Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Je ne pense pas que j’aurai des masques durant toute la journée »

Mai 2020, par Info santé sécu social

4 mai 2020 à 20:26

Bien que mis en vente lundi dans la grande distribution et les pharmacies en théorie, dans la pratique, les masques n’ont pas encore été livrés partout. Et les faibles quantités disponibles favorisent parfois le gonflement des prix.

Il est 7 h 05 ce lundi matin, le Carrefour City de la Porte de Versailles, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), vient tout juste de lever le rideau et le semi-remorque de livraison est encore garé devant le magasin. La majorité des clients interrogent l’unique salariée présente à la caisse. « Est-ce que vous avez des masques ? » Pour la dixième fois, elle hoche la tête avec un sourire censé désamorcer les déceptions. Non, et il n’est pas prévu qu’il en arrive dans la journée. « Réessayez dans la semaine », suggère-t-elle avec la même bienveillance.

A la sortie, Ghislaine, une mère de famille, n’est pas surprise outre mesure de l’absence du produit tant recherché et officiellement mis en vente depuis lundi dans la grande distribution : « A vrai dire, depuis que cette crise dure, je ne suis plus surprise par grand-chose », explique-t-elle en laissant entendre qu’elle reviendra plus tard.

Discriminant.
Dix minutes et 500 mètres plus loin, un autre Carrefour City n’a pas non plus de masques à proposer, pas plus que le Franprix situé quasiment en face. « Les masques, il n’y en a que pour le personnel et je ne peux pas vous dire quand nous en recevrons », ne peut que constater la responsable de caisse, qui effectivement porte le sien. A cette heure matinale, il semblerait bien, toutes enseignes confondues, que les magasins de moyenne surface ne soient pas encore approvisionnés.

Changement de décor à l’hypermarché Carrefour de la porte d’Auteuil (XVIe arrondissement). C’est le seul de cette taille à l’intérieur de Paris. A 8 h 30, une file d’attente s’étire sur plus de 300 mètres. Le magasin ouvre ses portes une heure plus tôt pour un accès réservé aux personnes âgées et aux soignants. Pour les autres, il faut compter en moyenne quarante minutes d’attente. Ce qui agace ce jeune père de famille venu acheter non pas des masques mais tout le nécessaire pour son bébé : « Mon épouse m’attend et elle doit partir travailler dans trente minutes », lâche-t-il.

Non loin, Arlette et Josiane sont bien venues pour des masques, et pas par hasard. Arlette : « Ça va faire les pieds aux pharmaciens. Nous sommes quatre à la maison. J’ai voulu acheter des masques dans une pharmacie, ils étaient vendus 15 euros pièce. Vous vous rendez compte ! » « Je suis à la retraite, ce n’est pas normal de vendre un produit indispensable à ce prix-là », renchérit Josiane.

Ceux qui sont venus à pied ou via les transports en commun doivent se payer la longue file d’attente qui s’étend au-delà du boulevard périphérique. Tandis que les automobilistes, eux, peuvent se garer dans le parking souterrain gratuit et avoir accès au magasin en dix minutes chrono. A l’entrée, Alexandre Boutoille, le directeur, surveille attentivement l’arrivée des premiers clients. Sa dotation en masques est loin d’être inépuisable : 1 500 paquets de 5 masques et un maximum de deux par client, soit 10 unités vendues 58 centimes pièce. « Ne tardez pas, je ne pense pas que j’en aurai durant toute la journée », répond-il à ceux qui l’interrogent.

A la caisse, les masques partent comme des petits pains. Ils sont d’ailleurs conditionnés dans les étuis en papier qui, habituellement, servent à envelopper les baguettes. Muni d’une oreillette, un salarié slalome entre les caisses pour les réapprovisionner. Micheline est venue se fournir ce matin après avoir fait le tour des pharmacies de son quartier en vain. Même si les stocks sont limités, elle a pu repartir avec ses dix masques jetables.

Ce qui n’est pas le cas des clients de l’Intermarché situé au rond-point de l’entrée de Vanves (Hauts-de-Seine). Ici aussi, la responsable du magasin est assaillie de questions sur les masques. L’enseigne a choisi un mode de commercialisation pour le moins surprenant, voire carrément discriminant. Les titulaires de la carte de fidélité ont priorité et peuvent réserver en ligne. A ceci près que ce lundi matin, le site, devant l’ampleur des demandes, est en berne. De toute manière, le magasin n’aura sans doute pas assez de stock pour tous ceux qui ont réservé leur marchandise. Il leur faudra attendre au mieux le lendemain, voire la fin de la semaine. Un client cache mal son énervement derrière son masque artisanal : « C’est déjà pas simple d’en trouver et voilà qu’ils nous en remettent une deuxième couche avec leur histoire de carte de fidélité ! »

« Emballement ».
Dans les pharmacies, la vente bat également son plein. Rue du Général-Leclerc, à Issy-les-Moulineaux, Sylvie est obligée de dresser une liste d’attente sur son ordinateur. Son grossiste ne la livrera que ce mardi. Elle en a néanmoins gros sur le cœur : « Il y en a dans la grande distribution aujourd’hui, très bien. Mais qui a été au front durant les deux derniers mois avec des directives extrêmement précises sur les personnels soignants à qui nous pouvions les délivrer ? Nous, les pharmaciens. Sans compter les policiers en civil qui venaient contrôler que nous ne faisions pas de la vente au grand public. »

Un de ses confrères, Pascal, dont l’officine est située quelques centaines de mètres plus loin, ne fait, lui, aucun mystère sur les prix. Il commercialise les masques au tarif de 95 centimes l’unité, conformément au plafond fixé par le gouvernement. Sa marge ne dépassera pas 15 %. Il ne cache néanmoins pas une légère amertume devant « la folie du marché et l’emballement des prix à la sortie de l’usine ». La même boîte de 50 unités vendue aujourd’hui 47,50 euros dans sa pharmacie était au moins de décembre à… 7 euros. A économie de guerre, prix de guerre.