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Libération - La dangereuse grenade GLI F4 en voie de disparition

Janvier 2020, par Info santé sécu social

Par Fabien Leboucq Le 1er juin 2018

L’Etat va cesser de commander la GLI F4, qui a dispersé, blessé et amputé des manifestants français pendant des années. Elle sera remplacée par une autre grenade, supposément moins dangereuse.

La dangereuse grenade GLI F4 en voie de disparition
Le nom est barbare, ses effets aussi. Le mardi 22 mai à la mi-journée, le jeune Maxime perd une main sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il a ramassé une grenade envoyée par les gendarmes mobiles avant qu’elle n’explose. C’était une GLI F4, ou grenade lacrymogène instantanée modèle F4. Contrairement à ce que son nom indique, la GLI F4 n’est pas qu’une lacrymo. Envoyée avec un propulseur ou à la main, elle possède un « triple effet lacrymogène, sonore et de souffle », explique le communiqué du ministère de l’Intérieur.

Jeudi, à Nantes et à Paris, des manifestants de soutien à l’amputé de la ZAD demandaient la cessation de l’usage de cette grenade : « Après le glyphosate, la GLI F4 ! » Ils vont finir par être entendus.

Car la GLI F4 va bien disparaître… à terme. L’Etat a en effet décidé de ne plus en commander. La décision n’a rien à voir avec l’amputation de Maxime, puisqu’elle a été prise bien avant. Mais c’est un hasard du calendrier qui veut qu’elle ait été officialisée deux jours après le drame.

Le 24 mai, un avis paraît dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) : le ministère de l’Intérieur va renouveler ses stocks de « grenades lacrymogènes et moyens de propulsions ». Et il ne rachètera donc pas de GLI F4.

L’appel d’offres, paru en août, estimait le marché à 22 millions d’euros hors TVA. Bonne nouvelle pour le contribuable : avec ce contrat censé durer 4 ans, Beauvau renouvelle ses armes anti-manifestants pour 17,5 millions d’euros (toujours hors TVA). Le gâteau se partage essentiellement entre deux « industriels historiques pour ce type d’équipement », commente le ministère : Nobel Sport et Alsetex, respectivement 68% et 30% de la valeur du marché.

« Après le glyphosate, la GLI F4 »
La GLI F4 qui a emporté la main de Maxime a été produite par la seconde entreprise, Alsetex. Selon le ministère, « il a été décidé de ne plus fabriquer cette grenade. »

Outre ses effets lacrymogènes (gaz CS pulvérulent) et sonore (165 décibels à 5 mètres), la GLI F4 produit une forte explosion. Elle contient de la tolite, un explosif également présent dans la grenade OF-F1, responsable de la mort de Rémi Fraisse en octobre 2014.

A la suite du décès du jeune homme, la OF-F1 avait été interdite. En revanche, un rapport commun aux inspections générales de la gendarmerie (IGGN) et de la police nationales (IGPN) concluait que la GLI F4 pouvait, elle, continuer à être utilisée, tout en reconnaissant sa dangerosité.

Le pouvoir législatif était lui moins catégorique. Fin 2016, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2017 du Sénat écrit : « Des études sont en cours sur l’évolution des grenades en dotation […] L’objectif de ces études est le remplacement des grenades GLI F4 par des grenades assourdissantes lacrymogènes sans explosif. »

L’été dernier, quand Beauvau lançait son appel d’offres, des pétitionnaires (dont les parents de Rémi Fraisse) exigeaient dans Libé « l’interdiction de la GLI F4 ».

S’il n’y aura plus de commande de GLI F4, cela ne signifie pas pour autant l’interdiction du projectile. « La GLI F4 sera utilisée jusqu’à épuisement des stocks, assure la place Beauvau à Libération… sans préciser le nombre de ces grenades encore disponibles. Elles seront progressivement remplacées par la GM2L », déjà en dotation et utilisée sur la ZAD. La différence avec la première ? « Elle contient bien un effet lacrymogène et assourdissant, mais n’a pas l’effet déflagrant de la GLI F4 », selon l’Intérieur. Normal : dans l’appel d’offres de l’été dernier, le magazine L’Essor de la Gendarmerie a repéré que pour le lot numéro 5, intitulé « grenades assourdissantes lacrymogène », que le cahier des charges (qui n’est plus en ligne) précisait que « la composition pyrotechnique ne [devait] pas contenir d’explosif brisant. »

Silence et explosion
La GM2L répondrait donc à cet impératif : pas « d’éclat vulnérant », promet Beauvau, qui explique : « le dispositif pyrotechnique de la GM2L respecte le cahier des charges techniques. »

Selon la fiche technique de l’arme qu’a publiée l’Essor de la Gendarmerie « Les matériaux employés pour la fabrication de cette grenade (plastique polyéthylène élastomère) permettent de ne générer aucun éclat lors de son fonctionnement. »

La fiche est siglée Alsetex. L’entreprise qui fabrique la GM2L (et sa prédécesseure la GLI F4) ne nous a pas répondu. La communication de la maison mère Etienne Lacroix nous renvoie vers sa filiale, que nous avons relancé à plusieurs reprises, par mail et par téléphone, sans obtenir le moindre commentaire. Tout ce qu’on sait, on l’apprend dans l’avis d’attribution du marché : Alsetex était seul candidat pour le lot « grenades assourdissantes lacrymogènes ». Elle l’a remporté, avec une offre à 1,8 million d’euros (hors TVA). Combien achète-t-on de GM2L avec cette somme ? Là encore, silence, côté client et côté fabricant.

Fabien Leboucq