteur, seuls le covoiturage et les voyages à l’étranger sont associés à une augmentation du risque d’infection. Sujet de tensions majeures entre les commerçants et le gouvernement durant cette seconde vague, les magasins n’ont pas non plus affiché de sur-risque durant la période étudiée. De même pour la pratique du sport en extérieur (contrairement à celle en salle). En revanche, pour les bars et les restaurants, les chercheurs confirment que leur fréquentation est associée à une augmentation des risques, même s’ils n’en spécifient pas la part exacte. Côté culture, rien à signaler. Le rapport ne propose aucune donnée. « Maintenant que notre outil est performant, nous pourrions peut-être rouvrir certains lieux de culture et analyser s’ils sont des sources importantes de contaminations », a suggéré le membre du Conseil scientifique.

5- L’isolement majoritairement respecté par les malades, mais trop tardivement

Volet annexe du travail des scientifiques, « les comportements associés à un risque augmenté d’infection » ont aussi été scrutés à la loupe. Résultat : si la très grande majorité des personnes contaminées se sont isolées pendant leur infection (97,3%), seulement 54% d’entre elles l’ont fait « dès les premiers symptômes » et 64% d’entre elles « dès la connaissance d’un contact » (chez les asymptomatiques notamment). Ce qui laisse clairement une fenêtre de tir pour contaminer autrui avant l’isolement.

Une fois reclus, les malades sont cependant « bien conscients de leur comportement à risque » et réagissent par une limitation des déplacements (94,5%), une éviction des contacts avec les personnes fragiles (85,2%), le port du masque (89,3%) et le lavage des mains (90,5%). S’agissant des contaminations au sein du foyer, les mesures d’isolement sont plus difficilement respectées vis-à-vis de la personne infectieuse. D’après l’étude ComCor, celles-ci n’ont été prises que dans la moitié des cas (51%), mais aussi « de façon trop tardive et incomplète » avec, par exemple, des repas encore partagés dans un tiers des situations.

Anaïs Moran