Industrie pharmaceutique

Libération -Levée des brevets : les « big pharma » préparent la réplique

Mai 2021, par Info santé sécu social

Les labos ont rodé leur discours pour contrecarrer toute idée de suspension, même temporaire, de la propriété intellectuelle.

par Franck Bouaziz
publié le 7 mai 2021

L’argumentaire bien rodé de l’industrie pharmaceutique n’avait laissé entrevoir aucune faille jusqu’à la nuit de mercredi à jeudi et la déclaration de Joe Biden sur une possible suspension temporaire des brevets sur les vaccins anti-Covid-19. Jusqu’à présent, le discours des grands labos avait plutôt été entendu aussi bien à la Commission européenne qu’à Bercy. La ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, évoquait elle-même dans Libération les obstacles qui se dresseraient devant un éventuel coup de canif sur la propriété intellectuelle des vaccins : « Nous n’avons actuellement que quelques sites capables de faire de la finition et de l’embouteillage, parce qu’il faut des équipes spécialisées en la matière. Sur un vaccin, si on a un problème de sûreté ou d’homogénéité, on jette tout. »

Les « big pharma » avancent en outre que les matières premières sont rares par les temps qui courent et que les sites industriels disponibles pour fabriquer des vaccins seraient peu nombreux. « Nous comprenons la question posée par Joe Biden, mais l’enjeu est avant tout que les vaccins soient rendus disponibles dans les meilleurs délais », indique Frédéric Collet, président du syndicat professionnel les Entreprises du médicament (LEEM), qui représente 260 laboratoires présents en France. Il met en outre en garde contre une suspension temporaire des brevets : « J’espère qu’une décision de cette nature si elle était prise n’altérera pas la confiance dans des médicaments qui nécessitent une expertise que n’auraient peut-être pas tous ceux qui auraient accès à ces brevets. »

Protéger leurs profits futurs  ?

Autant de préventions battues en brèche par Nathalie Coutinet, économiste de la santé et professeure à l’université Paris-XIII : « Il existe dans le monde des sites de production de vaccins traditionnels qui pourraient être sollicités. Quant au contrôle de sécurité, il peut être effectué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). » Au-delà des déclarations de leur syndicat professionnel, les laboratoires ne se pressent pas pour répondre pour exprimer leur position sur la levée temporaire des brevets des vaccins anti-Covid. Libération a successivement sollicité la filiale française d’AstraZeneca, et le groupe Sanofi. Aucune de ces entreprises n’a souhaité régir aux propos du président des Etats Unis.

Les laboratoires évoquent, en outre, la nécessité d’investir massivement dans la recherche pour justifier leur volonté de conserver leur brevet. C’est semble-t-il oublier qu’ils ont bénéficié pour la mise au point des vaccins, d’avances destinées à financer à la fois la recherche et la production des premières doses. Au bas mot, 1,5 milliard d’euros pour AstraZeneca et 2 milliards pour Sanofi, selon une étude réalisée par la revenue scientifique The Lancet. En s’opposant à une suspension des brevets, les big pharma ne tiennent-ils pas à protéger leurs profits futurs ? Les derniers résultats financiers publiés montrent en tout cas qu’ils s’apprêtent enregistrer des résultats financiers en très forte hausse grâce aux vaccins anti-Covid. Ainsi, le laboratoire Moderna qui n’a réalisé que 803 millions de dollars (plus de 666 millions d’euros) de chiffre d’affaires en 2020 (dont 529 millions de subventions) annonce 18,4 milliards de dollars de commandes en 2021. Pfizer prévoit de son côté 26 milliards de dollars de ventes pour son seul vaccin anti-Covid cette année, avec une marge bénéficiaire de 30%. Quant à Johnson et Johnson, bien que son vaccin soit interdit au Danemark, ses résultats se portent bien. Sur les trois premiers mois de l’année le laboratoire a vu son bénéfice net augmenter de 7%.

Au même moment la redistribution des vaccins aux pays en voie de développement reste un problème non résolu. Covax, le mécanisme mis en œuvre par l’Union européenne pour redistribuer une partie de ses achats en direction des Etats les moins développés, est encore balbutiant. Il a exporté en tout et pour tout 40,5 millions de doses vers 100 destinations soit 400 000 doses seulement par pays bénéficiaire.