Protection sociale

Libération - La fraude aux prestations sociales encore difficile à chiffrer selon la Cour des comptes

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Frantz Durupt — 9 septembre 2020

Dans un rapport publié mardi, les magistrats chiffrent à 1 milliard d’euros l’ensemble des « préjudices subis et évités » par les organismes sociaux en France en 2019. Un montant loin de certains fantasmes. Ils préconisent un « changement d’échelle » dans la lutte contre la fraude.

Alerte générale. « La fraude sociale s’envole », tonne ce mercredi le Parisien, qui estime que l’affaire mérite la une. Le Figaro, lui, évoque en première page une « multiplication des abus ». Quant aux Grandes gueules de RMC, elles ouvrent bien volontiers le bal des débats à grand spectacle, en se demandant s’il n’y aurait-il pas là matière à un « scandale national ». Si le sujet fait ainsi son retour, prêt à alimenter une polémique qui ne cesse jamais vraiment et qui charrie régulièrement son lot d’intox, c’est parce que la Cour des comptes a publié mardi soir un rapport consacré à « la lutte contre la fraude aux prestations sociales ».

Les sommes en jeu ne représentent pas rien : le périmètre des prestations étudié par les magistrats de la rue Cambon pèse 521,4 milliards d’euros, soit 21,5% du PIB, versés en 2019 par les organismes dépendant de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), de la Caisse nationale de l’assurance vieillesse (Cnav), de la Caisse nationale des affaires familiales (Cnaf), des retraites complémentaires des salariés Agirc-Arrco, et enfin par Pôle Emploi.

Mais quelle est la réalité substantielle de cette fameuse fraude ? Au grand dam des sénateurs devant lesquels s’exprimait mardi le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, la principale conclusion à laquelle parvient la juridiction financière dans son rapport est la suivante : il est impossible de produire « une estimation globale du montant […], les données disponibles ne permettant pas de parvenir à un chiffrage suffisamment fiable ». Ce qu’elle déplore, en appelant à ce que des dispositifs permettant une évaluation précise soient adoptés.

En attendant, il faudra donc se contenter de ce nombre : 1 milliard d’euros de « préjudices subis et évités », soit la somme des fraudes détectées en 2019 par les organismes sociaux cités plus haut. Un montant que certains pensent déjà considérablement sous-estimé, à l’image du député UDI Pascal Brindeau, rapporteur d’une commission d’enquête sur le sujet à l’Assemblée nationale, qui parle dans le Parisien de 14 milliards d’euros de fraude, en évoquant un précédent rapport de la Cour des comptes dont Libération, malgré quelques recherches, n’a pas retrouvé la trace.

« Professionnalisation » de la chasse à la fraude
Revenons donc à notre petit milliard, puisque c’est lui que la Cour des comptes décortique aujourd’hui. Un fait s’impose : « Ce montant connaît une augmentation continue, quoique inégale entre organismes et dans le temps », soulignent les magistrats. Du côté de la branche famille, les préjudices détectés ont été multipliés par 3,6 depuis 2010 (324 millions d’euros), le RSA étant le premier concerné. Pour l’assurance maladie, le préjudice est multiplié par 1,8 depuis 2010 et se monte à 287 millions d’euros, les professionnels et les établissements de santé et médico-sociaux représentant l’écrasante majorité des sommes soustraites ou qui ont failli l’être. Du côté de la branche vieillesse, où le minimum vieillesse fait l’objet du plus grand nombre de tentatives de fraudes, on dénombre 160 millions d’euros de préjudices subis, soit 2,2 fois plus qu’en 2013. Enfin, 212 millions d’euros sont concernés chez Pôle Emploi, soit 4,6 fois plus qu’en 2010, en raison notamment de reprises d’activité non déclarées.

Les chiffres semblent parler d’eux-mêmes. Pourtant, leur augmentation ne traduit pas tant une « explosion » de la fraude qu’une « professionnalisation » de sa traque, affirme la Cour de comptes. « Ces progrès s’expliquent par des moyens humains globalement préservés (près de 4 000 agents affectés à la réalisation de contrôles), une efficacité croissante des contrôles a posteriori des organismes sociaux et l’étendue des moyens d’investigation qui leur sont accordés », analysent les magistrats.

Angle mort

Ces derniers ne cachent pas pour autant leur insatisfaction : selon eux, la lutte contre la fraude repose trop souvent sur des contrôles a posteriori, alors que « le principal enjeu est de tarir les possibilités systémiques de fraude ». Pour ce faire, ils préconisent de « changer d’échelle » avec un croisement massif des fichiers (sociaux, fiscaux, bancaires…), de mieux cibler les professionnels de santé et hôpitaux en multipliant les « contrôles automatisés » et en facilitant le « déconventionnement » des fautifs, mais aussi (tout arrive) d’embaucher des « effectifs consacrés à la réalisation de contrôles ».

Reste un angle mort, que la Cour des comptes n’explore pas dans son rapport et qui attise moins le débat public : et le non-recours à ces mêmes prestations sociales, que représente-t-il ? Là aussi, un fait s’impose : les données manquent cruellement pour évaluer ce que l’Etat économise grâce aux nombreuses personnes ne profitant pas de leurs droits.

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) le relevait encore en juin dernier, en rappelant tout de même quelques données disponibles : en 2018, le taux de non-recours aux aides sociales en matière de santé se situait « entre 32% et 44% pour la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de 53% à 67% pour l’aide au paiement de la complémentaire santé (ACS) ». Quant aux aides à la famille, une autre étude de 2018 estimait qu’« entre 7,5% et 8,2% des allocataires ne recourent pas à leurs droits ». Le problème mériterait peut-être, lui aussi, un « changement d’échelle ».

Frantz Durupt