Politique santé sécu social de l’exécutif

Libération - L’aide médicale d’Etat de nouveau dans le viseur du gouvernement

Novembre 2019, par Info santé sécu social

Par Nathalie Raulin — 3 novembre 2019 à 18:21

Mercredi, le Premier ministre devrait annoncer plusieurs mesures visant à limiter l’accès des étrangers en situation irrégulière à certains soins coûteux, remboursés à 100 % par l’Etat. Une réforme à visée politico-budgétaire sous couvert de « lutte contre les abus et les fraudes ».

La couverture santé des migrants dans le collimateur du gouvernement. Mercredi, à la veille du début de l’examen en séance publique du volet santé du projet de loi de financement de la sécurité sociale, Edouard Philippe devrait dévoiler ses intentions en matière de réforme de l’accès aux soins des étrangers. Des annonces qui devraient être largement inspirées du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF), missionnées cet été sur l’aide médicale d’Etat (AME), remis en milieu de semaine dernière à Matignon.

Le Premier ministre entend marquer sa détermination sur un dossier migratoire, volontairement rouvert par l’exécutif à la rentrée et soigneusement entretenu depuis, entre débat sans vote sur l’immigration organisé à l’Assemblée nationale le 7 octobre et entretien accordé par Emmanuel Macron à Valeurs actuelles mercredi. L’enjeu tient de l’affichage politique, à six mois des municipales, mais il est aussi budgétaire ; les concessions faites aux gilets jaunes obligeant l’exécutif à racler les fonds de tiroir pour contenir l’explosion du déficit. L’enveloppe consacrée à l’aide médicale d’Etat, accessible aux étrangers en situation irrégulière, s’élève en 2019 à 934 millions d’euros, soit 0,5 % des dépenses de l’Assurance maladie.

Matignon veut couper court au « tourisme médical »
L’intention de Matignon ne va pas sans crispations. Soucieux d’harmoniser les positions, Edouard Philippe réunit à dîner, ce lundi soir, les parlementaires et membres du gouvernement en première ligne sur ce dossier. Auditionnée mercredi dernier par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn a pris les devants et fixé sa ligne rouge : pour la ministre de la Santé, il ne saurait être question ni de réduire le panier de soins auquel donne accès l’aide médicale d’Etat, ni de restreindre la prise en charge des soins urgents, ni d’augmenter la participation financière des patients (ticket modérateur ou droit de timbre).

Pour elle, l’enjeu est de santé publique. Le risque serait en effet trop élevé de décourager les sans-papiers de se soigner, alors même que « seulement 12 % des personnes qui y ont droit demandent l’AME la première année, ce qui prouve bien que le dispositif est peu connu des migrants », a-t-elle regretté, prenant le contre-pied total de Matignon. Non sans arguments : le recours insuffisant aux soins des sans-papiers a des conséquences importantes, sur l’encombrement des urgences hospitalières mais aussi sur les finances, les pathologies prises avec retard réclamant des prises en charge plus longues et plus coûteuses…

Du coup, le tandem exécutif a choisi de justifier la réforme au nom de la « lutte contre la fraude et les abus. » « Des éléments laissent penser que certaines personnes arrivées en France avec un visa touristique restent sur le territoire après son expiration, juste le temps qu’il faut pour se faire soigner gratuitement, puis ils repartent dans leur pays d’origine », avance-t-on de source gouvernementale. Pour le Premier ministre, il s’agit de couper court à ce « tourisme médical ». Une piste envisagée est de croiser les fichiers des visas touristiques et les demandes d’AME, de sorte à mieux cibler les contrôles. Surtout, Matignon songe à assortir certains soins couverts par l’AME d’un accord préalable de la Sécurité sociale avant remboursement. Cette disposition ne devrait toutefois concerner que les soins programmés et non urgents, comme la chirurgie de la cataracte ou la pose de prothèse. Finalement ralliée à cette idée, la ministre de la Santé bataille pour obtenir qu’en contrepartie, la prise en charge des migrants dans les points d’accès aux soins (PAS) soit renforcée.

Pas de preuves statistiques
Toujours au nom de la « lutte contre la fraude », le Premier ministre devrait également annoncer un durcissement de l’accès à la couverture santé des demandeurs d’asile. Pour ces derniers qui ne relèvent pas de l’AME mais de la protection maladie universelle (Puma), un délai de carence de trois mois devrait être instauré avant que leur droit à la couverture maladie ne s’ouvre. Aux yeux de Matignon, il ne s’agit là que d’aligner le régime des demandeurs d’asile sur celui des Français expatriés de retour en France…

Les bons comptes de l’aide médicale d’Etat

Le Premier ministre marche toutefois sur des œufs. Contrairement à ses attentes, le rapport IGAS-IGF peine à démontrer l’existence de « filières » venues des pays de l’Est alimentant le « tourisme médical », dénoncé en haut lieu depuis plusieurs semaines. « Nous manquons de données pour prétendre avoir une vision documentée du sujet », admet le député LREM et président de la commission des affaires sociales, Olivier Véran. Au ministère de la Santé, on confirme : « Le rapport de l’IGAS contient peu d’éléments quantitatifs. Il est difficile de dépasser le stade de l’anecdote. » Et donc de s’en servir pour modifier le système existant.

Nathalie Raulin