Réforme retraites 2023

Libération - Emmanuel Macron, un présidentialisme sans légitimité au service du marché

Mars 2023, par Info santé sécu social

TRIBUNE

Le chef de l’Etat invoque la « nécessité » de sa réforme des retraites comme une loi intangible et supérieure à toute, au mépris de la démocratie sociale, analyse le politologue Rémi Lefebvre.

par Rémi Lefebvre, Professeur de science politique
publié le 23 mars 2023

Dans le Conseil des ministres qui a déclenché le 49-3, Emmanuel Macron a (dé)livré le sens de la « réforme » : « Les risques économiques et financiers sont trop grands. » Il avait déclaré quelques jours avant, avec la condescendance mâtinée de paternalisme qui est sa marque : « Faire des économies de finances publiques n’est pas un mouvement spontané de la nation. » Le peuple est décidément réfractaire à l’orthodoxie budgétaire et à la démopédie (1) néolibérale, obligeant à toujours plus de « pédagogie ».

Dans son allocution télévisée de mercredi, le Président a repris ce discours de manière plus implicite, regrettant, à deux reprises, de n’avoir pas « réussi à partager la contrainte ». La « nécessité » qu’il invoque comme une loi intangible supérieure à toute et un mantra c’est celle des « marchés » qu’il faut rassurer, de la dette qu’il faut financer, de la « confiance » française qu’il faut honorer. Depuis des mois, l’exécutif, pour justifier sa réforme, a beaucoup oscillé dans sa communication et ses éléments de langage. Mais au final la « sauvegarde » du système par répartition aura bien été l’habillage d’une réforme avant tout comptable qui vise à préserver la confiance de la France sur les marchés financiers.

Comme l’économiste Michaël Zemmour l’a démontré, les économies faites sur les retraites doivent compenser avant tout une baisse des impôts de production. Le Président l’a martelé à la télévision : il n’y a pas d’alternative, la contestation est inhérente à toute réforme des retraites, travailler plus est incontournable, « nous devons avancer », fut-ce à marche forcée. Aussi le texte doit poursuivre, à toute force, « son chemin démocratique » dont il ne saurait se détourner. Face au « blocage », le gouvernement n’a fait qu’utiliser les ressources des armes légales à sa disposition. Elisabeth Borne l’a déclaré à l’Assemblée nationale : « Ce n’est pas un dictateur qui a inventé le 49-3 mais de Gaulle. » En bref, nous ne sommes pas sortis des institutions derrière lesquelles se claquemure le pouvoir.

Aucune légitimité populaire
Le plus cocasse est que les marchés financiers restent sceptiques. Il y a quelques jours, l’agence de notation Moody’s a déploré que le recours au 49-3 ne complique l’adoption « de futures réformes ». Une leçon de méthodes est donnée à un pouvoir dont le manque de doigté et de subtilité démocratique risque d’entraver l’approfondissement de l’agenda libéral…

Une autre expression est marquante dans l’allocution du Président : « Nous sommes en république à une voix près. » Même mal élu, le Président juge sa légitimité indiscutable. Le pouvoir se retranche derrière les institutions, la pure arithmétique politique et l’onction de l’élection, plus fragile que jamais, pour imposer une réforme qui ne s’appuie sur aucune légitimité populaire. Il n’y a pas d’ambiguïté puisque l’allongement de la durée légale de l’âge de la retraite était dans son programme. Rappelons que la démocratie est fondée sur une double légitimité au principe du consentement des citoyens : celle procédurale conférée par l’élection et une légitimité, moins quantifiable, qu’on peut appeler de sociale.

La première est de plus en plus faible. L’élection ne donne plus guère de mandat, sa dramaturgie est épuisée, elle sert à éliminer plus qu’à légitimer, elle ne donne plus vraiment lieu à délibération collective (la non-campagne de 2022), elle mobilise en conséquence de moins en moins et conduit à des verdicts contradictoires (Emmanuel Macron, réélu, n’a qu’une majorité relative). C’est pourtant au nom de ce mandat fragile mais jugé indépassable que le pouvoir impose une décision brutale. Il écrase ce faisant les autres légitimités, celle de la rue et celle de l’opinion mais aussi celles, plus instituées, des corps intermédiaires et du Parlement.

Posture quasi sacrificielle
Démocratie d’opinion, démocratie sociale et démocratie protestataire convergent dans un consensus inédit : la mobilisation a été massive et constante dans les manifestations, l’hostilité à la réforme est quasi unanime dans l’opinion, l’unité syndicale est inédite. Mais la démocratie représentative (qui porte de plus en plus mal son nom) reste maîtresse d’un jeu qui ne s’appuie plus sur aucune assise sociale, comme si l’exercice démocratique ne se réduisait plus qu’à l’usage du droit. Restent « les factions et les factieux », la rue étant associée à la « foule » dans un langage méprisant que l’on croyait révolu depuis les outrances de Gustave Le Bon.

Le président de la République a d’autant plus les coudées franches qu’il ne peut plus être candidat. Aussi se dit-il prêt, dans une posture quasi sacrificielle, à dilapider son capital politique et à « endosser l’impopularité » d’une réforme « qui ne fait pas plaisir », comme s’il fallait lui en porter crédit. L’un des pouvoirs principaux des électeurs en démocratie est de reconduire ou non les élus sortants. Pour le président actuel, ils en sont privés. Il n’y a donc plus de corde de rappel. L’exécutif est prêt à aller jusqu’au bout… quel qu’en soit le prix. Emmanuel Macron était une réponse possible à la crise démocratique en 2017. Elle s’est depuis encore approfondie. Le présidentialisme sans légitimité au service du marché s’est radicalisé. Le « chemin démocratique » semble ouvrir sur un gouffre politique…

(1) L’art d’instruire le peuple.