Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Face au Covid, protégeons les salariés

Avril 2021, par Info santé sécu social

TRIBUNE

Il y a un an, l’inspecteur du travail Antony Smith était sanctionné pour avoir demandé des masques pour des salariés. Il réclame aujourd’hui d’instaurer un « arrêt Covid », la suspension immédiate des entreprises qui ne protègent pas leurs salariés.

par Antony Smith, Responsable syndical au Ministère du travail

Il y a un an, au cœur de la première vague de la Covid, j’étais suspendu de mes fonctions d’Inspecteur du travail, puis sanctionné d’une mutation d’office pour avoir demandé des mesures de protection de la santé – dont la mise à disposition de masques – des salariés d’une association d’aide à domicile. La campagne de soutien massive qui a suivi a permis d’alléger la sanction découlant d’une procédure, selon les termes prêtés à la ministre Elisabeth Borne, « ni faite, ni à faire ».

Cette « affaire » a également montré que le choix de réprimer – au ministère du Travail comme ailleurs – des militants syndicaux, des lanceurs d’alerte ou simplement des salariés ou des agents publics tentant de remplir leur mission pendant la crise sanitaire ne pouvait masquer l’insuffisance de mesures de protection de la santé de millions de salariés de ce pays face au risque d’exposition au Sars-CoV-2, agent biologique pathogène. Ce défaut de protection – symbolisé hier par le refus de prescrire le port du masque en entreprise – est illustré aujourd’hui par l’absence de mise en œuvre d’une politique de vaccination prioritaire pour les centaines de milliers de salariés de la « seconde ligne » que sont notamment les chauffeurs de VTC, les salariés de la grande distribution, les manutentionnaires, les livreurs, les employés de ménage et tant d’autres.

La pandémie agit également comme un puissant révélateur des carences du patronat pour protéger celles et ceux qui, chaque jour, s’exposent au Sars-CoV-2 au travail alors qu’une récente étude de l’Institut Pasteur confirme que plus d’un quart des contaminations hors foyer ont lieu dans le milieu professionnel.

Loin des contraintes réglementaires, l’heure est à la « soft law », ce droit souple que l’on retrouve dans les « fiches conseils métiers », les « guides de bonnes pratiques » et autres « protocoles sanitaires » du ministère du Travail et dont le Conseil d’Etat a rappelé le caractère de recommandations, sans valeur coercitive. A l’inverse, le maître mot, tant aujourd’hui que pour les prochaines années, devrait être celui de la protection de la santé et de la sécurité des salariés au travail par la Loi.

Conditions dégradées
Et il y a nécessité, pour protéger, de prendre des mesures fortes en commençant par la création d’un dispositif d’arrêt immédiat de l’activité d’une entreprise qui ne prendrait pas ou trop peu de mesures de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés face à l’exposition au Sars-CoV-2 ou tout autre agent biologique pathogène. Cette extension du champ de l’arrêt d’activité – qui existe déjà par exemple en cas de risques de chute de hauteur dans le secteur du BTP ou en cas d’équipement de travail non conforme en entreprise – entraînerait le retrait, sans perte de salaire, des salariés de leur poste de travail dans l’attente de la mise en œuvre de mesures correctives efficaces par l’employeur (mesures organisationnelles comme le télétravail, la mise en place de tour de passage pour la prise des repas ou des prises de poste en décalé, mesures de protection collective et mise à disposition d’équipements de protection individuelle) afin de supprimer ou de réduire l’exposition au risque.

Cet « arrêt Covid » serait une décision qui relèverait de la compétence exclusive des inspectrices et inspecteurs du travail. Cela supposerait de conforter leur indépendance, d’ores et déjà garantie par la Convention internationale n°81 de 1947 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), mais durement mise à mal pendant la première vague de la Covid, situation qui a conduit l’intersyndicale du ministère du Travail à déposer plainte devant l’OIT. Cela supposerait également de renforcer les moyens de l’Inspection qui a vu ses effectifs de contrôle fondre de près de 20% en moins de deux quinquennats et dont les missions de défense des droits des salariés s’exercent aujourd’hui dans des conditions extrêmement dégradées.