Pauvreté, inégalités sociales

Libération - Emmanuel Macron : l’affaire de la montre, par Daniel Schneidermann

Mars 2023, par Info santé sécu social

Après « l’affaire du collier de la reine » celle de la montre du chef de l’Etat. Marie-Antoinette n’avait finalement pas commandé le collier, et Emmanuel Macron n’a pas voulu dissimuler sa montre à 2 400 euros… Dans les deux cas, le feu a pris rapidement.

par Daniel Schneidermann
publié le 24 mars 2023

Le 15 août 1785, en présence de la Cour, le cardinal de Rohan, archevêque de Strasbourg et grand aumônier de France, est arrêté à Versailles. Il lui est reproché d’avoir impliqué la reine Marie-Antoinette dans ce qu’on appellera « l’affaire du collier ». La reine y est accusée d’avoir commandé un collier de diamants, d’une valeur d’un million et demi de livres, et de dilapider l’argent de l’Etat. Fleurissent chansons, rumeurs, calomnies et libelles. Pour rétablir l’honneur de la reine, Louis XVI refuse d’étouffer l’affaire. Au printemps suivant, l’enquête du Parlement de Paris révélera que le cardinal a été abusé par des escrocs, et que la reine n’y était pour rien. Mais l’acquittement du cardinal est un camouflet pour la monarchie. Et pour l’opinion, la cause est entendue. L’épisode restera pour l’histoire sous le nom de « l’affaire du collier de la reine ». Et pas de « l’affaire du cardinal de Rohan ».

Le 22 mars 2023, Emmanuel Macron, au cours d’une interview télévisée aux journaux de 13 heures de TF1 et de France 2, glisse ses deux mains sous la table, et retire sa montre. Alors qu’au plan précédent, il apparaissait avec ladite montre, son poignet gauche est vide au plan suivant. « C’est l’image ! » tweete le lendemain la députée insoumise Clémence Guetté. « Au moment de parler des ”smicards” qui n’ont “jamais autant gagné de pouvoir d’achat”, il retire discrètement sa jolie montre de luxe, sous la table. Cet homme est une farce ! »

Très vite, sur les réseaux sociaux, les libelles d’aujourd’hui, fuite le prix exorbitant de ladite montre escamotée : 80 000 euros. Et s’esquisse un scénario de l’épisode : le Président aurait réalisé en direct l’indécence de l’exhibition d’une montre coûtant plus de cinq ans de smic net, et aurait tenté de la retirer discrètement.

Plus prompte que celle du Parlement de Paris en 1785, l’enquête de CheckNews révèle l’après-midi même que Macron a retiré sa montre, non pas pour cacher une montre à 80 000 euros, mais parce que la tocante toquait bruyamment contre la table. En outre, l’escamotage ne s’est pas déroulé au moment précis où il évoquait les smicards, mais (nuance !) alors qu’il condamnait les blocages de raffineries ou d’incinérateurs. Enfin, précise l’Elysée, la montre ne coûte « que » 2 400 euros environ, (soit « seulement » près de deux mois de smic net).

Des faits hautement vraisemblables

Soit. Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine n’avait pas commandé le collier. Emmanuel Macron n’a pas voulu dissimuler sa montre. Mais si le feu a pris si rapidement, c’est que les deux faits étaient hautement vraisemblables. Antoinette, pour combler ses courtisans et ses favorites, pour construire son hameau à Trianon, puisait à pleines mains dans les caisses de l’Etat. Les ruineux privilèges de l’aristocratie étaient chaque année plus insupportables au tiers état. Emmanuel Macron a fait adopter de nombreuses mesures, notamment fiscales, favorables aux riches. Son gouvernement a obstinément refusé, pour combler le déficit allégué des retraites, de taxer les « super-riches ».

Son goût de la provocation ne s’est jamais démenti. Dans cette même interview, censée apaiser la révolte contre la réforme des retraites, il a glissé son couplet habituel sur les bénéficiaires du RSA, « qu’il faut ramener sur le chemin du travail », manière « apaisée » d’ordonner de remettre les feignants au boulot. Il a comparé les manifestants français aux saccageurs d’extrême droite du Capitole de Washington ou du Parlement brésilien. La veille même, il avait condamné « la foule » manifestante, l’opposant au « peuple » représenté par ses élus, suscitant en réaction une floraison de citations hugoliennes. Provocation pour provocation, pourquoi ne pas arborer une montre à 80 000 euros ? Amateurisme pour amateurisme, pourquoi ne pas la retirer sous la table, sans anticiper que les réseaux sociaux s’en repaîtront ? En outre, l’incident survient au moment précis où est évoquée pour la semaine suivante la réception du roi d’Angleterre dans la galerie des glaces de Versailles (elle sera annulée le surlendemain). Perruques poudrées et barricades : par toutes les fissures possibles, l’imaginaire révolutionnaire s’invite ces temps-ci dans l’actualité.

Au-delà des régimes qu’ils incarnent, et des intérêts que servent ces régimes, Macron est personnellement haï, comme l’Autrichienne était personnellement haïe, davantage que la monarchie elle-même. Cupidité égoïste de Marie-Antoinette, aveuglement et provocations de Macron : factuellement fausses, et ressenties comme injustes, les deux accusations sont politiquement cohérentes.