Le droit à la santé et à la vie

Libération - Le milieu médical s’inquiète de ne pas sortir indemne des coupures de courant

Décembre 2022, par Info santé sécu social

Si les établissements dits « prioritaires » tels que les hôpitaux, les cliniques ou les laboratoires ne seront pas soumis aux éventuels délestages, certains pointent d’ores et déjà plusieurs lacunes dans le plan du gouvernement.

par Anaïs Moran
publié le 5 décembre 2022

Il ne s’agit encore que de « scénarios », mais les professionnels et associations du soin préfèrent mettre en garde dès aujourd’hui : face aux coupures d’électricité ciblées et temporaires envisagées par Matignon, le plan esquissé pour le volet santé est loin de rassurer tout le monde. Certes, les établissements « prioritaires » que sont les hôpitaux, les cliniques et les laboratoires, ne seront pas soumis aux hypothétiques délestages tournants, prévus et détaillés dans la circulaire envoyée aux préfets par la Première ministre, Elisabeth Borne.

Quant aux quelque 4 000 patients à haut risque vital (PHRV) recensés à la mi-novembre – des malades sous respirateur artificiel plus de vingt heures par jour et des enfants nourris par voie intraveineuse vivant chez eux – ils devraient être informés et accompagnés bien en amont pour ne prendre aucun risque médical. Toutefois, l’inquiétude n’est jamais loin et plusieurs lacunes sont déjà pointées du doigt.

A commencer par les potentielles interruptions de communications électroniques, et notamment celles sur la ligne 15 d’appel d’urgence du Samu. « Dans ces situations, l’usage du 112 [le numéro d’appel d’urgence européen, ndlr] sera un palliatif car il s’agit d’un numéro accessible quel que soit l’opérateur, donc avec des chances bien plus élevées que l’appel soit acheminé, dès lors que la zone d’émission serait couverte par au moins un opérateur », est-il précisé dans la circulaire gouvernementale. Pour Caroline Brémaud, médecin du Samu et cheffe du service des urgences à Laval (Mayenne), les centres téléphoniques 112 « risquent la saturation » au vu de leur capacité de réception des appels. « D’autant qu’ils n’ont pas de spécialité médicale, donc le tri entre urgences et non-urgences serait beaucoup plus laborieux, note-t-elle. Généralement, le 112 est rattaché aux plateformes d’appels des pompiers, qui doivent derrière rebasculer vers des médecins. La perte de temps peut être très importante, et qui dit perte de temps au téléphone dit perte de chance pour les patients. »

Par ailleurs, certaines régions rurales ne sont pas couvertes par le 112. Pour ces « zones blanches » connues dans chaque préfecture, l’exécutif assure que « d’autres dispositifs seront mis en place par les préfets », comme des « îlots de sécurité » ou des « patrouilles renforcées ». Sans donner plus d’informations à ce stade.

Des ARS discordantes
La seconde grande préoccupation du milieu du soin concerne les patients à domicile ne faisant pas partie de la liste des PHRV. A l’image des craintes de Renaloo, association de patients atteints de maladies rénales dont certains ont des séances de dialyse en ambulatoire. Dans un courrier adressé au ministre de la Santé fin novembre, l’organisation demande que les 3 500 personnes concernées en France fassent partie des PHRV. « On reçoit beaucoup de témoignages de patients inquiets qui angoissent à l’idée de devoir annuler des séances à la dernière minute, ou même d’être interrompus en plein milieu d’une d’elles », relate Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo, qui souligne que certains « malades peuvent faire jusqu’à huit heures de dialyse dans la journée ». D’autant que, selon elle, les agences régionales de santé (ARS) ne sont pas toutes sur la même ligne : si certaines ARS ont accédé aux demandes récentes d’insuffisants rénaux d’intégrer le dispositif PHRV, d’autres ont refusé.

Par anticipation, les ARS et préfectures doivent aussi se soucier de toutes les personnes hospitalisées à la maison, utilisatrices d’extracteurs d’oxygène, de pousse seringue ou tout autre matériel médical électrique. En cas de privation d’électricité, les personnes vulnérables ou en situation de handicap, dépendantes de matériel domotique et motorisé, devront également avoir « connaissance du signal Ecowatt rouge à J-3 », selon la circulaire d’Elisabeth Borne. « C’est une bonne chose que le gouvernement sollicite déjà les pouvoirs publics pour qu’ils puissent se préparer, commente Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps. Il faut désormais qu’un recensement minutieux de toutes les personnes en situation de fragilité sociomédicale soit réalisé. On n’est pas à l’abri que des personnes isolées ne soient ni identifiées ni informées. Oublier quelqu’un, c’est prendre le risque de conduire à un drame. »