Les retraites

Libération - Les réformes s’enchaînent, la précarité des jeunes s’accroît

Janvier 2020, par Info santé sécu social

Tribune d’un un collectif de sociologues membres de l’Association française de sociologie

Le 30 janvier 2020

Les jeunes ayant 20 ans aujourd’hui compteront parmi les grands perdants d’un système de retraite à points qui aura pour conséquence de baisser leurs pensions et de figer encore davantage les destinées.

Dans un contexte de réformes successives dégradant de manière rapide et brutale l’Etat social et les services publics (réduction de 5 euros par mois des APL en 2017, mise en place de Parcoursup en 2018, nouvelles règles de l’assurance chômage en 2019, augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·e·s étranger·e·s à l’université en 2019, réforme des retraites prévues pour 2020, etc.), nous alertons des effets de ces choix politiques sur les conditions de vie des jeunes en France, et notamment de celles et ceux issu·es des milieux les plus modestes. Nous ne pouvons rester silencieux·ses face à l’affaiblissement des droits et protections sociales au regard du contexte actuel de précarisation du travail et du marché de l’emploi, qui touche plus particulièrement les jeunes.

En 2017, le taux de chômage des 15-29 ans s’élevait à 17% (contre 9,4% pour l’ensemble de la population). Pour les non diplômé·es, ce taux monte jusqu’à 39,2%. Les jeunes sont de plus en plus confronté·es à la difficulté de trouver un emploi pérenne. Leurs parcours sont marqués par des allers et retours entre des situations d’activité salariée faiblement rémunérée, des périodes d’auto-entreprenariat, des temps partiels subis et des périodes de chômage. Auparavant, les vingt-cinq meilleures dernières années étaient prises en compte dans le calcul des retraites pour ceux du secteur privé et ceux contractuels de la fonction publique, et les six derniers mois pour les fonctionnaires. La réforme des retraites à points va prendre en compte l’ensemble de la carrière du salarié pour les générations nées après 1974, et instaurer un système de malus conduisant à des départs en retraite (pour une retraite sans décote) de plus en plus tardifs. Les jeunes ayant 20 ans aujourd’hui partiront probablement en retraite à 67 ans. Ces générations compteront parmi les grandes perdantes d’un système qui aura pour conséquence de baisser leurs pensions de retraite, d’imposer un temps de travail plus long et de pousser les jeunes à accepter des emplois de plus en plus précaires et faiblement rémunérés pour obtenir quelques points de retraite.

Dépendance familiale

Une autre réforme, celle concernant l’attribution des allocations-chômage, conduit d’ores et déjà à des conséquences graves pour les jeunes. Alors qu’un·e chômeur·euse pouvait prétendre à une allocation après avoir travaillé pendant quatre mois, il ou elle lui faut à présent six mois de contrat. Or, l’on sait que les contrats courts sont plus fréquents chez les jeunes. De plus, les indemnisations ne seront plus calculées à partir du nombre de jours travaillés effectifs, mais à partir d’une moyenne calculée sur l’ensemble des jours de la semaine de la période travaillée. Ce qui signifie concrètement une baisse importante des allocations. Les jeunes, et notamment celles et ceux les plus précaires, connaîtront une augmentation du temps de cotisation et une baisse du montant de leur allocation, les confrontant ainsi à une situation de pauvreté grandissante et à un prolongement de la dépendance familiale.

Concernant les APL, elles ont été diminuées de 5 euros par mois en 2017. Cela, ajouté aux effets potentiellement négatifs de la contemporanéité des APL (réévaluation des aides sur la situation actuelle, et non à n-2 comme c’était le cas jusqu’ici) et à l’exclusion des moins de 25 ans sans enfant du RSA, précarise l’existence quotidienne des jeunes.

Renforcer les inégalités
Ces politiques sociales s’inscrivent dans un contexte global de fragmentation territoriale et sociale des parcours des jeunes, de la maternelle à l’université, avec des réformes conduisant à renforcer les inégalités, à figer encore davantage les destinées. L’ensemble des politiques sociales évoquées est justifié par la nécessité de faire des économies sur le budget de l’Etat, alors que vient d’être annoncée l’attribution de plus d’un milliard d’euros par an pour la généralisation du service national universel (SNU), soit deux semaines d’encadrement militaire qui ne répondront pas aux inégalités sociales, économiques, territoriales rencontrées par les jeunes.

Ainsi, ce sont différents pans de soutiens à l’entrée dans l’âge adulte qui sont attaqués et qui vont fortement dégrader les conditions de vie des jeunes et renforcer les inégalités entre eux. Ce programme de destruction des droits sociaux se réalise de manière accélérée et dans une certaine indifférence.

Les politiques menées par ce gouvernement, au premier rang desquelles le projet de réforme des retraites, ne visent qu’à ancrer la précarité vécue par les jeunes lors de leurs premiers emplois et ne conduiront, à terme, qu’à accroître les inégalités entre jeunes et entre générations.

Signataires  : Yaëlle Amsellem-Mainguy, Valérie Becquet, Julie Couronné, Aden Gaide, Isabelle Lacroix, Laurent Lardeux, Patricia Loncle, Emmanuelle Maunaye, Paolo Stuppia, David Sudre, Guillaume Teillet, Benjamin Vial, Arthur Vuattoux, sociologues, membres de l’Association française de sociologie.