Le droit à la contraception et à l’IVG

Libération - Le débat sur l’allongement du délai d’IVG embarrasse le gouvernement

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Par Laure Equy , Lilian Alemagna et Marlène Thomas

7 octobre 2020 à 19:46

Le projet de passage de douze à quatorze semaines est plébiscité par les associations, mais prend de court l’exécutif, qui aurait souhaité plus de temps.
« On va peut-être assister à un événement historique », lance Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, en évoquant la proposition de loi pour le renforcement du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), portée par la députée du groupe Ecologie démocratie solidarité et ex-LREM Albane Gaillot. Ce texte, déjà adopté en commission des Affaires sociales mercredi dernier malgré des protestations de la droite, est examiné ce jeudi par l’Assemblée nationale. Il vise notamment à allonger de douze à quatorze semaines le délai légal pour avorter. Une demande de longue date des féministes et un enjeu crucial alors qu’une femme sur trois a recours à l’IVG dans sa vie.

« On s’est rendu compte pendant la crise sanitaire qu’il y avait de vraies difficultés d’accès à l’avortement sur tout le territoire national avec de grandes disparités territoriales, liées notamment aux fermetures de centres d’IVG », développe Albane Gaillot. Le recours à l’avortement a ainsi varié du simple au triple selon les régions l’an dernier, rapporte la Drees. « Une jeune fille en région parisienne va au Planning familial, ça ne lui coûte rien, c’est rapide et anonyme. Une gamine dans la Creuse qui n’a pas forcément de voiture doit faire 60 bornes, c’est là que ça devient problématique », développe Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue obstétricienne et fondatrice de la Maison des femmes.

Clause
Malgré les entraves indirectes à l’accès à l’IVG en raison de la pandémie, le gouvernement avait refusé d’allonger le délai légal au motif que ce sujet est « trop important pour être traité dans l’urgence », selon les mots du ministre de la Santé, Olivier Véran. Les chiffres sont pourtant là : chaque année entre 3 000 et 5 000 femmes hors délais partent avorter à l’étranger. Les Pays-Bas, où le délai légal est de vingt-deux semaines, sont une destination privilégiée. « Des femmes sont prêtes à tout pour stopper une grossesse. C’est une honte qu’elles doivent aller à l’étranger, payer 1 000 à 3 000 euros, alors que ça serait possible en France », tonne Sarah Durocher.

Cette solution de dernier recours creuse les inégalités sociales entre celles qui ont - ou pas - les moyens financiers de se la permettre. En moyenne, 7,4 jours s’écoulent entre la première demande et la réalisation de l’acte, selon l’enquête réalisée par les agences régionales de santé en 2019. Un délai variant de 3 à 11 jours selon les régions. Cette étude relevait aussi « des difficultés d’accès voire des refus ponctuels de prise en charge des IVG tardives », qui représentent 5,3 % des avortements pratiqués en 2019 selon la Drees. Allonger ce délai de deux semaines concernerait « environ 2 000 femmes » chaque année, dit Gaillot.

En parallèle, la proposition de loi s’attaque aux freins idéologiques en demandant la suppression de la double clause de conscience. Un médecin peut faire valoir cette clause pour refuser de pratiquer tout acte médical, mais l’avortement est le seul à en avoir une deuxième spécifique. Ainsi selon la loi Veil, « un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une IVG » mais doit impérativement réorienter la patiente. « Cette concession de la loi Veil n’a plus lieu d’être. On est là pour défendre l’intérêt général, pas pour faire la loi et la science à l’aune de la morale. Faire revenir l’avortement à un acte de soin normal est une évidence », souligne Albane Gaillot.

« Flottement »
En commission, trois articles ont aussi été ajoutés au texte initial : la suppression du délai de réflexion de quarante-huit heures lors d’un entretien psychosocial, la remise d’un rapport sur le délit d’entrave, mais aussi l’ouverture du droit pour les sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à dix semaines de grossesse pour pallier le manque de praticiens. Pour l’heure, elles ne sont autorisées qu’à réaliser des avortements médicamenteux.

L’exécutif aurait pu sauter sur l’occasion pour soutenir une avancée pour les droits des femmes. D’autant plus que le groupe LREM a fait savoir qu’il était « pour ». Sans être « opposé sur le fond », Matignon et le ministère de la Santé émettent des réserves « sur la question du calendrier et de la méthode » et ne veulent pas se prononcer sans un avis du comité consultatif national d’éthique, saisi la semaine dernière par Olivier Véran. Preuve de cet embarras, on ne connaissait toujours pas mercredi la position du gouvernement (« avis de sagesse » ? défavorable ?) et quel ministre serait dépêché au banc. A la Santé, on rappelle qu’Olivier Véran doit préparer sa conférence hebdomadaire sur le Covid-19. Chez Elisabeth Moreno, on souligne qu’un déplacement avec Elisabeth Borne (Travail) est au programme et que la ministre chargée de l’Egalité femmes-hommes est « à titre personnel » favorable à l’allongement de douze à quatorze semaines. Si l’Assemblée donne son feu vert jeudi, restera pour le groupe EDS à trouver le moyen d’inscrire le texte à l’agenda du Sénat. Des discussions sont en cours, notamment avec les socialistes qui avaient déjà porté la question à l’ordre du jour de la Haute Assemblée en juin 2019