Politique santé sécu social de l’exécutif

Libération - Les budgets Macron pénalisent surtout les classes les plus pauvres

Février 2020, par Info santé sécu social

Par Christophe Alix
6 février 2020

Dans un bilan agrégeant l’ensemble des mesures sociales et fiscales mises en place depuis 2018, l’OFCE dresse le tableau des gagnants et des perdants de la politique budgétaire macronienne à mi-mandat.

A qui profite la politique budgétaire d’Emmanuel Macron ? Deux ans et demi après son accession à l’Elysée, c’est la question que l’OFCE (le centre d’études macroéconomiques de Sciences-Po classé à gauche et keynésien) pose dans une étude publiée mercredi. Intitulée « Budget 2020, du pouvoir d’achat au travail », cette étude appuie là où ça fait mal. En calculant l’impact cumulé des gestes sociaux et fiscaux des trois premiers budgets du quinquennat Macron sur le pouvoir d’achat des Français, elle dresse un tableau à mi-mandat des gagnants et des perdants de sa politique économique.

Les 15% des ménages les plus modestes toujours perdants
Au moment où les débats sur le « puzzle sociofiscal » macronien, comme l’appelle l’OFCE, se multiplient au sein de la majorité, son principal message ne passera pas inaperçu : le gouvernement a certes nettement infléchi sa politique en faveur des classes moyennes depuis la tempête des gilets jaunes, mais pour les 15% des ménages les plus modestes, les mesures prises à l’automne vont encore aggraver la situation. Autrement dit, les plus pauvres des Français restent les grands perdants à mi-mandat des choix budgétaires d’un chef de l’Etat déjà étiqueté « président des riches » depuis la suppression de l’ISF. Face à cette étude politiquement lourde de sens, Bercy a organisé à la hâte en fin d’après-midi une contre-conférence – pratique plutôt rare – dans le but de contester, chiffres à l’appui, les conclusions de l’étude de l’OFCE.

Le principal enseignement de l’étude de l’OFCE ? Les principales mesures fiscales qui vont s’appliquer à partir de cette année (baisse de 5 milliards d’euros d’impôt sur le revenu, suppression du dernier tiers de la taxe d’habitation pour 80% des foyers et défiscalisation des heures supplémentaires) auront un effet positif sur le niveau de vie de 70% des ménages. Mais pas pour les 30% situés en bas et en haut de l’échelle des revenus. Les ménages des trois premiers « vingtièmes » (un découpage de l’ensemble des ménages selon leur niveau de vie en tranches de 5%) verront ainsi en moyenne leur niveau de vie amputé de 0,2 à 0,4% sous l’effet des baisses de leurs allocations logement et de la réforme de l’indemnisation du chômage. Au final, résume l’OFCE, « plus de la moitié des ménages appartenant aux 40% les plus modestes devraient perdre aux mesures du budget 2020 » et lorsque l’on cumule l’effet des mesures « sociofiscales » mises en œuvre depuis 2018, les 5% des Français les plus pauvres devraient voir leur niveau de vie se réduire d’environ 240 euros par an.

Un quart des sommes distribuées aux 5% les plus aisés
A l’autre bout de l’échelle, ce sont les retraités aisés qui feront les frais d’un quasi-gel des pensions de retraite de plus de 2 000 euros par mois. Une mesure qui n’empêche pas pour autant les Français les plus aisés de demeurer les grands bénéficiaires de la politique mise en place depuis 2018 : « Sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis le début du quinquennat, plus du quart (environ 4,5 milliards d’euros) l’ont été aux 5% de ménages les plus aisés », indique l’étude, selon laquelle les 5% les plus riches devraient voir au total leur revenu grimper de 2 905 euros par an sur la période 2018-2020. L’infléchissement en faveur des classes moyennes que souligne l’OFCE reste donc à relativiser : 4,5 milliards d’euros ont été consacrés jusqu’ici à alléger une fiscalité sur le capital concernant quelques centaines de milliers de foyers tandis que 5 milliards de baisse de d’impôt sur le revenu vont bénéficier à 17 millions de ménages !

La contre-offensive de Bercy
Lors de la contre-conférence téléphonique de l’après-midi, les conseillers du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se sont d’abord félicités que l’OFCE voie dans le budget 2020 une politique de pouvoir d’achat « en faveur de tous les Français : 17 milliards distribués depuis 2018 , c’est inédit et massif, cela représente 590 euros par ménage et une progression moyenne de 1,7% du revenu disponible », fait-on remarquer à Bercy, où l’on conteste catégoriquement le fait qu’il pourrait rester des perdants parmi les ménages modestes. Pour le premier décile (Bercy ne compte jamais en « vingtièmes », précise-t-on), « le gain est de 2,3% de variation du niveau de vie » depuis 2018 répond-on du tac-au-tac en se référant au rapport économique, social et financier joint en annexe du dernier projet de loi de finances.

Principal grief du gouvernement à l’adresse de l’OFCE : son étude prendrait mal en compte certaines mesures, même si l’on reconnaît qu’elles ne sont pas toutes « faciles à quantifier ». Et de citer la prime d’activité, minorée d’un milliard par l’OFCE, la complémentaire santé solidaire et les mesures du plan pauvreté. Autre « désaccord méthodologique », l’OFCE estime que la hausse des taxes sur le tabac devrait amputer d’un milliard d’euros le pouvoir d’achat des ménages, là où Bercy prévoit que cette mesure de santé publique aura un effet plus limité en raison de la réduction de la consommation qu’elle va entraîner.

Ce jeudi matin, Bruno Le Maire en a d’ailleurs remis une couche à l’occasion de son intervention au salon des Entrepreneurs. « Je conteste les drôles de méthode de l’OFCE qui ne prend pas en compte les nouvelles modalités de la prime d’activité, a commenté le ministre. Leur analyse reste attaché à une vision qui a empêché la France de donner son plein potentiel, a-t-il poursuivi dans un registre frisant la caricature. Son idée, c’est qu’il faut redistribuer toujours plus, produire toujours moins et augmenter les taxes et les impôts pour financer tout ça ». Une contre-attaque bien plus politique que méthodologique pour le coup.

Une prime aux actifs en emploi

Parmi les principaux critères de distribution de pouvoir d’achat, l’OFCE pointe celui du statut d’activité de ses bénéficiaires, déterminant : « Les actifs occupés captent une grande partie des gains de pouvoir d’achat depuis 2018, tandis que les chômeurs et les retraités sont les plus mis à contribution ». Sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis 2018, plus de 12 l’ont été aux personnes seules actives occupées ou aux couples comptant deux actifs occupés. A contrario, les personnes seules au chômage et les retraités ont été mis à contribution à hauteur de 1,6 milliard d’euros, indique l’Observatoire selon lequel les « actifs occupés sont les grands gagnants du début de quinquennat ».

Un choix parfaitement assumé, répond Bercy, selon qui la politique du gouvernement consiste justement à faire en sorte que « le travail paie davantage. 40% des chômeurs sont des personnes pauvres, les plus modestes sont bien les premiers bénéficiaires des créations d’emploi et de la baisse du chômage, fait-on valoir au ministère de l’Economie. C’est la meilleure façon de lutter contre la pauvreté ». Un raisonnement raccord, selon les économistes de l’OFCE, avec le récent durcissement des règles d’indemnisation de l’assurance chômage. Pour l’OFCE, il ne fait pas bon dans la France d’Emmanuel Macron d’être parmi les premiers « vingtièmes » les moins favorisés, les chômeurs et retraités. Ce n’est peut-être pas un scoop mais cette étude prend soin de le démontrer dans les détails, chiffres à l’appui.