Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Il est possible que le virus continue à muter et pose problème avec le vaccin »

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Mutations, variants et origine du virus… « Libération » fait le point sur les sujets chauds concernant le Sars-CoV-2 avec Etienne Simon-Lorière, virologue à l’Institut Pasteur.

Etienne Simon-Lorière est virologue à l’institut Pasteur, spécialisé dans l’étude des génomes des virus à ARN, comme les coronavirus. Depuis le début de la crise, il scrute l’évolution du génome du Sars-CoV-2. Il est donc bien placé pour parler de l’émergence des nouveaux variants, de leurs caractéristiques mais aussi des hypothèses quant à l’origine de cette pandémie.

Les variants du virus Sars-CoV-2 sont au cœur de l’actualité. Pourtant, ce virus mute et produit des variants différents depuis le début de l’épidémie. Pourquoi ces derniers nés inquiètent-ils davantage ?
Ces variations sont notables car elles sont associées à une transmissibilité accrue. Le lien est quasi certain, mais pas encore formellement démontré, pour le variant B.1.1.7 identifié en Grande-Bretagne. C’est assez plausible pour le variant identifié en Afrique du Sud mais on n’a pas encore toutes les données pour l’étayer. L’autre point d’attention porte sur un nombre de mutations plus élevé que la moyenne habituelle. Le variant B.1.1.7 porte 14 mutations notables par rapport à son ancêtre connu le plus proche. D’habitude, on est plutôt sur une ou deux mutations.

Certains de ces changements sont dans la position de la fameuse protéine spike qui est à la fois la cible des vaccins, du système immunitaire et ce qui sert au virus pour pénétrer dans les cellules humaines. Ces mutations pourraient expliquer la hausse de la transmissibilité parce qu’elles optimisent la façon dont le virus s’attache aux cellules. D’autres mutations touchent des éléments du virus qui sont reconnus par le système immunitaire et pourraient donc atténuer l’efficacité des vaccins et augmenter le risque de réinfection. Les premières données préliminaires laissent entendre que ces variants ne posent pas de problème pour les vaccins, mais il faut les tester formellement pour en être sûr.

L’émergence d’un variant résistant au vaccin est-elle inéluctable ?
Cela devient de plus en plus clair. C’est le consensus qui est en train de se former. Et ce ne sera pas une mutation. Mais ça sera une série de mutations, par accumulation. Nous sommes dans une phase où le virus circule extrêmement activement et donc il est largement possible qu’il continue à accumuler des mutations et qu’il nous posera problème avec le vaccin dans un délai plus ou moins long. Ce sera peut-être dans six mois, ou dans trois ans.

Plus le virus circule de manière intensive, plus il a d’occasions d’explorer par hasard plein de combinaisons différentes. Il y a donc plus de chances qu’une combinaison problématique émerge. Ce ne sera pas immédiat, loin de là, mais la direction n’est pas bonne.

Pourtant, ce n’est pas un virus qui mute beaucoup, si on le compare à celui de la grippe.
Son taux de substitution est environ trois fois inférieur à celui de la grippe. Mais cet indicateur n’est pas suffisant, il faut aussi regarder où les mutations s’accumulent et comment le système immunitaire interagit avec le virus. Pour la grippe, le système immunitaire crée souvent des anticorps capables de reconnaître un élément très précis à la surface du virus. Le virus n’a donc besoin que de quelques mutations dans cette région pour commencer à échapper au système immunitaire.

Pour le Sars-CoV-2, les cibles du système immunitaire semblent dispersées sur plusieurs régions ce qui suggère qu’il faudra plus de mutations au virus pour échapper aux anticorps. Ce n’est donc pas un problème immédiat, cela prendra un peu de temps, mais il y a de grandes chances que cela arrive si la trajectoire actuelle reste la même.

Comment ces variants surviennent-ils ? On sait que le Danemark a tué tous ses visons de peur qu’ils ne servent de lieux de mutation au virus. Est-ce qu’il existe d’autres manières ?
C’est toujours le même principe. Il faut que le virus soit laissé libre de se répliquer avec un très grand nombre d’hôtes différents ou sur une période étendue. Pour le variant identifié en Angleterre, une hypothèse, qui reste à étayer, serait que le virus aurait évolué pendant plusieurs semaines chez une personne immunodéprimée. Dans cette situation, le virus peut accumuler un nombre important de mutations. Il y a même un rapport sur un patient dont le cas a été étudié en Angleterre et dont le virus possédait une partie des mutations du variant B.1.1.7.

Vous faites le suivi des différents variants du Sars-CoV-2 depuis le début de l’épidémie. Le variant anglais va-t-il s’imposer par rapport aux autres ?
Il y a plusieurs centaines de variants du Sars-CoV-2. B.1.1.7 monte en fréquence très rapidement en Angleterre. Dans les autres pays, ce variant ne s’impose pas aussi rapidement. Au Danemark, ils ont observé qu’en quelques semaines le variant est passé de 0,23% à 2% à 3% des cas. C’est donc beaucoup moins massif qu’en Angleterre. Les gestes barrières et la dynamique épidémique locale jouent aussi.

On sait que l’Angleterre fait un suivi très fin des séquences. La France n’est pas à ce niveau. Séquence-t-on suffisamment ?
Il n’est pas nécessaire d’être au niveau du Royaume-Uni. Le Danemark séquence beaucoup moins mais suffisamment pour avoir un suivi de la situation sur son territoire. En France, plusieurs initiatives sont en cours pour renforcer la surveillance génomique. J’ajoute que séquencer ne suffit pas, il faut aussi rendre publiques les séquences, par exemple sur la plateforme Gisaid (1).

La commission d’enquête de l’OMS est partie en Chine pour enquêter sur les origines du virus. Pourquoi est-ce important ?

Pour éviter d’avoir une réémergence du virus ou d’un autre virus du même genre. Pour le Sras, une fois que les civettes avaient été identifiées, les gens en contact avec ces animaux ont eu interdiction de les manipuler sans protection. Là, il y a peut-être une espèce animale dans le monde qu’il faudrait arrêter de manipuler sans protection, mais on ne sait pas encore laquelle.

Il y a plusieurs pistes à explorer, mais la théorie du pangolin vendu sur le marché de Wuhan est-elle toujours plausible ?

Elle est toujours possible mais elle n’est pas en haut de la liste. L’analyse détaillée des séquences et du contexte laisse penser que les pangolins étudiés n’étaient pas infectés de manière chronique mais de manière aiguë. Ils ne sont probablement pas le réservoir, mais pourraient être un hôte intermédiaire, tout comme un autre animal dont le récepteur ACE2 est proche de celui de l’homme pourrait l’être. L’hypothèse initiale d’une recombinaison entre le virus du pangolin et un autre virus (de chauve-souris ou autre) pour donner le Sars-CoV-2 semble moins crédible, mais nous avons une vision très parcellaire de la diversité des virus ressemblant au Sars-CoV-2 dans leur environnement naturel. Le scénario de gens qui capturent des animaux (chauve-souris ou autre) dans une grotte pour les vendre sur ce marché est encore sur la liste, avec ou sans pangolin dans l’histoire.

Le laboratoire de Wuhan est aussi dans le viseur. Il travaillait sur des souches de coronavirus ayant infecté des mineurs chinois en 2012. L’hypothèse d’un virus qui s’échappe du laboratoire est aussi ouverte.

Oui, cette hypothèse peut être listée car ce n’est jamais impossible, mais ce n’est pas le plus plausible. Dans la base de données du laboratoire, la séquence la plus proche du Sars-CoV-2, appelée RaTG13, est suffisamment divergente, y compris dans la protéine spike, pour que ce ne soit pas l’origine du virus. Après, on peut imaginer qu’ils aient capturé un autre virus et qu’ils n’en aient jamais parlé, ce qui serait très étonnant. Mais on rentre là dans des choses hautement spéculatives indémontrables. Ce n’est plus de la science mais de l’enquête policière.

Autre hypothèse : les élevages de chiens viverrins ou de visons. On sait que ces animaux sont sensibles au Covid-19. On sait que la Chine dispose de grandes fermes intensives propices au développement de maladies…
Là encore, c’est un scénario possible. On pense qu’il est probable qu’il existe un intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme car les virus de chauve-souris n’ont pas été montrés comme capables d’infecter directement l’homme, mais ce n’est pas impossible. Le hasard peut jouer aussi.

L’hypothèse de l’élevage de vison est logique mais cela reste de la spéculation faute de preuve. Il faudrait des prélèvements, pour apporter des preuves. Mais cette discussion permet au moins de sensibiliser au fait que ces élevages sont des zones à risques et à surveiller.

Saura-t-on un jour d’où provient ce virus ?

Beaucoup d’efforts sont déployés en ce sens, mais l’image d’une aiguille dans une botte de foin vient à l’esprit. Nous n’avons jamais trouvé le réservoir pour l’épidémie du virus Ebola qui a touché l’Afrique de l’Ouest il y a quelques années…

(1) Une ONG dont l’objectif est de partager les données scientifiques sur les grippes et les coronavirus.