Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Libération - « En thérapie » : la psychanalyse sur le divan de la scène

Février 2021, par Info santé sécu social

Décryptage

Le succès de la série d’Arte renforce l’impression que la psychanalyse, critiquée depuis le début des années 2000, est de nouveau plébiscitée par des Français fragilisés par une actualité anxiogène.

par Eric Favereau
publié le 12 février

Jacques-Alain Miller, gendre de Lacan et fondateur de l’Ecole de la cause freudienne, marmonne trois mots autour de la série d’Arte : « J’ai juste regardé deux minutes. » Mais cette personnalité historique du monde de la psychanalyse lâche quand même, à propos d’En thérapie : « Pour une fois qu’on ne nous lance pas de la boue… »

Que diable se passe-t-il, en effet ? Depuis le début des années 2000, on a assisté à un renversement impressionnant de l’image de la psychanalyse, passée d’une théorie dominante et incontestée à une discipline proche de l’escroquerie, avec des règles que l’on caricaturait à tous vents. Et voilà qu’une série télévisée s’immisce dans le cabinet d’un analyste, décrit des séances avec ses patients, révèle des liens entre des symptômes et des mots, et pointe la belle écoute du praticien. Et elle fait un triomphe. Une série « qui fait du bien », lâche Télérama, enthousiaste. « Des séances palpitantes », écrit Libération (édition du 30 janvier). « Mes patients sont enchantés, poursuit Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste qui avait fondé « Stop DSM » (collectif qui combattait la classification américaine des maladies mentales). Ils sont très contents, ils disent que cela va permettre de sortir enfin des clichés autour de l’analyse. J’observe aussi un impact dans ma pratique : j’ai plus d’une dizaine de personnes − des jeunes, et certains venus de l’immigration − qui veulent commencer un travail. J’ai rarement vécu cela. » Ce que nous confirme l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco.

Polémiques et questions

Le changement d’air du temps est en tout cas significatif. Et par bien des cotés, inattendu. Rappelons-nous, c’était il n’y a pas si longtemps, en octobre 2019, juste avant le Covid. Comme un symptôme, dans une tribune au vitriol parue dans l’Obs, plus de 60 psychiatres et psychologues demandaient que les partisans d’analyses d’inspiration freudienne soient écartés des expertises judiciaires. Les raisons ? « Ils font des diagnostics fantaisistes », « des diagnostics non reconnus par les autorités internationales », écrivaient les signataires. Pire, ces pratiques ne prendraient pas en compte « les besoins des malades psychiatriques », elles aboutiraient à une « culpabilisation des victimes de violences sexuelles »… Et les signataires de conclure en exigeant que « la psychanalyse soit exclue des tribunaux, mais aussi des universités ».

Propos sévères, définitifs. De fait, ces critiques n’étaient pas nouvelles. On peut même en trouver trace dès 2004, avec ce que l’on a appelé « l’affaire de l’amendement Accoyer », du nom de ce député-médecin de droite qui a voulu réglementer le titre de psychothérapeute. Vu l’abondance de praticiens se déclarant psychothérapeutes, les pouvoirs publics ont voulu réagir pour empêcher certaines pratiques financières ou cliniques douteuses, n’importe qui pouvant, en effet, poser sa plaque au bas d’un immeuble. Face à ce souhait d’une certaine remise en ordre, une bonne partie du monde analytique s’est cabrée, dénonçant une mainmise cachée de l’Etat dans l’intimité du sujet, certaines écoles analytiques voulant, au surplus, garder les mains libres pour former leurs apprentis analystes. Mais ce combat contre l’amendement Accoyer a été mal mené et le monde des analystes l’a perdu. Quelques mois plus tard, en 2005, nouvelle attaque avec la sortie d’un Livre noir de la psychanalyse. Véritable pamphlet, bourré d’injures et d’erreurs, il posait néanmoins plusieurs questions judicieuses, comme par exemple celle de l’homosexualité, considérée alors par certains analystes comme une pathologie mentale. Il y avait aussi les réticences affichées d’une partie de ce milieu autour des familles homoparentales et de l’aide médicale à la procréation. Bref, le monde analytique était déstabilisé. Il n’était plus intouchable. Mais là encore, il s’est mal défendu, arc-bouté sur des certitudes, ne reconnaissant aucune erreur ni aucun faux pas, enfermé aussi dans des querelles d’écoles.

Arrive enfin l’offensive menée autour de l’autisme, portée au départ par des associations de parents qui vivaient alors un cauchemar face à la détresse de leur enfant. Faut-il rappeler qu’aucune prise en charge ne donnait alors de résultats ? Mais il flottait un air du temps parfois pénible, les parents se sentant souvent accusés d’être la cause de la maladie de leur enfant. En mars 2012, la Haute Autorité de santé (HAS) a sonné l’hallali, « en déclarant inopérante les pratiques psychothérapeutiques dans la prise en charge de l’autisme », les interdisant peu après. Pour la psychanalyse, cette défaite a été symboliquement très lourde : cela a marqué la fin d’une domination dans les pratiques, mais aussi dans la sphère intellectuelle. D’autant qu’au même moment, le bulldozer des neurosciences a commencé sa route, imposant ses lois, ses regards, ses laboratoires de recherche, ses logiques, mais aussi ses budgets. Non sans raison, le monde psychanalytique a pu dénoncer alors une véritable chasse aux sorcières, avec l’éviction dans les universités de toute formation analytique, voire la fermeture de structures de prise en charge psychothérapeutiques, car non recommandées par la HAS.

Monde hétéroclite et divisé
Bref, la psychanalyse avait perdu de sa superbe. « Nous avons connu pendant ces années-là un vrai bashing antipsychanalyse », insiste Patrick Landman. Pour autant, l’univers « psy » a envahi la scène publique dans les prises en charge de soutien. « C’est le triomphe de Freud, tout le monde fait de la psychologie, comme M. Jourdain fait de la prose sans le savoir », nous disait l’an dernier Elisabeth Roudinesco. Au 1er janvier 2020, 74 058 psychologues exerçaient ainsi en France, alors qu’en 2010 on en comptait environ 33 000. Devenir psychologue nécessite l’obtention d’un diplôme universitaire de psychologie. Le titre de psychothérapeute, lui, est une expression générique qui regroupe toute une série de pratiques : certains psychothérapeutes sont psychiatres, psychologues, ou analystes. Les analystes, quant à eux, ont reçu puis validé une formation délivrée par une école de psychanalyse. Aujourd’hui, la plupart ont suivi au préalable une formation de psychologue. On estime aujourd’hui le nombre des psychanalystes en France à 5 500. Bref, cela fait du monde… mais un monde hétéroclite, divisé, avec des pratiques variées et des théories différentes.

Serait-on désormais sorti de ce mauvais climat, comme semblerait l’indiquer le succès d’En thérapie ? « Peut-être, lâche Patrick Landman. Mais cela tient à l’époque, aux moments que l’on vit, avec les attentats, le Covid. Il y a un désir de parole, d’échanges. En plus, il y a un déficit d’image de la science et une méfiance vis-à-vis des médicaments. Tout cela joue. Les gens ont envie de parler. » Cet emballement reste néanmoins ambigu pour certains. « Avec cette série, les gens sont fascinés car on leur donne la possibilité de rentrer dans l’intimité de la séance psy. Il y a une curiosité, comme une curiosité sexuelle », tempère ainsi Pascale Aubart, psychiatre et analyste, qui pointe une autre limite : « Dans En thérapie, à chaque séance il se passe quelque chose d’important. On est dans l’immédiateté. Comme le veut notre époque. Or le temps de l’analyse est plus long, plus lent. Le psychisme, c’est compliqué. On veut comprendre, mais tout n’est pas compréhensible. » Certes… mais dans ce monde lourd et confiné, l’intérêt télévisuel autour d’une parole intime apparaît plutôt comme une bonne nouvelle.