Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Interview - Vaccins contre le Covid-19 : « Les laboratoires doivent partager leurs savoirs et leurs brevets »

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par François-Xavier Gomez — 29 décembre 2020

Responsable d’Oxfam, Julia Heres Garcia explique pourquoi son organisation, parmi d’autres ONG, demande que les pays riches comme l’industrie pharmaceutique facilitent l’accès universel aux vaccins et renoncent à faire du profit sur la pandémie.

Vaccins : « Les laboratoires doivent partager leurs savoirs et leurs brevets »
Début décembre, plusieurs organismes se sont réunis au sein de la People’s Vaccine Alliance pour rendre les vaccins anti Covid-19 accessibles à toutes et à tous, indépendamment de la richesse du pays où elles et ils résident. Parmi ces organisations figurent Amnesty International, Frontline Aids, Global Justice Now et Oxfam. Chargée de défendre cette campagne (ce « plaidoyer » en langage des ONG) pour Oxfam France, Julia Heres Garcia explique la démarche à Libération.

Existe-t-il une brèche entre pays riches et Etats « à revenus faibles ou intermédiaires » dans l’accès aux vaccins ?

Oui, la course aux vaccins lancée en mars-avril a débouché sur un système à deux vitesses, où les pays riches, Etats-Unis et Union européenne en tête, ont réservé la grande majorité des doses par des contrats bilatéraux avec les entreprises pharmaceutiques engagées dans la recherche. Ce qui a mis en péril l’accès des pays les plus pauvres aux vaccins. Pourtant, dès le mois d’avril, Emmanuel Macron parlait des vaccins comme d’un « bien public mondial », qu’il fallait rendre « disponible, accessible et abordable pour tous ». Mais par la suite, peu de décisions ont été prises dans ce sens.

Pourquoi ce manque de solidarité ?
Les Etats-Unis ont été les premiers à faire cavalier seul. Le reste des pays riches (ceux de l’UE, Grande-Bretagne, Canada) leur ont emboîté le pas. Le comportement des laboratoires a aussi joué un rôle. Le directeur général de Sanofi, entreprise française, a ainsi affirmé en mai qu’une fois le vaccin mis au point, il serait proposé au plus offrant. A savoir les Etats-Unis, qui ont mis sur la table 2 milliards de dollars pour développer la recherche. Sanofi a ensuite revu sa position devant le tollé suscité. Or la crise sanitaire est mondiale, et la seule réponse possible est globale et collective.

Cette préemption des doses par les pays les plus développés signifie-t-elle que le reste du monde en sera privé ?
Très clairement. En l’état actuel des capacités de production des vaccins, la capture faite par les pays riches implique que peu de pays pauvres ou très endettés auront accès à la vaccination en 2021.

Que préconisez-vous ?
Pour que les capacités de production des différents vaccins soient à la hauteur des besoins mondiaux, il faut que les monopoles des laboratoires sur les savoirs et la propriété intellectuelle de ces brevets soient levés pendant la durée de la pandémie, afin de permettre à d’autres entreprises de produire ces vaccins. C’est le seul moyen de les rendre accessibles à toutes et à tous.

L’initiative Covax, lancée par l’OMS pour mettre des doses à disposition des pays défavorisés, ne suffit-elle pas ?
Covax a réservé 700 millions de doses pour en faire bénéficier 92 pays, représentant plus de la moitié de la population mondiale. Pendant ce temps, l’Union européenne a préempté de quoi vacciner plus de deux fois sa population ; les Etats-Unis, quatre fois. L’objectif de Covax est de vacciner 20% des habitants de ces 92 Etats, soit les groupes les plus vulnérables (personnels soignants, personnes de plus de 65 ans, patients ayant une comorbidité). Mais son financement n’est pas assuré. Il a été estimé à 11 milliards de dollars et il y a de forts risques que la somme ne soit pas réunie, car les pays riches ne respectent pas leurs engagements d’aide au développement.

Soutenez-vous l’initiative citoyenne européenne « Pas de profits sur la pandémie » ?
Oui, il nous paraît essentiel que les citoyens s’emparent du sujet en signant la pétition et demandent à leurs gouvernements d’intervenir. Au niveau mondial, 10 milliards de dollars ont été accordés aux laboratoires pour la recherche de vaccins. En contrepartie, les citoyens et les contribuables ont un droit de regard sur comment ces vaccins sont produits, distribués et qui va en bénéficier. Et d’exiger qu’ils ne contribuent pas à accroître les inégalités et les profits des laboratoires. Or dans ce domaine tout est opaque, à commencer par le prix des doses.

François-Xavier Gomez