Le droit à la santé et à la vie

Libération - L’inévitable question du tri des patients en médecine

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Eric Favereau — 10 novembre 2020

Alors qu’émerge le débat sur le tri des malades du Covid pour accéder en réanimation, comment ne pas rappeler que le tri a toujours existé en médecine ?

Cet homme a 75 ans passés. Il respire avec beaucoup de difficultés et son cœur est si malade qu’il faudrait vraiment qu’il en reçoive un nouveau. Pour lui, ce serait comme un miracle, sa qualité de vie s’en trouverait changée du tout au tout, lui permettant de retrouver un quotidien presque normal. Mais voilà, ce ne sera pas possible. Il est trop vieux et le manque criant de greffons fait que ce vieux monsieur devra continuer à vivre avec son vieux cœur.

Formellement, il n’y a pas de barrière d’âge en matière de greffes. Mais par exemple, en 2019, la moyenne d’âge des personnes greffées, tous organes confondus, était de 52,4 ans. Elle était de 49 ans pour la greffe cardiaque, 52 ans pour la greffe hépatique et 54 ans pour la greffe rénale. Dans la pratique clinique, ce sont les équipes médicochirurgicales de greffe qui posent l’indication d’inscrire les malades qui leur sont confiés en liste nationale d’attente. Et on le voit nettement, le critère de l’âge reste important. En tout cas, la sélection est là, bien réelle.

Listes d’attente
Le tri ? Mais quel tri ? On a parfois le sentiment qu’avec l’emballement épidemique autour du Covid-19, on découvre cette notion en médecine… Comme si c’était inédit. Comme si c’était la première fois que le monde hospitalier se devait de choisir quel patient traiter plutôt que tel autre. « La question de la pénurie de moyens en médecine, et donc celle du tri, a toujours existé, explique à Libération la Dr Véronique Fournier, qui a longtemps présidé le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Ce qui est nouveau, c’est qu’il y a un débat. Hier, c’était largement tabou, cela restait des discussions internes. Avec l’épidémie du Covid et l’interrogation publique sur les places disponibles en réanimation, on en parle. »

Cette médecin a mille fois raison : choisir, privilégier est une marque de fabrique de la pratique médicale. Le médecin doit sélectionner. Exemple habituel : lorsqu’il n’a pas assez de lits disponibles, il se doit de choisir d’hospitaliser tel patient plutôt que tel autre. « Cela fait partie de notre métier, concède sans hésiter ce chirurgien orthopédique. Et cela touche un nombre important de situations cliniques qui peut varier avec le temps. »

Souvenons-nous, au printemps 1996, faute de médicaments suffisants contre le VIH avec l’arrivée des trithérapies, il a été à un moment prévu de faire un tirage au sort pour rendre leur prescription « la plus juste possible », d’autres voulant au contraire mettre en avant le critère de l’âge, d’autres encore l’état clinique du patient.

En réanimation néonatale, il y existe aussi une vraie limite, en tout cas en France. Et c’est le critère du nombre de semaines d’aménorrhée qui a été retenu pour prendre en charge ou non les grands prématurés. Né après 24 semaines, on réanime. Avant, non. Certes entre 22 et 24 semaines, les chances de survie sans trop de séquelles pour l’enfant sont faibles, mais elles existent. Mais en France on ne réanime pas. Aux USA, en Grande-Bretagne, oui.

D’autres exemples, encore, en matière de tri : dans le domaine de l’aide à la procréation, l’âge intervient. Certes, c’est parce que ces techniques donnent de moins bon résultats passé un certain âge, mais c’est aussi parce qu’il y a un manque récurrent de spermes ou d’ovocytes. Après 43 ans pour les femmes et 59 ans en moyenne pour les hommes, la PMA n’est plus vraiment accessible, du moins en France.

Qui décide ?
Bref, les situations de tri ne manquent pas. Et si l’on revient sur la question des greffes d’organes, rappelons que les choix qui sont faits ne sont pas sans conséquence : selon l’association France Transplant, sur les seules greffes rénales, 500 patients, pourtant inscrits sur les listes d’attente, meurent chaque année faute d’avoir été greffés à temps.

« Il faudrait que la société ait plus explicitement son mot à dire, et ne pas laisser parfois aux seuls médecins le soin de décider », confiait à Libération un ancien président du Comité consultatif national d’éthique, qui prenait encore un exemple : « Regardez, c’est un choix – celui-là collectif –, dans un univers financier contraint, de privilégier de financer telle chimiothérapie adjuvante – l’Avastin – dans un cancer du sein, qui peut offrir au mieux trois semaines de survie en plus au patient, plutôt que de s’offrir le salaire d’une infirmière pendant un an. »

Eric Favereau