Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - La relance post Covid-19 devra intégrer l’urgence climatique

Avril 2020, par Info santé sécu social

Par Coralie Schaub — 22 avril 2020

Dans un rapport publié mercredi, le Haut Conseil pour le climat estime qu’il est « impératif » que la réponse du gouvernement à la crise du Covid-19 soutienne des transformations structurelles vers une économie « bas carbone », pour renforcer notre résilience face aux risques sanitaires et climatiques.

Le gouvernement doit absolument placer les enjeux climatiques au cœur de son plan de sortie de crise du Covid-19, sans quoi nos sociétés resteront vulnérables aux risques sanitaires et climatiques. C’est, en substance, le message du Haut Conseil pour le climat (HCC), dans un rapport spécial publié mercredi et intitulé « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir ».

Dans ce document d’une vingtaine de pages, l’organisme indépendant voulu par Emmanuel Macron et créé en 2019 constate d’abord que la crise du Covid-19 et le changement climatique « présentent des similarités », jugeant qu’il est « possible de tirer des leçons de l’une pour augmenter nos capacités de résilience à l’autre ». Ces deux « menaces majeures pour l’ensemble de l’humanité » présentent en effet des causes structurelles qui sont pour la plupart les mêmes (modèles de développement, urbanisation, pratiques de mobilités et de consommation, évolution de l’alimentation…), indique le rapport.

« Prendre au sérieux les lanceurs d’alerte »
Elles provoquent des crises aux ramifications multiples et « révèlent les fragilités des sociétés, y compris les plus développées », vulnérabilités accentuées par les inégalités sociales, qui « suscitent des tensions au sein de la collectivité et réduisent l’acceptabilité et la faisabilité des mesures tout en accroissant la fragilité globale du système et les risques individuels ». Elles révèlent aussi « l’impréparation des Etats et des organisations sociales », qui reflète « l’incapacité à imaginer l’ampleur de la menace et à la prendre au sérieux » et découle « de choix délibérés qui ont rendu les systèmes, même les plus avancés, incapables d’absorber les chocs ».

« Il faut prendre au sérieux les lanceurs d’alerte et renforcer les systèmes d’alerte précoce », martèle la climatologue Corinne Le Quéré, présidente du HCC. Le rapport rappelle ainsi que « de nombreux avertissements ont été lancés sur la dangerosité des coronavirus, et l’alerte a tardé au début de l’épidémie en Chine. L’expérience du Sras, du Mers, des grippes H5N1 et H1N1, auraient dû constituer un signal fort pour engager une action forte aux échelles internationale et nationale ».

Las, il n’en a rien été. « De la même façon, le constat scientifique robuste, établi depuis plus de trente ans, porté par le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat] à l’attention de tous les gouvernements, et la réalité observée des effets dommageables du changement climatique, mettent en évidence le retard à agir pour limiter les risques associés », se désole le rapport.

Baisse des émissions « marginale »
Celui-ci souligne aussi que la baisse « brutale et temporaire » des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES) constatée en raison du confinement reste « marginale face aux enjeux climatiques et ne répond pas aux attentes de la transition juste ». Une première estimation détaillée dans le rapport évalue que les émissions de GES sont réduites d’environ 30% en France pendant les semaines de confinement. D’ici la fin de l’année, les émissions pourraient être réduites d’environ 45 millions de tonnes d’équivalent CO2 (Mt éq CO2), soit 5% à 15% des émissions annuelles moyennes mesurées entre 2019-2023.

Mais « c’est très peu, comparé aux changements que l’on doit mettre en place pour atteindre la neutralité carbone. Par exemple, d’ici 2030 on devrait réduire les émissions de plus de 800 Mt éq CO2, par rapport au niveau de 2018 », illustre Corinne Le Quéré. Surtout, pour le HCC, cette baisse « n’est ni durable, ni souhaitable, car elle n’est pas le résultat d’un changement structurel organisé » et repose entièrement sur une sobriété imposée et temporaire des déplacements et de la consommation.

Ne pas répéter les erreurs
La probabilité d’un rebond des émissions de GES est donc « majeure », selon le HCC. Qui appelle à ne surtout pas répéter les erreurs faites suite à la crise financière de 2008-2009. « Les émissions mondiales de CO2 avaient baissé de 1,4% en 2009 mais cette baisse a été tout de suite annulée par un rebond des émissions de presque 6% en 2010, car les changements structurels de fond n’avaient pas été faits », rappelle Corinne Le Quéré.

Pour le HCC, il est donc « essentiel de placer les enjeux climatiques au cœur des plans post-crise du Covid-19 ». Et la reconstruction économique et sociale « devra notamment réduire nos vulnérabilités, privilégier la décarbonation et transformer plutôt que de sauvegarder à tout prix ». Le rapport formule dix-huit recommandations pour une « sortie de crise qui nous reconstruira plus résilients face à l’avenir ».

Ainsi, toute perspective de relance doit poursuivre la trajectoire de neutralité carbone inscrite dans la loi énergie-climat. Et « la relance doit être verte le plus possible, pas grise ». « Trop d’investissements gris ont été faits suite à la crise de 2008-09, qui ont empêché les changements structurels nécessaires. Par exemple, ils ont favorisé les voitures thermiques, ce qui a conduit à ce que les émissions provenant des transports n’ont pas diminué en France pendant dix ans », souligne Corinne Le Quéré.

Changements structurels
Concrètement, le HCC recommande entre autres de soutenir et accompagner les changements de comportements qui réduisent la pression sur les émissions, par exemple encourager le vélo et la marche en fin de crise, ainsi que l’extension des pratiques de télétravail. Il souligne aussi qu’il faudrait conditionner l’octroi de mesures budgétaires et fiscales à l’adoption de plans d’investissements compatibles avec la neutralité carbone. Et utiliser pour cela les leviers existants, les normes, la commande publique, mais aussi mettre en place des mesures d’évaluation et de vérification.

« Par exemple, toute aide vers le secteur automobile devrait s’inscrire dans le cadre d’une reconversion des chaînes de production vers des véhicules décarbonés. De même pour le secteur de l’aviation, très polluant, pour lequel les trajectoires futures ne sont pas cohérentes avec l’atteinte de la neutralité carbone », illustre Corinne Le Quéré. Le faible prix du pétrole doit aussi « permettre de faciliter la reconversion des exemptions fiscales et autres subventions aux énergies fossiles ». « C’est le moment de le faire », insiste la présidente du HCC.

Coralie Schaub