Industrie pharmaceutique

Libération - La promo du cœur artificiel Carmat bat son plein dans le silence des patients

Août 2021, par Info santé sécu social

Tout va pour le mieux pour la société française qui commercialise l’organe artificiel conçu par le professeur Carpentier. Mais ce succès se construit sur le silence des opérés, dont on ne sait plus rien...

par Eric Favereau
publié le 31 août 2021

Ce fut un été Carmat, ou presque. D’ordinaire si précautionneuse sur sa communication, l’entreprise française qui commercialise le cœur artificiel conçu par le professeur Carpentier n’a pas arrêté de multiplier les communiqués de presse en cette période estivale. La semaine dernière, ce fut ainsi l’annonce de la troisième implantation de sa prothèse dans un cadre commercial. Cela s’est passé en Allemagne. « Il s’agit d’une étape majeure, qui ouvre une nouvelle page du développement de la société », s’était déjà félicitée l’entreprise mi-juillet.

Selon le communiqué publié vendredi, comme à l’habitude, tout s’est bien passé. « Le patient qui a reçu le dispositif souffrait d’une insuffisance cardiaque biventriculaire sévère au stade terminal et était éligible à une transplantation cardiaque urgente », explique le professeur Assad Haneya, directeur du programme de transplantation et d’assistance circulatoire mécanique du centre médical où l’intervention a eu lieu. « Quelques jours après l’intervention, le dispositif donne toute satisfaction et permet au patient de se rétablir comme attendu », a complété le directeur de l’unité de soins intensifs cardiovasculaires, le docteur Bernd Panholzer. Cette implantation commerciale en Allemagne est la deuxième de l’été dans le pays et la troisième en Europe. Le 19 juillet, Carmat avait ainsi annoncé une autre vente de sa prothèse au centre hospitalier de Naples, en Italie.

Bref, tout va pour le mieux pour Carmat. Depuis l’obtention de sa certification européenne (marquage CE) dans l’indication de « pont à la transplantation » (attente d’une éventuelle transplantation) en décembre, l’entreprise cotée en bourse redouble d’efforts. Le 15 juillet, la firme avait déclaré avoir implanté son cœur artificiel aux Etats-Unis, annonce qui avait provoqué un bond de l’action à la Bourse de Paris. En France, la Haute Autorité de santé a donné son approbation en avril. De plus, une étude est en cours sur 52 patients. « Le forfait innovation de prise en charge de l’acte et des frais d’hospitalisation s’élèveront à 248 194 euros par patient. Au total, la participation des pouvoirs publics sera de 13 millions d’euros. Ce financement couvrira les deux tiers du coût total de l’étude. La prise en charge par l’Assurance maladie sera effective pour une durée de quarante-huit mois à compter de la première inclusion. Le recrutement des patients devrait commencer au deuxième semestre 2021 », a détaillé l’Assurance maladie. Chaque année en France, environ 250 patients peuvent être concernés par la pose d’un « vrai-faux » cœur.

Solution provisoire
On arrive donc à une nouvelle phase, celle de l’extension de cette greffe artificielle. Et c’est une bonne nouvelle. Pour autant, comment ne pas s’étonner que, plus le temps passe, plus les données sur cette merveille technologique s’amoncellent et moins on parle des patients ? Comme si ces derniers ne comptaient plus. On le sait, ce fut pourtant une longue et complexe histoire. Le premier cœur artificiel total a été testé en 1969, mais ce n’est qu’en 1982 que cette prothèse intracorporelle prendra son essor, après son implantation chez un Américain. Le cœur artificiel est alors énorme, relié à une imposante console extérieure. Depuis ces expériences pionnières, tout a changé. Aujourd’hui, les machines sont plus petites (500 g à 900 g), plus silencieuses et dotées, selon les modèles, de miniturbines, de motopompes, de valves cardiaques reconstituées (carbone, péricarde bovin).

Est-ce pour autant un progrès décisif ? En novembre 2019, les résultats de l’étude portant sur les onze premiers patients implantés avaient montré que « 73% [d’entre eux] ont atteint les six mois de survie avec la prothèse, ou avec une transplantation cardiaque réussie dans les six mois suivant l’implantation ». Ce n’est pas rien, mais le cœur Carmat est encore loin d’un objectif raisonnable. On estime qu’une transplantation cardiaque classique prolonge la vie de vingt ans et, avec Carmat, les experts que nous avons contactés estiment que l’on peut difficilement aller à plus de deux ans d’espérance de vie. Cela reste donc une solution provisoire, en direction de certains patients ne pouvant attendre. « Implanter un cœur sera plus rentable que de ne pas traiter un patient, lâche un des responsables de l’entreprise. Il permet notamment de tenir jusqu’à ce qu’un greffon naturel soit libre, or il y a pénurie de cœurs naturels. Environ 500 greffes cardiaques sont réalisées chaque année, alors que plus de 10 000 Français sont en attente d’une transplantation. »

Silence radio
En tout cas, ce qui est frappant, c’est qu’au début de l’aventure de ce cœur artificiel, tout était centré sur le patient, sur son courage, sur son audace de tester une prothèse inédite, sur les difficultés post-opératoires. On suivait le nouveau greffé, il y avait des photos. Des exclusivités étaient vendues à de grands hebdomadaires… Souvenons-nous, peu après la première greffe, Paris Match avait fait un reportage spectaculaire sur ce pionnier. « L’un se sait condamné et regarde le chirurgien comme un faiseur de miracle. Le professeur Carpentier y croit, veut y croire, veut y faire croire, sans promettre l’impossible pour autant. Le clinicien et son malade sont de la même génération. Tous deux ont fait l’Algérie. Alors, ils parlent du bled, évoquent les mechtas de Kabylie. Puis vient Dieu. Le professeur Carpentier est croyant. Son patient également. Ils seront donc trois dans leur grande aventure. “Alors, on y va ?” interroge Carpentier. “On y va, docteur”, lui répond Claude Dany. L’histoire est en marche. Ce mercredi 18 décembre 2013, pendant qu’on conduit Claude Dany vers la salle d’anesthésie, le professeur Carpentier repense au miracle qui va bientôt s’accomplir. Le 9 janvier, trois semaines après l’implantation, Claude Dany peut sortir de sa chambre de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Le lendemain, il subit une quatrième intervention, dont il ne se relèvera pas. Claude Dany s’est éteint à 76 ans mais la médecine a fait un pas de géant. »

Certes, mais aujourd’hui qui entend le malade ? La médecine high-tech ne lui laisse plus beaucoup de place. On ne sait plus rien de l’opéré, ni des suites opératoires ni même de sa survie. Qu’en pense-t-il ? Quelle est sa qualité de vie ? Il y a des batteries pour faire fonctionner cette petite merveille technologique, mais est-ce bien pratique ? Peut-il vivre presque normalement ? Quelles sont les contraintes ? Silence radio sur ce sujet. Les accès aux transplantés sont extrêmement difficiles. Mais au final, on sait que l’action Carmat se porte bien.