Le droit à la contraception et à l’IVG

Libération - IVG dans la Constitution : à droite et à l’extrême droite, ça grince des rangs

Novembre 2022, par Info santé sécu social

Assemblée nationale

Alors que certains de leurs députés se sont violemment opposés à l’IVG, LR et le RN veulent éviter de passer pour des rétrogrades lors de l’examen de la proposition de loi insoumise pour constitutionnaliser le droit à l’avortement ce jeudi.

par Victor Boiteau et Nicolas Massol
publié le 23 novembre 2022

« Le truc est sorti du tube. Il va falloir se positionner pour ou contre l’IVG, car les subtilités juridiques, dans ce genre de texte, tout le monde s’en fout. Donc ça va être un bordel monstrueux. Une sorte de saison 2 de la manif pour tous, avec moins d’audience ! » Ce diagnostic alarmé, posé par un collaborateur LR, résume l’état d’esprit des députés de droite et d’extrême droite mercredi, à la veille de l’examen de la proposition LFI visant à constitutionnaliser le droit à l’avortement. Et à l’approche d’un texte similaire qui sera, lui, défendu par la majorité macroniste le 28 novembre.

L’embarras est palpable chez LR comme au RN, deux groupes, qui n’imposeront pas de consigne de vote à leurs membres. « On considère que ce débat, on aurait pu se l’épargner », estimait le patron des députés LR, Olivier Marleix, début novembre. Même soupir chez son homologue du Rassemblement national, Marine Le Pen : « A l’heure où les Français sont touchés par de multiples crises […], il apparaît tout à fait décalé d’ouvrir un débat qui, s’il existe aux Etats-Unis, n’existe pas en France, aucune force politique n’envisageant de remettre en cause l’accès à l’IVG », s’est-elle émue mardi dans un communiqué. Une députée LR résume l’équation : « C’est une rivalité entre la majorité et la Nupes. Nous, on ne veut pas être cornérisés. »

« On pointera du doigt ceux qui ne votent pas le texte »
A première vue, le RN semble avoir le plus de plumes à perdre dans l’affaire. « Chez eux, il y a de profonds anti-IVG », salive un parlementaire de droite, soulignant le silence des lepénistes lors de l’examen du texte en commission. Historiquement, la formation d’extrême droite a toujours été à la pointe du combat contre la loi Veil, considérée comme le pendant de l’immigration pour faire disparaître – on ne disait pas encore « grand-remplacer » – le peuple français. Plusieurs députés, dont deux très proches de la patronne, Laure Lavalette et Caroline Parmentier, ont tenu des propos anti-avortement dans le passé. Mais depuis le milieu des années 2010, Marine Le Pen a délesté de son programme les aspects les plus réactionnaires sur le plan moral. L’extrême droite frontiste craint de se faire caricaturer en ringarde anti-IVG, comme l’en menace la majorité : « On pointera du doigt ceux qui ne votent pas le texte », prévient la députée Renaissance Sarah Tanzilli.

Flairant elle aussi le bourbier, la droite a répliqué. LR dit craindre que le contenu de la proposition insoumise ne remette en cause l’idée de délai pour pratiquer une IVG. Le groupe a donc déposé deux amendements identiques, sur les textes de la gauche et de la majorité, visant à constitutionnaliser les « principes fondamentaux » de la loi Veil, « tant sur le droit de la femme à demander l’IVG que [pour] reconnaître le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». A la seule loi de 1975 dépénalisant l’avortement s’ajouteraient dans la Constitution les apports législatifs acquis depuis, comme le délit d’entrave (1993), la gratuité de l’IVG pour toutes les femmes (2013), la suppression du délai minimal de réflexion d’une semaine pour avorter (2016) ou l’allongement du délai légal de douze à quatorze semaines, adopté au Palais-Bourbon en février. Prise de position habile qui permet de ne pas s’opposer aux deux textes – et donc s’afficher comme pro-IVG – tout en essayant de limiter leur portée.

LR dénonce le « plagiat » du RN
Au RN, on a trouvé la parade tellement bonne… qu’on s’est empressé de la recopier. Lundi soir, Marine Le Pen fait fuiter dans la presse un amendement quasi similaire, qui vise à inscrire dans le préambule de la Constitution une référence « aux dispositions du titre premier du livre II de la deuxième partie du code de la santé publique » – soit l’état actuel de la loi Veil. Ce quasi-fac-similé a eu le don d’énerver prodigieusement Olivier Marleix, qui a hurlé au « plagiat » et même au « très mauvais plagiat ». « Même un étudiant en première année de droit n’écrirait pas une ânerie pareille », a-t-il fulminé. De fait, l’amendement rédigé par le RN est plus que bancal juridiquement puisque même inscrit dans la loi fondamentale, le code de la santé publique peut être modifié par une simple loi ordinaire. « C’est un argument de bateleur d’estrade », s’amuse le constitutionnaliste Didier Maus. « On s’en fout, on pose le débat », évacue un cadre RN.

De fait, l’essentiel n’est pas là, pour les amis de Marine Le Pen, surtout soucieux de ne pas passer pour des rétrogrades… tout en cherchant à sanctuariser le délai de quatorze semaines et, surtout, la clause de conscience du personnel médical, principal frein au recours à l’IVG dans plusieurs pays européens. Pour le reste, le RN a déposé près de trente-cinq amendements, la plupart sans rapport avec le sujet, pour jouer l’obstruction sur le texte de LFI. « C’est pour les pourrir de leur comportement odieux envers nous », grince un cadre.