Le droit à la contraception et à l’IVG

Libération - IVG : le gouvernement joue la montre contre l’allongement du délai

Septembre 2021, par Info santé sécu social

Droits des femmes

Tous bords confondus, une majorité de députés est favorable au passage de douze à quatorze semaines du délai légal de recours à l’interruption volontaire de grossesse. Cette proposition de loi reste pourtant au point mort.

par Jean-Baptiste Daoulas
publié le 28 septembre 2021 à 1h22

« S’il fallait légiférer sur la prostate, on aurait plus vite eu notre créneau, grince une députée LREM. C’est une question de femmes, demandée par les femmes, et il n’y a que des mecs qui dirigent. » Depuis plus d’un an, une proposition de loi visant à allonger de douze à quatorze semaines le délai légal pour recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) se perd dans un labyrinthe parlementaire. Initiée par l’élue ex-LREM Albane Gaillot, soutenue par les socialistes, les communistes et La France insoumise, elle a d’abord été votée contre l’avis du gouvernement avec l’appui d’une majorité du groupe LREM en première lecture à l’Assemblée le 8 octobre 2020. Rejetée sans surprise en janvier par le Sénat, à majorité de droite et du centre, elle a été réinscrite à l’ordre du jour du Palais-Bourbon par les socialistes le mois suivant pour une deuxième lecture. Les partisans du texte pouvaient se prévaloir de l’avis du Comité consultatif national d’éthique, saisi dans l’intervalle par le ministre de la Santé, Olivier Véran. Ses membres considèrent « qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines ». Mais c’était sans compter sur une poignée de députés LR. Ces derniers ont déposé des centaines d’amendements pour faire obstruction à l’examen du texte dans la maigre journée impartie au groupe PS en février.

« Les tons paternalistes, les femmes n’en ont pas besoin »
Et depuis ? Rien, ou presque. Même si une majorité de députés, tous bords confondus, est favorable au texte, la procédure parlementaire est inflexible et ne laisse que deux options pour que la réforme aille jusqu’au bout : soit le groupe LREM, majoritaire à l’Assemblée, prend la responsabilité de le réinscrire à l’ordre du jour, soit le gouvernement fait de même pendant l’une des semaines où il a la maîtrise de l’agenda. C’est justement là que ça coince. « Le Premier ministre s’en fout, le président de la République n’a jamais été fan de ces questions et [Christophe] Castaner [président du groupe LREM à l’Assemblée, ndlr] n’a jamais poussé », regrette une élue macroniste.

Toutes les conditions sont réunies pour que le dossier s’enlise. Au début de l’été, Emmanuel Macron a martelé dans un entretien au magazine Elle son opposition à l’allongement du délai légal. « Chaque année, 4 000 à 5 000 femmes vont à l’étranger pour pouvoir le faire, mais c’est avant tout le signe d’un échec de notre prise en charge, a argumenté le chef de l’Etat. L’IVG est une conquête immense pour les femmes, et pour les hommes, pour la dignité et l’humanité de tous. Mais je mesure le traumatisme que c’est pour la femme d’avorter. » Ses trois intervieweuses ont bondi en ramenant Macron à sa condition d’homme : « Vous le mesurez jusqu’à une certaine limite ! » La rhétorique présidentielle sur le « traumatisme » fâche aussi Albane Gaillot : « Les tons paternalistes de ce type, les femmes n’en ont pas besoin », regrette-t-elle. En juillet, Macron a été contredit publiquement par Castaner sur France Info. « Il faut que ce texte chemine, et s’il revient à l’Assemblée nationale, nous voterons conformément à ce que nous avions voté », a promis le patron des députés LREM, assumant au passage « d’avoir des approches qui ne sont pas totalement identiques avec le président de la République ».

« Nettoyer la piste d’atterrissage de Macron »
Sauf que le temps presse avant la fin du quinquennat et que le groupe LREM n’a toujours pas bougé une oreille. Il lui faut choisir ses priorités entre plusieurs propositions de loi. Mettra-t-il l’IVG au menu de sa fenêtre de tir de décembre ? La décision doit être prise dans les prochaines semaines, mais plusieurs sources dans le groupe s’attendent à ce que des sujets plus consensuels soient privilégiés à quelques semaines du début de la campagne présidentielle. « L’idée, c’est de nettoyer la piste d’atterrissage de Macron pour qu’elle ne soit pas encombrée », commente un député LREM. Bref, pas le moment de fâcher la France conservatrice. Sans oublier que l’allongement du délai de l’IVG au-delà de 12 semaines est clivant sur les bancs macronistes. « Je me suis renseigné auprès de mes collègues obstétriciens. Ce n’est plus le même geste, fait valoir le député LREM et professeur de médecine, Jean-François Eliaou. Et cela ne changera rien en termes d’accès à l’IVG, alors que c’est ça le véritable problème. »

« On maintient la pression et on continue à faire du lobbying », persiste Albane Gaillot en attendant d’y voir plus clair. Le 21 septembre, elle a trouvé le moyen de mettre l’IVG à l’agenda de l’Assemblée, au moins symboliquement. Elle organise une projection de l’Evénement, Lion d’or à Venise, en présence de la réalisatrice Audrey Diwan. Le film, adapté du récit autobiographique d’Annie Ernaux, narre le calvaire d’une jeune femme pour avorter clandestinement dans les années 1960. Gaillot a poussé le zèle, ou le mauvais esprit, jusqu’à lancer des invitations à plusieurs membres du gouvernement et à Brigitte et Emmanuel Macron. La première dame, comme la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, a poliment décliné.