Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Hôpital de la Timone : en réanimation, « c’est déjà plus tendu que d’habitude »

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Stéphanie Harounyan, Correspondante à Marseille — 10 septembre 2020

« Libé » s’est rendu dans le service de réa de l’établissement marseillais, qui connaît à nouveau un afflux de patients Covid. Cette fois, les équipes savent à quoi s’attendre.

Le patient vient d’arriver. Un homme, la cinquantaine, en surpoids, transféré de l’IHU Méditerranée voisin où il était hospitalisé depuis quelques jours après avoir été testé positif au Covid-19. Son état s’est dégradé, le service de réanimation de la Timone doit prendre le relais. Dans l’unité Covid de l’hôpital marseillais, les box se sont progressivement remplis la semaine dernière, conséquence inévitable du rebond de l’épidémie enregistré à Marseille depuis la mi-août. Lors de la première vague, qui avait d’abord frappé l’Est, la ville avait eu quelques jours pour se préparer et apprendre de l’expérience des autres. Pour cette deuxième salve, le Sud ouvre la ligne de front, avec un taux d’incidence à 187 pour 100 000 habitants sur le département des Bouches-du-Rhône, Marseille pointant même à 280.

Double tâche
Depuis huit jours, les admissions en réanimation sur les différents sites de l’AP-HM ont été multipliées par deux. Mercredi, à Marseille, ils étaient 23, un chiffre « qui bouge d’heure en heure », précisait la direction de l’établissement. Mi-août, avant que la machine ne s’emballe, ils n’étaient plus que 21 patients Covid dans les hôpitaux de la ville, seulement 3 en réa. Elisa Lietot vient de reprendre son poste dans l’unité Covid de la Timone après quinze jours de congé. « Rentrer de vacances et voir tous les box remplis… ça recommence, s’inquiète l’aide-soignante, qui officie en réa depuis neuf ans. Il faut se remettre dans le bain. On sait que ça va être très difficile physiquement et moralement, mais on a moins d’appréhension, parce qu’on sait ce qui va se passer. »

Ce qui va se passer, c’est un afflux croissant de malades dans un état grave. Ce matin déjà, il a fallu arbitrer entre un patient dont le transfert était prévu mais a dû être différé pour prioriser le nouvel entrant, plus mal en point. « C’est déjà plus tendu que d’habitude, confirme Kevin Cot, le médecin en charge de l’unité cette semaine. On s’y attendait, on n’avait pas envie d’y croire mais là, on y est. » Pour l’instant, l’unité de réanimation, qui compte 20 lits, a été scindée en deux : une moitié pour les patients Covid, l’autre réservée aux occupants récurrents des réanimations, comme les deux polytraumatisés de la route accueillis la veille au soir. Dans cette partie de l’unité, l’équipe a préventivement armé deux box en mode Covid. « Mais on préférerait éviter de s’en servir », confie le Dr Cot.

La direction de l’AP-HM l’a répété mercredi : si 70 lits en réa ont été sanctuarisés pour le Covid, elle veut à tout prix maintenir la prise en charge des autres malades. Une complexité supplémentaire pour les soignants de réanimation, qui doivent agir sur deux fronts. « Les polytraumatisés de la route d’hier, par exemple, on ne les avait pas pendant le confinement, dit Kevin Cot. Même si on n’a pas atteint le niveau de patients Covid du printemps - deux ou trois admissions par jour, là où on a pu monter à dix -, ça met l’unité sous tension. »

La double tâche modifie aussi le protocole. Désormais, du côté Covid de l’unité, on enfile une tenue stérile devant chaque box. A chaque sortie de chambre, il faut tout enlever et remettre une nouvelle tenue pour le patient suivant. Un système contraignant, mais moins que lors de la première vague, où les soignants s’habillaient dans un sas en arrivant dans le service et devaient garder la même tenue jusqu’au déjeuner, pour gérer la pénurie de matériel. « On ne sortait même pas pour une pause pipi », se souvient Elisa Lietot.

Débloquer des moyens
Si les stocks, notamment de masques, sont reconstitués, la question des équipements demeure. « Surtout pour les gants, la production ne suit pas », note Elsa Simonini, « major de soins » de l’unité. Le rôle de cette « super infirmière », « trouver des solutions à tous les problèmes » : faire passer les équipements dans les box, passer les commandes, enregistrer les patients, assurer un soin en urgence et surtout, former les nouveaux. « Il y a eu des départs après la première vague, certains prévus, d’autres pour qui la crise a été un déclic, raconte-t-elle. Ça a été très dur pour les équipes, pour la charge de travail, la fatigue, la détresse des gens, les décès… »

Caroline, diplômée en juillet, court déjà d’un box à l’autre. « Quand vous voyez les gens agglutinés dans les bars, ou ceux avec le masque sur le menton… Ici, ils déchanteraient ! » On s’agite dans un box. Il faut intuber en urgence une dame de 77 ans dont la situation, déjà difficile, se dégrade. L’équipe laisse entrer les familles des patients en situation critique, les autres sont tenus informés par téléphone. La compagne du nouvel arrivant vient d’appeler. Elle s’inquiète, ressent des symptômes. Elle aussi est en surpoids. Les actuels patients de réa ressemblent à ceux du printemps, plutôt âgés, plutôt porteurs de facteurs aggravants (diabète, surpoids). « Mais pas seulement, nuance le Pr Lionel Velly, coordinateur du service réanimation à la Timone. En réa, on a 30 à 40 % de patients de moins de 60 ans. Après le confinement, on a parlé de virus peut-être moins virulent. Mais c’est la même maladie. »

Si Marseille est déjà soumis au port du masque obligatoire, de nouvelles mesures pourraient être prises ce vendredi lors du Conseil de défense (lire ci-contre). Mais le président de région, Renaud Muselier, a d’ores et déjà averti le gouvernement : un reconfinement serait « une mesure injuste ». A la Timone, on se garde de donner son avis, insistant sur la nécessité de débloquer des moyens. Des lits supplémentaires et des renforts humains sont attendus dans les prochains jours. « On est serein sur les stocks et on a progressé sur la prise en charge des patients. Il y a aussi les nouveaux protocoles que l’on teste. Ce n’est pas le tsunami du printemps mais c’est une vague importante dont on ne connaît pas l’ampleur et surtout, on ne voit pas ce qui peut l’arrêter, pointe le Pr Velly. C’est pour cela qu’on a envoyé un message d’alerte. Il faut que nos tutelles sachent qu’on est au maximum de nos capacités. »

Stéphanie Harounyan Correspondante à Marseille